Afrique de l'Ouest: Sahel et l'initiative d'Accra - Conditions de réussite.

L'initiative d'Accra est née de la volonté de sept pays ouest-africains de mutualiser leurs moyens pour faire face aux menaces émergentes : Benin, Burkina Faso, Côte-d'Ivoire, Ghana, Mali, Niger et Togo. Le Nigeria s'y est associé, lors d'un sommet des chefs d'États et de gouvernement concernés qui s'est tenu dans la capitale ghanéenne, le 22 novembre dernier. Les pays membres veulent aller vite dans l'action. Pour être efficaces, ils ont besoin de remplir certaines conditions : forger une vision stratégique commune ; réunir, dans les plus brefs délais, les moyens de leurs ambitions ; s'ouvrir à d'autres pays de la sous-région ; et nouer des partenariats tous azimuts.

Les pays d'Afrique de l'ouest souffrent, dans l'ensemble, de l'expansion du terrorisme.

En 2012, l'État central malien a failli tomber entre les mains de divers mouvements terroristes, après le renversement du président d'alors, Amadou Toumani Touré. Le Burkina Faso a essuyé ses premières salves terroristes le 16 janvier 2016. La Côte-d'Ivoire a connu sa première attaque terroriste, celle de la cité balnéaire de Grand-Bassam, le 13 mars 2016. Le Togo a subi sa première frappe, la nuit du 09 au 10 novembre 2021, dans la localité de Sanloaga, au nord du pays, à sa frontière avec le Burkina Faso. Le Bénin a reçu un coup de semonce, le 1er mai 2019, avec l'enlèvement de deux touristes français. Puis, le 02 décembre 2021, dans la nuit, deux soldats des Forces armées béninoises (FAB) ont été tués par des terroristes, dans la localité de Porga, près de la frontière avec le Burkina Faso. La fondation allemande Konrad Adenauer a conduit une étude intitulée : "La menace djihadiste dans le nord du Ghana et du Togo". Selon ses conclusions, publiées le 06 avril 2022, il y a, probablement, des implantations de groupes armés jihadistes dans le nord du Ghana. Plus de 200 jeunes Ghanéens se répartiraient dans des groupes comme Ansar al-Islam, présent au Burkina Faso et au Mali, ou encore le Groupe de soutien à l'islam et aux musulmans (GSIM). Le Nigeria fait face à l'insurrection de la secte Boko Haram, depuis 2009. D'autres groupes armés y sévissent aussi.

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Vision stratégique : un ennemi commun

Le Mali est l'épicentre du terrorisme au Sahel, en ce sens qu'une " internationale jihadiste " s'y est, progressivement, implantée. Des groupes armés tantôt fusionnent, tantôt se combattent sur son territoire. Schématiquement, on peut observer deux branches. Proche d'Al Qaida, le Groupe de soutien à l'islam et aux musulmans (GSIM) est une alliance de plusieurs mouvements islamistes armés du Sahel. Le Malien Iyad Ag Ghali en est le chef. Dans le sillage de ce mouvement, Ansaroul Islam, créé en 2016 par Ibrahim Jafar Dicko, mort en 2017, est présent au Burkina Faso. L'État islamique au Grand Sahara (EIGS) était dirigé par un ancien membre du Front Polisario, Adnan Abdou Walid al Saharaoui. Ce dernier était aussi un des cadres du Mouvement pour l'unicité et le jihad en Afrique de l'Ouest (MUJAO) qui a croisé le fer avec l'opération française Serval, en 2013. Il a été tué par la force Barkhane, le 17 août 2021 au Mali. Dans le même giron, évolue la compagnie ou Katiba Macina que dirige Amadou Koufa, qui entend de sa propre initiative mobiliser essentiellement ses frères ethniques, depuis le centre du Mali, afin de soutenir l'Islam, dans les pays suivants : Burkina Faso, Cameroun, Côte-d'Ivoire, Ghana, Mali, Niger, Nigeria et Sénégal. À cette liste, on peut, à présent, adjoindre le Bénin, et le Togo.

Réunir les moyens appropriés.

Les États ont intérêt à reconnaitre que l'insécurité concerne tous les pays membres de la CEDEAO et le Tchad dont les soldats sont présents au Mali, depuis 2013, lors du déploiement de l'opération française Serval. Face à cette pieuvre qui projette, sans cesse, ses tentacules, les chefs d'État et de gouvernement membres ont décidé de mettre en place une force conjointe anti-terroriste de 10 000 hommes avec un budget de 550 millions de dollars américains, soit 275 milliards de FCFA. On peut émettre des doutes quant aux capacités des États membres à mobiliser eux-mêmes de telles ressources. En effet, la CEDEAO peine à réunir les moyens financiers et logistiques pour activer sa Force en attente (FAC). Rien que pour le déploiement de ses troupes sur des théâtres d'opérations, l'organisation a souvent eu recours à des puissances étrangères - EU et USA - faute de disposer de moyens financiers nécessaires. Un autre mauvais présage est venu, récemment conforter ce scepticisme : la construction du futur siège officiel de la CEDEAO d'un cout de 31,6 millions de dollars, sera entièrement assuré par la Chine selon les termes de l'accord conclu le 16 mars 2018 entre les deux parties, à Abuja, siège de de l'organisation. Les travaux de construction ont commencé le 04 décembre 2022, et prendront trois ans. Les 15 pays membres n'ont guère pu réunir cette somme. L'exemple vient de plus haut : le siège de l'Union africaine, à Addis Abeba, en Éthiopie, avait aussi été un cadeau de la même Chine, en 2012. Dans les deux cas, la condition était d'intensifier sa coopération économique avec les deux entités africaines. Pékin en tire aussi des bénéfices diplomatiques, puisque le 24 mai 2018, le Burkina Faso a annoncé la rupture de ses relations diplomatiques avec Taiwan. L'argument est que ce pays souhaite nouer un meilleur partenariat afin de consolider son développement socio-économique et de faciliter les projets régionaux et sous régionaux. Les bailleurs potentiels de l'Initiative d'Accra, outre ses membres, sont ceux qui en ont manifesté l'intérêt, à l'occasion du sommet éponyme, le 24 novembre 2022 : le Conseil européen, l'ONU, l'Allemagne, le Danemark, l'Espagne, les États-Unis, la France, la Norvège, les Pays-Bas et le Royaume-Uni.

Les Opportunités existent.

À côté de cette contrainte sérieuse ou handicapante, des opportunités d'entente se présentent. Les États de la sous-région reconnaissent que l'insécurité concerne tous les pays membres de la CEDEAO et le Tchad dont les soldats sont présents au Mali, depuis 2013, avec le déploiement de l'opération française Serval. Ils considèrent cette question comme prioritaire, car, sans sécurité, pas de développement. C'est ainsi que le Niger, par exemple, consacre jusqu'à 17% de ses ressources budgétaires à la sécurité, contre 10% prévus, depuis 2011. Autant en moins pour les secteurs sociaux de base. La volonté de travailler à mutualiser les moyens, humains, en armements, en logistiques et financiers pour affronter l'hydre terroriste est aisée à démontrer chez les dirigeants ouest-africains. L'armée sénégalaise renforce sa présence dans l'est du pays, près de la frontière malienne, anticipant sur la menace jihadiste, en construisant deux camps militaires à Koungheul, dans la région de Kaffrine, et à Goudiry, à Tambacounda. Le premier, situé à 618 kilomètres à l'est de Dakar, a été inauguré le 27 décembre 2022 par le président Macky Sall. Une façon d'aider le Mali à contenir les terroristes, en se protégeant. En 2021, un rapport des Nations-Unies alertait le Sénégal sur la présence possible d'éléments du GSIM à Kaffrine, justement. De son côté, la Côte-d'Ivoire a entrepris de muscler sa lutte contre le terrorisme. En août 2021, le président Alassane Dramane Ouattara, fortement encouragée par la France, a créé, par un décret non rendu public, le Centre de renseignement opérationnel anti-terroriste (CROAT), placé sous une double tutelle : la présidence de la République, dont relève déjà le Conseil national de sécurité (CNS), et le ministère de la Défense. Le Centre comprend cinq départements, qui vont du recueil et de l'analyse des renseignements, à l'appui technologique, à la coopération internationale aux opérations. Celles-ci s'étendent aux actions hors du territoire ivoirien, éventuellement.

Wagner : la pomme de discorde.

Outre le défi de la mobilisation des ressources, des obstacles à la collaboration entre tous les états membres de la CEDEAO parsèment l'opérationnalisation de l'Initiative d'Accra. La présence de la société de paramilitaires russes, Wagner au Mali lui vaut des tensions avec les autres pays ouest-africains, à l'exception du Burkina Faso et de la Guinée-Conakry. La présomption de collaboration récente entre Wagner et le Burkina Faso provoque également des incompréhensions entre ce pays et ses voisins du Ghana et du Niger, notamment. Aux accusations du Ghana portant sur cette idylle sécuritaire, le Burkina a réagi vigoureusement, en rappelant son ambassadeur à Accra, puis en convoquant celui du Ghana à Ouagadougou pour explication. Le 21 décembre 2022, une mission ghanéenne de haut niveau s'est rendue au Burkina Faso pour une explication directe. L'ambassadeur du Burkina Faso à Accra n'ayant pas encore regagné son poste, on peut supposer que des réglages supplémentaires s'imposent avant une normalisation complète des liens entre les deux voisins. Des tensions diplomatiques persistent aussi entre la Côte-d'Ivoire et le Mali, en raison de la détention continue des 46 militaires ivoiriens arrêtés à l'aéroport de Bamako, le 10 juillet 2022. De plus, la junte malienne est convaincue que le président Alassane Dramane Ouattara a influencé l'UEMOA et la CEDEAO dans la prise de sanctions contre le Mali après le second coup d'État perpétré par le colonel Assimi Goīta en neuf mois. La collaboration du Burkina Faso et du Mali à ce grand projet de lutte contre le terrorisme, Accra Initiative, s'annonce donc difficile. Malgré ces écueils, le bateau de l'Initiative peut, déjà, quitter le port d'Accra...

consultant centre4s.org

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