Sénégal: Annonce d'une amnistie pour les personnes privées de leurs droits de vote - Une nouvelle configuration politique en vue

30 Septembre 2022

La première réunion du nouveau Gouvernement, avant-hier, mercredi, a servi d'opportunités, au Chef de l'État, Macky Sall, d'annoncer des mesures phares dont l'amnistie de personnes ayant perdu leurs droits de vote.

Les regards ont convergé vers l'ancien maire de Dakar, Khalifa Sall et vers l'ancien Ministre Karim Wade, exclus du jeu électoral par leurs dossiers judiciaires. Pour des experts, cette mesure qui va apaiser le climat politique annonce une réelle reconfiguration de l'espace politique.

La directive du chef de l'État, Macky Sall, au Ministre de la Justice d'examiner le schéma adéquat d'amnistie pour des personnes ayant perdu leurs droits de vote, lors du Conseil des Ministres de mercredi dernier, est au cœur de l'actualité. Elle a suscité la réaction de plusieurs hommes politiques vu que cette mesure va offrir la possibilité aux leadeurs politiques, comme Khalifa Sall et Karim Wade, de redevenir électeurs et de solliciter le suffrage des Sénégalais, lors de la présidentielle de 2024, si la mesure est adoptée avant.

L'ancien maire de Dakar, Khalifa Sall, avait été condamné, en 2018, pour escroquerie sur les derniers publics, à cinq ans de prison ferme, assortie d'une amende de 5 millions de Fcfa. Quant au fils de l'ancien chef de l'État, Me Abdoulaye Wade, Karim Wade, il avait perdu ses droits d'électeur suite à sa condamnation, en 2015, pour enrichissement illicite.Il avait écopé d'une peine de six ans de prison ferme, et d'une amende de 138 milliards de Fcfa. Les deux responsables politiques avaient bénéficié d'une grâce présidentielle.

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Du côté du mouvement Taxawu Sénégal, dirigé par Khalifa Sall, l'enthousiasme ne semble pas encore être au rendez-vous.Les responsables n'ont pas voulu s'épancher sur la question.À les en croire, cette mesure vise plusieurs détenus condamnés pour les mêmes faits.Joint au téléphone, le coordonnateur national du mouvement " Taxawu Sénégal ", Saliou Sarr, est formel. " Il a été demandé au Ministre de la Justice, Garde de Sceaux, d'étudier les dossiers et de proposer des solutions juridiques.Nous attendons d'être édifiés pour nous avancer sur la question ", a-t-il indiqué.

Les libéraux, eux, n'ont pas tardé à décliner leur position. Ils ont vite rejeté la main tendue du chef de l'État sénégalais.La porte-parole du Parti démocratique sénégalais (Pds), Nafissatou Diallo, a pourtant magnifié, d'emblée, cette initiative présidentielle." Nous saluons sa décision, aujourd'hui, de régler ce problème en vigueur depuis 10 ans. Mais nous rejetons fermement la décision qu'il a prise pour l'amnistie. Le Pds est solidaire de Karim Wade qui refuse catégoriquement une amnistie ", a-t-elle indiqué, hier, sur les ondes de la Radio Futur Média (Rfm).

Vers plusieurs candidatures en 2024

Elle estime que l'amnistie ne peut être accordée qu'à des coupables.Dès la publication du communiqué du conseil des Ministres, le leadeur du mouvement Agir, Thierno Bocoum,est vite monté au créneau pour démontrerl'opportunité d'une telle décision.

" Je me réjouis d'une telle initiative même si les objectifs, dans un tel contexte, semblent purement politiciens. Ils devaient être réhabilités depuis 2019 ", a-t-il fait savoir.Remontant le fil du temps, ce membre de l'opposition rappelle que les dossiers des deux leadeurs, non-électeurs et inéligibles, ne sont pas les mêmes." Il est vrai qu'ils n'ont pas eu les mêmes charges et les mêmes lignes de défense, mais ils ont tous les deux été la cible d'une machine politique à moteur judiciaire qui devait les écarter de la présidentielle de 2019. Ils ont le droit de faire de la politique et de solliciter les suffrages de leurs compatriotes ", a-t-il souligné.

Toujours est-il que pour le Docteur en sciences politiques, Mamadou Aly Dème, enseignant-chercheur à l'Université Cheikh Anta Diop de Dakar (Ucad), il ne faut pas verser dans la précipitation, même si cette annonce pourraitentrainer une reconfiguration politique.Pour M. Dème, il faut s'attendre à plusieurs candidatures pour la présidentielle de 2024, si cette initiative prospère.

Mamadou Aly DEME, enseignant chercheur

" La démocratie sénégalaise va mieux respirer "

L'enseignant-chercheur en sciences politiques à l'Université Cheikh Anta Diop de Dakar (Ucad), Mamadou Aly Dème, s'est réjoui de cette décision du chef de l'État de mettre en place un dispositif permettant aux acteurs politiques qui avaient perdu leurs droits de vote de participer aux joutes électorales." Nous saluons cette initiative du Chef de l'État qui va entrainer une respiration de la démocratie dans notre pays.Cela va apaiser le climat politique qui est assez tendu depuis les dernières élections locales. Il a su prendre de la hauteur et cela renforce la culture démocratique ".

Pour autant, il exhorte à la retenue." Le Président de la République a demandé au Ministre de la Justice de préparer un texte qui pourrait permettre à des Sénégalais de retrouver leurs droits de vote. Beaucoup ont parlé d'une loi d'amnistie, mais il existe une autre option qui consisterait à revoir le code électoral en son article 57, qui pose les conditions d'inéligibilité ", indique-t-il.

" L'opposition ne gravitera plus autour de Sonko "

Il précise également qu'une loi d'amnistie ne vise pas une personne, mais des faits. " Il a été demandé au Ministre d'étudier les options qui puissent leur redonner leurs droits d'électeurs, mais nous ne savons pas quel sera son choix. Certains versent dans la précipitation et les spéculations en parlant d'amnistie. Il est possible que le Ministre de la Justice propose une révision de la loi électorale vu que la loi d'amnistie amnistie des faits, mais pas une personne ", explique le spécialiste. " Les cartes politiques seront rebattues. L'opposition va changer de visage. Un leadeur comme Ousmane Sonko ne sera plus le centre névralgique de cette opposition. Son allié de la coalition Yewwi AskanWi, Khalifa Sall, va revenir sur la scène politique. Il faut s'attendre, dans les jours à venir, à une dislocation de la coalition Yaw. L'opposition ne gravitera plus autour de Sonko ",ajoute-t-il

Sur la faisabilité de l'annonce, l'enseignant-chercheur milite pour la révision du code électoral en lieu et place d'une loi d'amnistie. " Ce sont les derniers publics qui sont en jeu. Il est plus judicieux de réviser, à mon avis, le code électoral plutôt que de proposer une loi d'amnistie, mais le dernier mot revient au Chef de l'état ", soutient-il.

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