Sénégal: Quand la malnutrition freine la croissance des enfants de Khar Yalla

Diarra et Alassane, 2 ans, souffrant tous les deux de malnutrition
25 Mai 2022

Alassane et Diarra, deux jumeaux de deux ans partagent le même calvaire : avoir accès à une alimentation riche et équilibrée.

Issus d'une famille pauvre de Khar Yalla, un quartier cosmopolite de la dynamique commune de Grand-Yoff, ils vivent encore mal les stigmates d'une mauvaise alimentation qui les avait frappés dès leur naissance.

Rencontrés ce lundi 23 mai 2022, ils jouaient timidement dans la cours de Keur Gou Mak, une maison qui se singularise à cause de la densité de sa population.

L'environnement particulier de cette maison qui symbolise la pauvreté dans la commune de Grand-Yoff, renseigne sur l'état de santé précaire de ces deux bouts de bois de Dieu.

Avec une façade timide, le visiteur est accueilli par des eaux usées dégoulinant d'une fosse septique mal sécurisée.

Non loin, quatre enfants âgés de deux à six ans gambadaient autour d'un imposant manguier planté au cœur d'une grande cour ceinturée par six bâtiments aux murs crasseux.

Malgré sa popularité, la maison était presque vide aux environs de 12 heures. La plupart de ses occupants étaient partis soit à l'école ou à la recherche de pitance.

Seule Aïssatou Diallo, la maman des jumeaux, une de ses colocataires et les enfants trouvés sur place, gardaient les lieux.

Aissatou Diallo, Maman des jumeaux Alassane et Diarra qui souffrent de malnutrition

Pagne soigneusement noué autour de la taille, la bonne dame alliait tâches ménagères et surveillance de ses enfants dont le petit Alassane qui avait une mine un peu triste.

Avec son tee-shirt moulant, le petit garçon cachait mal son ventre ballonné qui renseigne à suffisance sur une mauvaise alimentation.

Mme Marie Louise Sène, la Badiénou Gokh ou « marraine de quartier » qui servait de guide à l'équipe d'allAfrica, fait savoir que cet enfant a souffert d'une mal nutrition aigüe depuis sa naissance.

A l'en croire, sa maman qui était vendeuse de bouillie de mil s'est finalement rabattue dans la mendicité depuis la venue au monde de ses jumeaux pour espérer trouver de quoi les nourrir.

Cinq enfants souffrant de malnutrition détectés par jour à Khar Yalla

Selon notre guide du jour, en plus des jumeaux, la dizaine d'enfants qui vit dans cette maison est confrontée à un environnement malsain marqué par un manque d'eau potable, d'un réseau d'assainissement aux normes avec des toilettes presque infectes.

Autant de facteurs qui, selon Mme Sène, menacent la situation nutritionnelle d'une grande partie des populations de Khar Yalla qui polarise de 14 quartiers défavorisés avec une population de 68 mille habitants.

Une immersion à la structure de santé de la localité qui fait face au terrain de football Khar Yalla, nous en dit plus.

Entrée du poste de santé de Khar Yallah de Dakar

Le maitre des lieux, le Major Aliou Guissé, chef du poste de santé, confirme la réalité des problèmes nutritionnels notés dans cette semi-banlieue dakaroise.

Selon lui, une surveillance nutritionnelle assurée par ses équipes a permis de noter que les problèmes nutritionnels sont réels et endémiques dans ce quartier.

« Nous rencontrons des cas de mal nutrition aigüe sévère et ceux de mal nutrition aigüe modérée. Le plus fréquent c'est la malnutrition aigüe sévère sans complication détectée souvent d'enfants d'origines étrangères ».

Devant ces situations, confie M. Guissé, le poste de santé applique les normes soit en les référant vers des structures spécialisées soit les gérer par l'équipe dédiée de la structure.

« Actuellement, nous suivons une quinzaine d'enfants souffrant de malnutrition modérée et cinq à six autres de malnutrition aigüe sévère ».

En plus des conseils nutritionnels, le poste de santé de Khar Yalla dispose de produits locaux transformés pour une bonne prise en charge des enfants souffrant de problèmes nutritionnels.

Il dispose d'un personnel formé et de la farine améliorée avec des céréales locales distribuée gratuitement aux enfants.

Le poste est également appuyé par des relais communautaires qui font des démonstrations culinaires pour aider les femmes à maitriser les meilleurs pratiques pour une bonne nutrition.

Mme Marie Louise Sene , Marraine du quartier de Khar Yallah (Badienou Gokh)

Mme Awa Ndiaye, aide-infirmière et responsable Programme élargi de vaccination (Pev) de cette structure de santé abonde dans le même sens.

A l'en croire, notre équipe peut constater trois à cinq cas de malnutrition chez les enfants par jour.

Elle explique cet état de fait par un manque de moyens des ménages affectés mais également l'ignorance qui caractérise la plupart des mères de famille.

Pourtant, se désole-t-elle, « nous ne nous lassons pas de sensibiliser les populations sur la nécessité d'assurer une alimentation équilibrée aux enfants dès leur naissance ».

La Badiènou Gokh qui pousse le bouchon plus loin, pense que le mauvais comportement de certaines femmes durant leur grossesse est parfois à l'origine de problèmes nutritionnels des enfants.

Un spécialiste établi à Dakar, interpellé sur la question, confirme la relation entre l'état nutritionnel de la femme enceinte et le poids du nouveau-né.

Selon lui, cette situation est très particulière du fait que la période péri-conceptionnelle demeure un moment particulièrement indiqué pour optimiser la santé maternelle et agir.

Avant de souligner qu'une mère bien nourrie garantit une croissance pérenne à son enfant avant, pendant et après la grossesse.

Major Aliou Guissé, chef du poste de santé de Khar Yalla

Dans cette même dynamique, ce nutritionniste concède qu'une alimentation non négligée pendant la grossesse est bonne pour le développement de l'enfant mais aussi pour permettre à la mère d'éviter des problèmes de santé.

« L'anémie, par exemple, est un mal qui touche beaucoup de femmes enceintes en Afrique de l'Ouest. Ce sont des problèmes de sécurité alimentaire auxquels il faut faire très attention », alerte-t-elle.

Le binôme nutrition-grossesse semble plausible dans la mesure où « l'initiative pour un bon départ pour améliorer la nutrition des femmes et des filles au Sénégal » cherche à réduire l'anémie, les complications pendant la grossesse et l'accouchement.

Ce projet exécuté au Sénégal s'attaque également aux anomalies du tube neural chez les nouveau-nés grâce à la supplémentation en fer et en acide folique et à l'enrichissement des aliments.

Dans la même foulée, ladite cellule confie qu'au Sénégal 54 % des femmes souffrent d'anémie, 61 % des femmes enceintes souffrent de cette même carence.

Selon elle, la population affiche des taux d'anémie très élevés, en particulier chez les adolescentes et que 55,4 % de cette tranche d'ages sont inscrites à l'école, mais elles sont moins nombreuses à se rendre en classe régulièrement. Ce qui fait que joindre les adolescentes non scolarisées reste un défi.

Awa Ndiaye, aide-infirmière et responsable Programme élargi de vaccination (Pev)

Restaurer les Centres de récupération nutritionnelle

Pour M. Guissé, les autorités devraient penser à restaurer les Centres de récupération nutritionnelle qui étaient installés dans les quartiers.

Ce qui, à l'en croire, avait donné de bons résultats grâce à des des conseillers nutritionnels, des séances de distribution de farine, des pesées régulières suivies de vaccination pour les enfants…

La disparition de ces centres oblige les structures de santé à prendre en charge les problèmes nutritionnels dont souffrent les populations.

A cela s'ajoute la nécessité d'affiner le dispositif de suivi face au phénomène des enfants de femmes qui évoluent dans des activités saisonnières.

Sans oublier le fait que les mamans se présentent souvent en urgence dans les centres de santé.

Au niveau communautaire, le Centre de santé bénéficie ainsi de l'appui d'une Organisation communautaire de base (Ocb) très dynamique qui travaille dans la malnutrition et la tuberculose.

En plus de l'apport des Badiénou Gokh qui sont en contact permanent avec les populations.

M. Guissé a tenu à attirer notre attention sur un phénomène nouveau qui, à l'en croire, gagne du terrain.

Armand Moïse A.T.Y. Diouf, Co-fondateur, Responsable Stratégique & Ressources Humaines à Agrosine

Selon lui, la malnutrition des enfants ne touche pas uniquement les femmes pauvres.

Celles qui travaillent et qui n'ont pas le temps de s'occuper de leurs enfants exposent de plus en plus leurs progénitures à des problèmes de nutrition parce qu'ils sont mal surveillés.

Il convoque ainsi les recommandations de l'Organisation mondiale de la santé (Oms) qui invite à éviter les sevrages précoces mais aussi appliquer l'allaitement maternel exclusif pour que la malnutrition ne survienne au-delà de 12 mois.

Dans la même dynamique, Armand Moïse A.T.Y. Diouf, Co-fondateur, Responsable Stratégique & Ressources Humaines d'Agrosine pense que pour régler le problème lié à la nutrition, le Sénégal doit beaucoup investir dans l'agriculture bio et aller vers la formation des jeunes dans métiers agricoles.

Pour lui, une vaste campagne de sensibilisation doit être menée pour aider les populations à changer d'habitudes alimentaires en se focalisant sur les nutriments dont a besoin le corps humain.

M. Diouf estime également que l'État devrait rendre l'environnement de ce secteur pourvoyeur d'emplois beaucoup plus attractifs pour assurer une sécurité alimentaire pérenne à une population en quête de croissance et de résilience.

AllAfrica publie environ 400 articles par jour provenant de plus de 100 organes de presse et plus de 500 autres institutions et particuliers, représentant une diversité de positions sur tous les sujets. Nous publions aussi bien les informations et opinions de l'opposition que celles du gouvernement et leurs porte-paroles. Les pourvoyeurs d'informations, identifiés sur chaque article, gardent l'entière responsabilité éditoriale de leur production. En effet AllAfrica n'a pas le droit de modifier ou de corriger leurs contenus.

Les articles et documents identifiant AllAfrica comme source sont produits ou commandés par AllAfrica. Pour tous vos commentaires ou questions, contactez-nous ici.