Il y a beaucoup d'émotions douloureuses à la lecture de ce livre de mémoires, au demeurant savoureux, de notre professeur Abdeljelil Karoui qui est aujourd'hui professeur universitaire émérite jouissant pleinement de la notoriété intellectuelle et morale l'autorisant à écrire et publier ses mémoires : éminent spécialiste des lettres françaises, Abdeljelil Karoui a longtemps enseigné à la faculté des Lettres et Sciences humaines et sociales du boulevard du 9-Avril, à Tunis, puis à celle de l'université de La Manouba où il a dirigé, durant plusieurs années, le département de langue et de littérature françaises et où il a participé activement à la formation de nombreuses générations d'étudiants.
C'est surtout la mort, brusque et sans pitié, féroce; la mort des êtres chers, qui semble marquer, par-dessus toutes les réminiscences et souvenances, « la mémoire tatouée » de l'auteur de ces mémoires métaphoriquement intitulés «Sortilèges d'une jeunesse» : la mort d'une jeune femme en couches, parce qu'à la campagne, il n' y avait pas, par ces temps de colonialisme, ni médecins ni infirmiers (p. 13), puis la mort de la grand-mère tant aimée, à qui est arrimée une grande partie de l'enfance racontée et de ses petits bonheurs et souvenirs palpitants (p. 73), puis encore la mort, plus aveugle et cruelle, de la cousine pour qui l'auteur de ce récit de vie avait l'attachement le plus dévot, le plus serré dans son cœur, qu'il chérissait comme une sœur, une amie ou un alter ego et que le destin emporta, un jour, brutalement, à la fleur de l'âge, avec sa joie de vivre, sa vivacité, sa bonne éducation, ses rêves, le piano dont elle jouait et le bonheur qu'elle apportait aux siens (p. 74 et 170). Une mort traumatisante au suprême degré que le héros de ces mémoires aurait à revivre plus tard quand il apprendrait soudain, à son grand malheur, le décès de la jeune et belle Suédoise dont il viendrait à peine de faire la connaissance sur une banquette de la Sorbonne et qu' « une crise cardiaque lui a été fatale » (p.142) !
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