Ile Maurice: Nazeer Bowud - "Les complications dans le football local reflètent la souffrance de la communauté sportive"

Le football local connaît une de ses pires crises actuellement. Entre l'absence de résultat et le bras de fer qui oppose la Mauritius Football Association (MFA) au ministère de l'Autonomisation de la jeunesse, des Sports et des Loisirs, l'avenir de cette discipline semble compromis. Nazeer Bowud, secrétaire général de la MFA, brandit la Charte olympique pour discréditer la Sports Act 2016. Il estime également que les choses peuvent s'améliorer avec une meilleure collaboration des partis concernés.

Nazeer Bowud, vous avez récemment pris vos fonctions de secrétaire général. Vous attendiez-vous à rencontrer autant de complications dans le football local ?

Oui et non. Comme j'étais déjà au poste de Deputy General Secretary depuis quelques années et avec plus de 30 ans d'expérience dans le sport et en particulier dans le football, cela m'a beaucoup aidé à mieux analyser et comprendre le système sportif à Maurice et le comparer avec d'autres pays qui ont réussi à transformer leurs sports en des modèles économiques qui dure, tels qu'en Europe ou aux Etats-Unis. A Maurice, le domaine sportif n'a jamais été un long fleuve tranquille. La politique et le sport ne font pas bon ménage. Il est grand temps que nous comprenions que les deux éléments binaires doivent coexister.

La politique a besoin du sport et vice versa. Chacun doit garder ses limites. Le sport reste et doit rester apolitique. A Maurice, il y a beaucoup de techniciens sportifs, mais pas d'administrateur ou manager du sport dû à la méconnaissance du sujet, des différents règlements et des procédures relatifs aux développements du sport, des législations du sports tels que la Sports Act 2016. Cette loi n'est pas une loi-cadre. Elle est destinée à mieux contrôler le sport. Or, chaque discipline sportive est très réglementée par sa Fédération internationale qui est en ligne avec la Charte olympique qui demande à ce que le sport soit autonome.

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Vous tenez bon pourtant...

La MFA étant la plus grande fédération sportive à Maurice avec 26 clubs élite et un peu plus de 280 clubs régionaux, c'est sûr que je m'attendais à rencontrer des complications dans le football local et c'est aussi mon rôle de trouver des solutions. J'ai intégré la MFA, au sein du comité-exécutif, en 2001-2002 dans le sillage de l'implémentation de la Sports Act 2001 qui a été justement amendée en 2002 pour cause d'ingérence gouvernementale dans les affaires de la MFA, après une énième intervention de la FIFA et aujourd'hui l'histoire se répète. Ce n'est pas normal qu'après 22 ans nous parlons encore de relance du football. Durant cette période, il y a eu quatre Sports Acts incluant 2001, amendées en 2002, 2013 et 2016.

Or, il y a des grandes nations qui dominent le sport mondial et n'ont uniquement qu'un décret ou une simple loi-cadre. Depuis quelques années, de par mon engagement patriotique, mon expérience et mon sens de l'écoute, j'ai aidé à la mise en place de procédures et de projets afin d'améliorer le football local car c'est aussi ma plus grande passion. Les complications dans le football local reflètent la souffrance de la communauté sportive à Maurice. Cela dure depuis plus de deux décennies et de manière générale, les sports collectifs éprouvent de plus en plus de difficultés à avancer de par le manque de revenus. Je ne parle pas seulement du soutien financier du ministère des Sports, mais l'absence d'un cadre légal. Ma résilience m'aide beaucoup à gérer les crises. J'ai appris qu'à travers des crises, émergent aussi des opportunités.

Vous avez récemment déclaré dans nos colonnes que la Sports Act de 2016 va même à l'encontre de la Charte olympique. Pouvez-vous nous en dire plus ?

Une partie des textes de la Sports Act 2016 sont en contradiction avec les règlements existants des fédérations sportives internationales et la Charte olympique, tels que la modification de la composition et la configuration des membres des fédérations sportives, qui composent leurs assemblées générales et dans le cas du football, 89% de représentativité venant des clubs régionaux et seulement 11% des clubs de l'Elite. Cette législation prive les Rodriguais de leurs votes aux différentes assemblées générales des différentes fédérations. La convocation, par une partie tierce, de l'assemblé générale de chaque fédération sportive à travers le ministère ou encore la mise en place, par cette même partie tierce, d'un caretaker committee pour gérer les affaires d'une fédération sportive sont autant de contradictions qu'il faut dénoncer. Il y a aussi l'imposition des élections aux seins des fédérations à travers un mode qui est loin d'être démocratique ou encore l'omission d'inclure le Tribunal d'Arbitrage du Sport (TAS) comme dernier recours à la justice dans le sport comme le prévoit les instances sportives internationales et la Charte olympique. Bref, vous comprenez déjà, à travers ces quelques points élaborés, qu'il y a suffisamment de matières pour dire qu'il y a une grande nécessité de revoir la Sports Act 2016. En janvier 2020, le ministère avait écrit aux fédérations sportives pour les informer qu'une nouvelle Sports Act était en préparation et l'objectif de cette correspondance était de demander aux fédérations de soumettre leurs différentes propositions avant le 14 février 2020. Si la Sports Act 2016 était sans faille et que certains le défendent aujourd'hui, pourquoi donc une autre législation était en préparation en 2020 et qu'en est-il advenu ?

Que prévoit cette Charte ?

A travers les principes fondamentaux de l'Olympisme au para. 5, elle reconnaît que "le sport est pratiqué dans le cadre de la société, les organisations sportives au sein du mouvement olympique se doivent d'appliquer le principe de neutralité politique. Elles auront les droits et obligations inhérents à l'autonomie, à savoir le libre établissement et le contrôle des règles du sport, la définition de leur structure et gouvernance, la jouissance du droit à des élections libres de toutes influences extérieures et la responsabilité de veiller à ce que les principes de bonne gouvernance soient appliqués". Aux paragraphes 5 et 11, on peut lire que le rôle du CIO est "d'agir dans le but de renforcer l'unité du Mouvement olympique, de protéger son indépendance, de maintenir et promouvoir sa neutralité politique et de préserver l'autonomie du sport" et de "s'opposer à toute utilisation abusive politique ou commerciale, du sport et des athlètes". Donc, ce n'est pas seulement la FIFA qui interdit l'ingérence du gouvernement dans leurs fédérations nationales mais aussi les autres fédérations sportives internationales. L'American Bar Association (ABA) a conclu ceci dans une de ses publications : "Beyond the format, organization, and content of the Olympic Charter, it is important to consider the legal status of the document. The Olympic Charter has been recognized as "the supreme corpus of rules" that governs the Olympic Movement. The recognition comes formally from the Court of Arbitration for Sport (... ) but also informally among governmental and legal entities around the world."

Donc la Sports Act ne peut clairement pas être appliquée. Alors pourquoi le gouvernement, par le biais du ministère des Sports, s'obstine autant ?

Je déplore le fait qu'il n'y ait jamais eu de consultation avec les fédérations sportives avant que la Sports Act 2016 ne soit approuvée à l'Assemblée nationale en décembre 2016. Quelques semaines auparavant, j'avais demandé une copie du Sports Bill, sans succès. Il est aussi vrai que le ministre Stephan Toussaint a hérité de cette législation de son prédécesseur en janvier 2017, soit tout juste un mois après l'entrée en vigueur de la Sports Act 2016. Cela dit, une bonne partie du texte peut être appliquée et sont déjà intégrée dans les nouveaux statuts de la MFA, mais les parties qui sont en contradictions avec l'esprit de la Charte olympique et les règlements des fédérations sportives internationales doivent être absolument revues. Le premier rôle du ministère des Sports est d'assister la communauté sportive, aider à l'épanouissement des fédérations et permettre leur développement. Les spécialistes du sport se trouvent dans les fédérations.

Vous prônez l'apaisement (comme rapporté dans notre édition du 23 janvier). Quelles sont selon vous les meilleures solutions pour décanter cette situation ?

Le problème ne concerne pas que le football. Depuis des décennies nous avons utilisé et pratiqué le système vertical dans le sport à Maurice. La Sports Act 2016 prône ce principe. C'est un système hybride dénué de philosophie et qui n'a aucun objectif. Si on creuse davantage, on s'aperçoit que la Registry of Associations Act, qui date des années 70, n'est pas appropriée aux structures légales du sport moderne. Les clubs et les fédérations doivent être reconfigurés en une organisation sportive non-gouvernementale avec des provisions commerciales pour qu'ils soient financièrement autonomes. Aucun business model ne peut exister avec ces deux législations. Il est grand temps que tous les partis en discutent concrètement. En Europe, 80% des clubs se sont convertis en des Private & Commercial Sports Companies et la tendance est à la hausse. Une meilleure communication entre les parties concernées et le respect des limites sont plus que nécessaires aujourd'hui, afin que le sport mauricien commence à se transformer et donne des résultats prometteurs.

Ne pensez-vous pas qu'il est déjà trop tard pour parler d'apaisement ?

Je ne pense pas qu'il y ait eu une guerre entre les parties concernées. Il n'est jamais trop tard pour solidifier cette relation et regarder ensemble vers l'avenir. On dit que le sage remet toujours son savoir-faire et ses connaissances en question afin de continuer à se parfaire. Il faut comprendre que les législations nationales telles que la Sports Act et la Registry of Associations Act sont statiques alors que le sport est dynamique. Ce n'est une surprise pour personne que si la législation sportive n'est pas une loi-cadre, il y aura des contradictions avec les règlements internationaux.

Un sort semblable à celui du MTC plane sur la MFA selon vous ?

Pas du tout. Je vous demande quel investisseur mettra son argent dans une entreprise où le retour sur investissement est proche de zéro vu que les deux législations actuelles ne permettent pas de me contredire.

Il faut tout de même admettre que depuis plus d'une décennie, le football local fait du surplace et a couvert de nombreux scandales. Quel est votre avis ?

Je suis convaincu que si vous enlevez les supposés scandales qui sont directement liés au non-enregistrement de nos statuts de 2012 par le Registry of Associations, il ne vous en reste pas beaucoup.

La Fifa avait accordé jusqu'à la mi-janvier pour passer à l'action. Pourquoi, selon vous, rien n'a encore été fait ?

C'est une procédure qui prend plusieurs jours et il faut qu'elle soit entérinée par le Fifa Council qui a son propre calendrier de travail. Je pense aussi que la Fifa accorde un peu de temps pour que les autorités mauriciennes proposent des solutions.

En cas de suspension, pouvez-vous nous dire quelles seront les conséquences pour Maurice d'un point de vue footballistique ?

Cette suspension arrivera seulement si on ne trouve pas de solution pour que les statuts de la MFA soient rapidement approuvés et qu'il y ait ingérence du gouvernement dans les affaires de la fédération. Les deux options proposées par le ministère provoqueront une suspension. Outre l'interdiction de disputer des rencontres internationales et l'arrêt des aides financières telles que Fifa Forward, il y aura probablement une mise en veilleuse des différentes collaborations avec des clubs européens. Sachez que 211 pays membres de la Fifa recevront cette correspondance. Cela va ternir l'image de Maurice et va affaiblir les collaborations politico-économiques avec les autres pays. Il ne serait pas surprenant que le Comité international olympique (CIO) prenne également position en brandissant la menace d'une suspension car les textes de loi de la Sports Act 2016 ne touchent pas uniquement le football mais toutes les disciplines olympiques à Maurice.

Expliquez-nous ce que cela coûtera à la MFA si elle perd son statut de "Fédération" pour celui d'"Association" ?

Tout simplement une suspension de la Fifa avec des dommages collatéraux comme élaborés plus haut.

Pensez-vous qu'il n'y a plus de communication entre la MFA et le ministère des Sports ? Comment en est-on arrivé à cette situation ?

Entre juin 2022 et le 9 janvier 2023, le ministère n'a concrètement jamais répondu à nos courriers et sollicitations au sujet des nouveaux statuts de la MFA et les textes conflictuel ou litigeux avec la Sports Act 2016. S'il n'y a jamais eu de consultations avec tous les parties concernées avant de faire approuver la Sports Act 2016, il est normal que les litiges surviennent après. Je pense que certains "individus" comme la Fifa les surnomment, ont un agenda caché d'autant plus que nous sommes en période pré-électorale à la MFA. Ces individus conseillent très mal le ministère et complotent pour déstabiliser la fédération. Leurs actions sont répréhensibles comme souligné dans les règlements qui existent à la MFA et à la FIFA.

C'est triste de savoir que ces personnes ont la prétention de devenir les principaux acteurs de notre football de demain. A huit mois des JIOI, l'interdiction d'utiliser les stades pour l'organisation de compétitions et pour les entraînements des clubs sans compter l'absence de soutien financier aux clubs impactent négativement la préparation de nos équipes et leur performance. Je demande au ministère de reconsidérer ses décisions afin que nos compétitions de football se poursuivent dans les meilleures conditions. Le sport mérite mieux pour avancer. Je suis optimiste quant à l'avenir du football et du sport à Maurice avec le soutien et la compréhension des vrais acteurs de cette discipline.

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