Afrique: Drame de l'immigration – Le choix de la mort physique à la place de la mort sociale

La Gregoretti ramant vers la capitale sicilienne, avec plus de 1000 réfugiés et migrants sauvés de la Méditerrannée, à bord.
28 Avril 2015

L’immigration clandestine est au devant de l’actualité internationale. En un mois la Méditerranée a englouti près de 1700 personnes, en majorité des Africains, embarquées dans des pirogues de fortunes à la quête d’une vie meilleure. A l’origine de cette option, braver la mort physique pour fuir la mort sociale.

La problématique de l’immigration clandestine est devenue une préoccupation mondiale. Selon le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR), « les drames de la migration en Méditerranée ont fait en avril plus de 1.700 morts alors qu'environ 40.000 personnes ont effectué la traversée depuis début 2015. L’ampleur pris par le phénomène ces derniers jours a mis les pays européens dans l’obligation d’envisager des solutions urgentes, d’une part, pour faire face au phénomène, et d’autre part, essayer d’enrayer le mal à la source pour davantage se barricader. Du côté des autorités africaines, les premières réactions se résument à des postures de regrets et de condamnation et aucunement des pistes de solutions concrètes officiellement envisagées. Ceci en attendant l’issue du Sommet Europe - Union africaine prévu à Malte pour résoudre le problème de l'immigration irrégulière.

Le Consortium pour la Recherche Économique et Sociale (CRES) qui n’a pas fait dans l’attentisme a cherché à dénicher les raisons du départ des candidats à l’immigration. En collaboration avec l’Institut for the Study of Labor (IZA) basé en Allemagne, la structure de recherche sénégalaise a convoqué la réflexion autour du thème « Migration, transferts de fonds et développement ». Une centaine de chercheurs venus d’Universités et instituts de recherche basés en Europe, Amérique, Asie et Afrique ont crevé l’abcès et esquissé des pistes devant permettre de « déraciner » le mal. Un fléau qui, selon Pape Demba Fall, chercheur à l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar (UCAD), s’explique du fait que « ceux qui partent préfèrent la mort physique à la mort sociale ». Un postulat qu’il illustre par un cheminement simple : « vous êtes jeunes dans votre quartier où vous n’existez pas parce que vous n’avez pas de moyens ! »

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Un état de fait qui développe chez les jeunes une volonté aveugle de recherche d’une vie meilleure. Sous l’influence d’«ainés inconscients » qui, de retour d’Europe ou des États-Unis, exhibent maisons de luxe, bolides et quotidien amélioré de leurs proches, les jeunes « déprimés » bravent tous les risques pour espérer voir le bout du tunnel. A Thiaroye, dans un quartier de pêcheur de Dakar, au début du phénomène des « pirogues de la mort », ce sont des mères de famille, elles-mêmes, qui vendaient leurs bijoux pour financer le voyage de leurs enfants candidats à l’immigration par voie de mer.

Le développement de ce phénomène est également la résultante d’une situation où l’État n’existe plus dans certains pays de départ comme la Libye. Des pays qui, parfois sont, sous le contrôle de groupes de pression qui dictent leur loi dans un environnement totalement vulnérable. Ce qui fait dire à Mme Ndioro Ndiaye, Présidente de l’Alliance pour la Migration, le Leadership et le Développement (AMLD) et ancienne ministre de la Femme, des Enfants et de la Famille du Sénégal, que la tragédie notée dans la Méditerranée et les scènes de xénophobie survenues en Afrique du Sud illustrent le désarroi des populations et les difficultés des gouvernements à gérer les flux migratoires. Selon elle, « on n’arrête pas la mer avec ses bras car les gens vont continuer à partir. Les gens qui partent doivent être encadrés. Ils doivent connaitre leurs droits et leurs devoirs avant tout départ ».

Sur cette même lancée, M. Miniane Diouf, Coordinateur de Migration et Développement en Afrique (MADE) souligne : « on ne peut pas penser arrêter les flux migratoires mais les analyser et les intégrer dans les politiques nationales ». Se basant sur l’exemple de la Libye, il confie : « Kadhafi avait compris que son pays était une sorte d’escalier entre l’Afrique et l’Europe du coup il fallait donner le meilleur aux jeunes pour leur assurer un avenir radieux ».

Revenant sur le cas du Sénégal, M. Diouf craint que les talibés qui sillonnent les rues de Dakar à la recherche d’aumône ou de pitance, ne deviennent de futurs candidats à l’immigration clandestine car n’ayant pas la chance de grandir dans un environnement familial sécurisé, leur permettant d’anticiper sur ces phénomènes. Plus catégorique, Ndioro Ndiaye va plus loin. Elle a même peur que ces mêmes talibés deviennent de futurs djihadistes avec le recrutement effréné des groupes comme Boko Haram, État Islamique dans les rangs des populations démunies. Sur ce point, Mme Penda Mbow, historienne, Ministre Conseiller du Président de la République du Sénégal pour la Francophonie, pense que la dimension sociale doit être revue de fonds en comble pour comprendre l’origine des frustrations.

La part de responsabilité de l’Europe

L’analyse des raisons qui motivent les candidats à l’immigration clandestine mettent souvent à nu les politiques africaines en matière sociale et d’emploi. Un constat qui ne met pas à l’abri les pays d’accueil des migrants face à leur responsabilité. Dénonçant les mesures protectionnistes et répressives draconiennes, Miniane Diouf pense qu’«à l’ère de la mondialisation, les communautés doivent s’accepter mutuellement ». A cette diatribe, le Pr Penda Mbow juge normal le fait que l’Europe se saisisse de la question et utilise les moyens technologiques pour circonscrire les raisons des multiples chavirements d’embarcations de migrants pour situer les responsabilités et prendre des sanctions. Mme Mbow interroge ainsi la conscience du monde face à l’ampleur du drame. Elle invite l’Union africaine a planché sérieusement sur la question tout en pointant du doigt les organisations criminelles internationales qui profitent de cette situation.

Dans cette même dynamique, M. Klaus F. Zimmermann, Directeur de l’IZA et Université de Bonn, Allemagne, souligne que la mobilité est capitale dans la recherche d’une vie meilleure. Il fait comprendre que la rareté des ressources est telle que les gens ne peuvent pas avoir la mobilité voulue. Avant de préciser à l’endroit des candidats à l’immigration que l’Europe est en train de se rétrécir comme peau de chagrin en termes d’emploi.

La cogestion comme solution durable

L’heure est grave. Des solutions urgentes mais durables s’imposent. Les propositions du dernier sommet européen sur la migration sont loin de faire l’unanimité dans les sphères universitaires et de la société civile. Les chercheurs réunis à Dakar, dans leur réflexion, ont esquissé des pistes de solutions et faire de sorte que la migration soit bénéfique pour les pays d’origine et ceux d’accueil. Le Pr Abdoulaye Diagne, Directeur du CRES pense que les chercheurs doivent interagir avec les politiques dans l’optique de trouver les meilleures solutions, bénéfiques pour pays d’origine et lieu d’accueil.

Dans cette même optique, le Pr Zimmermann estime que, face à la difficulté qui sévit de part et d’autre, il est indispensable d’avoir une migration circulaire entre l’Europe et l’Afrique. Souleymane Jules Diop qui emprunte le même cheminement parle d’une coresponsabilité dans la réflexion et la gestion des flux migratoires. Le Secrétaire d’État aux Sénégalais de l’Extérieur estime que l’espoir subsiste en Afrique et que le continent a besoin de sa jeunesse pour relever les défis. M. Diop estime que les deux parties doivent travailler à la portabilité des droits sociaux (couverture médicale, indemnité de retraite…) entre pays d’accueil et pays de départ pour aider les immigrés à mieux préparer le retour dans leur pays d’origine. Sur ce point, il faut souligner que le Sénégal veut signer d’avantage de conventions dans ce domaine, comme il l’a fait avec la France.

Mamadou Dansokho, chercheur au CRES et économiste à l’UCAD, pour sa part, pense que l’Afrique doit disposer d’une feuille de route pour mieux tirer profit des Investissements Directs Étrangers (IDE), surtout de partenaires comme la Chine. A ce sujet, le Pr Abdoulaye Diagne estime qu’il sera important de travailler à stabiliser les transferts de migrants pour leur permettre de mieux contribuer au développement de leur pays d’origine.

Pour Pape Demba Fall, l’heure est venue d’explorer le développement à la base de la question migratoire. C’est ainsi qu’il recommande l’intégration des enjeux migratoires dans les programmes nationaux de développement pour optimiser la participation des migrants, identifier leurs compétences afin de pouvoir les utiliser d’une manière rationnelle et promouvoir les économies locales.

Le Directeur Général des Sénégalais de l’extérieur, M. Sory Kaba, de son côté, pense qu’il faut inciter les émigrés à investir dans leur pays d’origine ou acheter des actions dans des sociétés nationales en vue de préparer le retour.

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