Madagascar: Durcissement du système du travail forcé

Début 1920, de l'aveu même de M. Bensch, chef de la province du Vakinankaratra, le potentiel humain est déjà mis en coupe réglée aussi bien pour le compte des colons que de l'Administration. Il l'écrit au chef du district de Faratsiho (province de l'Itasy), le 6 mars 1920. " Pour vous permettre d'avoir une idée de l'effort que je fournis (sic), je vous dirai que le nombre des travailleurs que je donne (sic) dépasse le chiffre de 1500 par mois... " (Mise en valeur coloniale et travail forcé : La construction du chemin de fer Tananarive-Antsirabe 1911-1923, revue d'études historiques Hier et Aujourd'hui, N°1-2 1975).

Le gouverneur général par intérim Guyon décide de faire appel aux provinces voisines de l'Itasy et d'Ambositra et donne des ordres en conséquence. " Afin d'activer les travaux du railway Antsirabe, il est nécessaire que votre province contribue par contingent permanent de 200 manœuvres pour le chantier 13e lot" Ces ordres sont répercutés sur les districts limitrophes du Vakinankaratra, Ambositra et Faratsiho. Le 6 mars, Bensch fait l'instruction du chef de cette dernière circonscription : " Mon avis personnel est que votre tâche serait facilitée pour la main-d'œuvre que je fournis à diverses entreprises. Pour le tramway du lac Alaotra, c'est aussi mensuellement que sont relevés les prestataires payés... "

D'après l'auteur de l'étude, Jean Fremigacci (lire précédentes Notes) en fait, l'essentiel est de donner une apparence de légalité au procédé. " Telle est la fonction de l'expression prestataires payés qui camoufle mal l'institution du travail forcé. " Car, dit-il, aux termes de la loi coloniale (arrêté du 6 mars 1908), "l'indigène ne devait que huit journées, gratuites d'ailleurs, pour des travaux d'intérêt local ".

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Jean Fremigacci souligne que l'argument d'une rémunération pour la prestation étendue évoquée par l'Administration est fallacieux, car ce salaire n'attire personne, tellement il est très bas. Mais pour l'Administration, il se justifie " par le fait qu'il correspondait au taux de rachat des prestations ".

Pourtant, il n'est pas précisé qu'à la masse de la population qui désire se racheter, l'autorisation lui est de plus en plus refusée par les chefs de circonscription, comme le note la Mission d'inspection Norès (1919-1920). Mais dans tous les cas, les chefs de district comprennent ce que l'on attend d'eux : " Qu'ils maintiennent sur les chantiers un nombre fixe de travailleurs régulièrement renouvelés". Jean Fremigacci donne les contingents mensuels exigés en mars 1920. Sur une population totale de la province du Vakinankaratra de 190 000 habitants, les districts d'Antsirabe fournit 420, Betafo 300, Ambatolampy 250 ; dans la province d'Ambositra, le district d'Ambositra 200 ; et dans la province de l'Itasy, le district de Faratsiho 200.

Le mois suivant, le système se durcit. Le gouverneur général Guyon vient inspecter le chemin de fer et le chef de la province Bensch écrit dans une circulaire aux chefs de district, le 3 avril 1920: " Le gouverneur général a manifesté le désir de voir pousser activement les travaux. Il a décidé que le tronçon Tananarive-Ambohimandroso (77km) serait ouvert à l'exploitation dans le courant de la présente année et m'a prié d'assurer la main-d'œuvre nécessaire à l'achèvement des 12e et 13e lots... " Or, remarque l'auteur de l'étude, en un mois, les " prestataires payés " ont tout juste le temps de faire leur apprentissage et il faut " les libérer juste au moment où leur rendement devient intéressant ". Aussi Bensch décide-t-il " qu'ils resteront deux mois sur les chantiers, mesure que Guyon approuve aussitôt ".

Concernant les procédés à mettre en œuvre pour le recrutement, les instructions centrales et provinciales n'en soufflent mot. Jean Fremigacci s'en fait une idée par les réticences et les objections qui s'élèvent quand les chefs de district défendent les intérêts de leurs administrés. Ainsi à Ambatolampy, tout en assurant que " l'achèvement des travaux de chemin de fer a toujours fait l'objet de (ses) constantes préoccupations ", l'administrateur fait remarquer qu'il est " souvent obligé d'employer des moyens de contraintes ".

Le mémorandum Parrot est plus explicite. En avril 1920, en pleine moisson, " une immense rafle de la population masculine " est faite dans toute la province pour les besoins du TA. " Les villages étaient cernés de nuit par la garde indigène et, au petit matin, on met la main sur l'ilot récalcitrant. " Mais le procédé le plus courant est la désignation par les gouverneurs indigènes, les chefs de canton et les mpiadidy. " La corruption étant inévitable chez les subalternes très mal payés à l'époque, le poids de la corvée retombe sur les plus pauvres. "

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