Ile Maurice: Le manque de main-d'oeuvre et une compensation salariale trop élevée inquiètent le secteur privé

Le mood est à la réflexion en amont des rencontres tripartites pour définir le montant de la compensation salariale 2023. Ce sujet a aussi été abordé lors de la rencontre des secteurs privé-public, lundi. Évidemment, avec une inflation à 11,5 %, les attentes salariales sont plus élevées, avec un marché du travail compétitif, face à l'exode des talents dans certains secteurs et la difficulté à recruter dans d'autres. Or, si le niveau de productivité et la compétitivité de nos biens et services sont parmi les facteurs à considérer, le fait est que bon nombre d'entreprises affichent des résultats financiers positifs, aidés par le soutien de l'État pendant la pandémie, soutien qui accentue la pression inflationniste aujourd'hui. Dilemme cornélien pour employeurs et employés ; pourtant, il faudra bien couper la poire en deux.

Rs 221,5 milliards. C'est le montant total de la dette du secteur privé, excluant le global business et les ménages, à fin août 2022. Jugé soutenable par la Banque centrale dans sa dernière édition Financial Stability Report, il ressort que le niveau des prêts bancaires aux corporates a augmenté d'un taux annuel de 9,7 % en septembre 2021, mais le ratio crédit aux entreprises/PIB a diminué, passant de 60,7 % en mars 2021 à 60,3 % en septembre 2021. Cela reflète soit une hausse dans la production, comme indiqué par la Banque centrale, ou une hausse de la valeur du Produit intérieur brut (PIB) gonflée par l'inflation.

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En effet, selon les analystes, le montant du PIB pour la période 2021-22 est surévalué par au moins Rs 33 milliards, grâce à l'impact de l'inflation. Toutefois, comme on peut le voir dans la presse depuis plusieurs semaines, bon nombre d'entreprises privées affichent une bonne santé financière ; certains présentent des profits après taxes confortables ; d'autres renouent avec leur chiffre d'affaires d'avant la pandémie ; et d'autres encore démontrent une baisse importante du niveau de leur dette. Or, ne l'oublions pas, il est important de contextualiser l'impact de la hausse du taux directeur, passant à 3 %, sur le servicing des dettes du secteur privé. Les entreprises du privé peuvent-elles mieux rémunérer leurs employés ? Voyons cela de plus près.

Si les autorités se montrent optimistes sur la performance de l'économie mauricienne pour l'année financière 2022-23, l'inflation ne semble pas ralentir, affectant continuellement le pouvoir d'achat depuis le début de la pandémie de Covid-19. Affichant 11,5 % en glissement annuel, en général, le taux d'inflation et les augmentations salariales vont dans le même sens, mais sont déterminés par des facteurs différents. À titre d'exemple, l'inflation représente l'évolution du coût d'un panier du consommateur dépendant majoritairement du coût des carburants et de l'alimentaire. Les salaires sont, eux, déterminés par les changements de l'offre et de la demande de main-d'oeuvre qui peuvent être causés par les tendances démographiques, les taux d'activité de la main-d'oeuvre locale, le besoin de compétitivité dans certains secteurs, dont la manufacture, et la croissance de la productivité, entre autres.

Commençons par l'inflation. Face à l'augmentation des prix, le salaire que touchait un employé en 2018 ne suffit plus par rapport au coût de la vie en 2022, ce qui pousse les employés à s'attendre à des augmentations salariales, de même que ceux à la recherche d'un emploi augmentent leur demande.

Dans le même élan, cette situation contribue donc au lobby pour une compensation salariale plus élevée. Si l'État fait la part des choses à travers sa mesure d'une allocation mensuelle de Rs 1 000 aux salaires d'une catégorie d'employés, l'on peut donc s'attendre à ce que les employeurs fassent leur part.

Dans ce contexte, il est bon de savoir qu'un niveau élevé de la dette des entreprises ne date pas d'hier ; en effet, le profil typique de l'entreprise mauricienne a souvent des niveaux de dette autour de 60 %, ou plus, de ses fonds propres. La pandémie a bousculé cet équilibre fragile, nécessitant l'intervention étatique à travers la Mauritius Investment Corporation (MIC). On ne le dira pas assez, cela a entraîné des conséquences, car ces prêts de la MIC au secteur privé sont un résultat de money printing qui contribue à la dépréciation de la roupie et donc à l'inflation.

Pour résumer, solidifier le bilan des entreprises, faible d'avant la période Covid-19, pour sauver l'emploi a eu pour conséquence une contribution à la baisse du pouvoir d'achat des Mauriciens. Dans ce contexte, l'on peut donc s'interroger, si le soutien aux entreprises est finalement au détriment du consommateur, un retour d'ascenseur, maintenant que les entreprises affichent une bonne santé financière, aux employés à travers des augmentations de salaire est donc only fair game, car il est clair que la méthode de privatisation des gains et de socialisation des pertes n'a plus sa place.

Si la compensation salariale pour 2022 était de Rs 400 pour ceux touchant plus de Rs 13 000, quels sont les éléments à considérer lors d'une rencontre tripartite ? "Plusieurs facteurs entrent en jeu. Il y a les indicateurs macro-économiques, la tendance de l'emploi et du chômage, la performance des exportations, la productivité et évidemment le taux d'inflation comparé à l'année précédente. Les négociations peuvent prendre un mois ou deux, dépendant de la situation. Finalement, c'est le gouvernement qui tranche", explique l'économiste Azad Jeetun.

Nous connaissons nos faiblesses économiques et le taux d'inflation. Passons en revue la productivité. À Maurice, selon Statistics Mauritius, en termes de valeur ajoutée à la production, nous avons atteint une croissance de 4,2 % en 2021, soit une hausse de 1,6 % en moyenne par année entre 2011 et 2021. La productivité de la maind'oeuvre affichait une croissance de 11,4 % en 2021, pour une moyenne décennale de 1,9 %, alors que la compensation des employés était de l'ordre de 16 % en 2021, pour une moyenne de 4,9 % entre 2011 et 2021. Cela nous conduit à un Unit Labor Cost de 4,1 % en 2021 contre 2,9 % en moyenne décennale.

Cela implique que le coût de la main-d'oeuvre est plus élevé, en roupies, comparé à la productivité qui en découle. La question est : comment augmenter cette productivité ? On l'a vu dans l'express la semaine dernière, le phénomène de quiet quitting, où l'on retrouve le détachement de l'employé de son travail pour diverses raisons, impacte la productivité. Or, mieux payer ses employés et investir dans leur formation et upskilling serait un encouragement à la productivité sur le long terme.

Cette logique peut aussi s'appliquer au problème de la main-d'oeuvre. Une meilleure structure salariale, la possibilité d'évoluer et de grandir au sein d'une entreprise ainsi que la valorisation des compétences et la formation sont autant d'éléments pouvant encourager un employé à rester et à contribuer au progrès de son entreprise, au lieu de chercher de l'emploi à l'étranger ou chez les concurrents. Le recours à la maind'oeuvre étrangère bon marché ne peut être qu'une solution temporaire au progrès d'une entreprise, par rapport à la stratégie de former et de retenir un employé à long terme.

Prenons un exemple, si les hôtels mettaient autant d'efforts dans la structure salariale et la formation de leurs employés que dans leur projet de rénovation des bâtiments, il y aurait peut-être moins de Mauriciens formés qui choisissent les bateaux de croisière ou les hôtels du Moyen-Orient et d'ailleurs. Un autre élément pouvant décourager une hausse des salaires, surtout dans la manufacture, est la compétitivité de nos produits avec une maind'oeuvre plus chère comparée à nos concurrents, dont Madagascar ou le Bangladesh.

Mais nous avons un exemple d'un secteur qui a su se réinventer, le sucre. Les sucres spéciaux se vendant plus cher et la bagasse étant rémunérée pour la production énergétique, entre autres, les planteurs se voient encouragés à continuer. "Il faut le dire, l'économie mauricienne a beaucoup progressé et nous avions même atteint un bon niveau de PIB par habitant, intégrant la catégorie High Income Country en 2020. Dans ce contexte, il ne faut pas s'attendre à des salaires comme à Madagascar.

Le niveau de vie à Maurice est relativement élevé et ce n'est donc pas étonnant que le niveau des salaires soit aussi relativement élevé. Les conditions ont changé et nous continuerons à avoir des tensions car l'économie progresse et les industries doivent s'adapter. Le produit manufacturier mauricien doit être différent de celui de Madagascar, par exemple, car les conditions ne sont pas les mêmes. Il nous faut produire ce qui peut se vendre plus cher, des produits à valeur ajoutée. Pour le tourisme, c'est la même chose, comment se différencier de nos concurrents et justifier que la destination soit plus chère ?", dit pour sa part l'économiste Pierre Dinan.

Donc finalement, retenir sa main-d'oeuvre et améliorer sa productivité devront passer par une restructuration de l'offre aux employés, incluant les salaires. Aussi, pour tout le soutien accordé aux compagnies qui aujourd'hui publient leurs profits, un retour d'ascenseur reste opportun !

Renganaden Padayachy: "Nos indicateurs économiques sont dans le vert"

Le ministre des Finances, Renganaden Padayachy, s'est exprimé après la rencontre, lundi, de la plateforme des secteurs privé-public au Henessy Park Hotel à Ébène. "Nous avons mis en place ce comité pour travailler conjointement avec le secteur privé face aux différents défis que l'on rencontre, faire un état des lieux et avancer ensemble par la suite. Ce comité est sous l'égide de l'Economic Development Board, où il y a un département qui travaille en permanence avec le secteur privé.

De notre côté aujourd'hui, il nous fallait, après le premier trimestre suivant la présentation de l'exercice budgétaire 2022-23, voir comment accompagner cette reprise économique. Nous anticipons de fortes reprises des activités économiques en 2022 avec tous les indicateurs qui sont au vert, incluant le taux de croissance, le PIB et la performance des exportations. Nous travaillons secteur par secteur, en vue de repérer les défis auxquels ils sont confrontés." Selon le ministre, au niveau macro-économique, le principal défi du moment reste l'inflation. "Nous parlons de cela aux entrepreneurs pour une prise de conscience de ce défi, car prochainement il y aura les négociations tripartites. Nous devons prendre en compte cet élément."

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