Cameroun: Des mots qui plombent le développement - " La chèvre broute là où elle est attachée "

Voilà encore une phrase bien camerounaise, comme " Tu es d'où même ? ", ou " On va alors faire comment ? ", ou encore " C'est ça qu'on mange ? Cet adage est cependant usité ad nauseam chez nous pour le pire, parce qu'il légitime simplement toutes sortes de comportements délictueux. À commencer par sa pratique dans l'administration publique. Tout le monde sait que la nomination à une position est appréciée à l'unique aune de ce que l'heureux élu pourra y " bouffer ". D'où la notion de " poste juteux ".

La raison de cette disposition des esprits est simple : On est promu pas vraiment pour " travailler " (si gratte-papier est même un travail, tant dans la plupart des cas il s'agit d'emplois strictement non productifs), mais pour avoir sa part de la " mangeoire ". C'est pourquoi le détournement de deniers et de biens publics est le sport national des fonctionnaires et agents de l'État, qui appliquent à tort et à travers, une interprétation toute particulière du fameux alinéa, " l'intéressé aura droit aux avantages de toutes natures prévus par la réglementation en vigueur ".

En ignorant royalement la dernière phrase du texte. L'idée de fond est que l'argent public n'est en réalité celui de personne, et peut donc normalement être l'objet d'une captation systématique par quiconque est assez malin pour savoir comment s'y prendre, sans risquer de se faire coincer.

Au point qu'occuper un " bon poste " et ne pas devenir riche est généralement considéré comme être particulièrement stupide. Encore que la tendance à l'accaparement du bien d'autrui, sous couvert de " brouter là où on est attaché ", n'est pas l'apanage du seul service public, loin de là. Même dans la vie et les activités de tous les jours, chacun essaye de la manifester à sa façon.

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Ainsi, de la cuisinière qui ramène systématiquement chez elle les victuailles soustraites du frigo de la patronne ; du chauffeur qui trafique à la station-service pour truquer sur le carburant ; du taximan qui se fait des extras en se sucrant sur le dos du proprio du véhicule ; du maçon qui revend en douce les sacs de ciment et les fers à béton de son chantier ; du boutiquier qui hausse subrepticement les prix dans son échoppe ; de l'homme d'affaires qui surfacture méthodiquement sa commande, etc. Les exemples surabondent, de cet esprit de rapine que tous les Camerounais semblent " comprendre ", et estimer presque comme normal. Or, ce que l'on ne voit pas est que notre sous-développement a dans cette mentalité, l'une de ses causes principales.

Car enfin, si la morale personnelle est à ce point sans importance, et compte pour si peu dans la gestion des affaires publiques et privées, où allons-nous ? Si la malhonnêteté est érigée en principe, dès lors que par conséquent personne ne fait confiance à personne, l'idée même de développement est incongrue, autant que l'espoir de l' " émergence ", ne seraient un simple vœux pieux. " La chèvre broute là où elle est attachée " est juste une entourloupe verbale pour justifier une forme pernicieuse de prédation. Et dans cette considération, la promouvoir et l'adopter est au déshonneur des " brouteurs " compulsifs. Il est vrai que de toutes façons, dans leur improbité viscérale, ces derniers n'ont généralement aucun scrupule, et donc aucun sens de l'honneur.

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