Sénégal: Dr Safiatou Thiam / Secrétaire Exécutive du CNLS - " La réponse pour l'élimination du VIH se fera avec les femmes "

Secrétaire exécutive du Conseil national de lutte contre le Sida (Cnls), Dr Safiatou Thiam
20 Mars 2023
interview

En ce mois de mars, nous avons donné la parole à la Secrétaire exécutive du Conseil national de lutte contre le Sida (Cnls), Dr Safiatou Thiam, qui fait le point sur la situation du Vih, chez les femmes. Dans cet entretien, elle reconnait que les femmes sont plus vulnérables à cette maladie avec un taux de prévalence de 0,4%. Cependant, Mme Thiam est convaincue que l'élimination du Vih au Sénégal et dans le monde passera par les femmes puisqu'étant plus engagées dans la lutte.

Est-ce que vous pouvez nous faire la situation du Vih au Sénégal en particulier chez les femmes ?

De manière générale, le taux de prévalence du Sida est faible au Sénégal. Je peux même dire que le Sida est en déclin dans notre pays. Si nous regardons en termes de prévalence, le taux est faible. Elle est de 0,3 % dans la population générale. Chez les femmes, cette prévalence est de 0,4 %. Ce taux est lié à plusieurs facteurs : les femmes sont naturellement plus vulnérables au Vih. Cette vulnérabilité s'explique par la nature anatomique des femmes mais aussi le Vih, comme les autres infections sexuellement transmissibles (Ist), sont fortement liés aux comportements dus aux problèmes économiques et sociaux.

Les femmes ont moins de pouvoir économique. Elles sont aussi moins éduquées. Le manque d'éducation expose à des risques des maladies de manière générale et du Sida et des Ist en particulier. Tous ces facteurs font que les femmes sont plus exposées au Vih/Sida. A cela s'ajoute le manque d'autorité parce qu'une femme va négocier difficilement le préservatif avec son partenaire. Ce sont ces facteurs qui exposent la femme et expliquent en partie que les femmes soient plus vulnérables aux Ist et au Vih.

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Des femmes vivant avec le Vih-Sida sont en général sous Arv, mais est-ce qu'elles ont accès à d'autres soins liés à cette maladie ?

Ce qui est positif, chez les femmes, c'est qu'elles utilisent plus les services de santé que les hommes. Cela s'est confirmé dans la prise en charge ou la prévention du Vih parce que nous dépistons plus de femmes. Peut-être, c'est à cause de cela qu'il y a plus de femmes vivant avec le Vih que d'hommes. En plus, nous faisons beaucoup de dépistages à travers les consultations prénatales.

Les femmes fréquentent plus des structures de santé que les hommes. Dans nos cohortes de patients, nous avons plus de femmes. Mais aussi bien pour les hommes que les enfants, les médicaments sont gratuits au Sénégal. Toutes les personnes dépistées positives au Vih, au Sénégal, sont mises automatiquement aux Arv. Je veux poser mon doigt sur ce qui est positif chez les femmes. Elles vont plus dans les structures de santé pour se soigner que les hommes.

Après cette description, vous pensez que la réponse à l'élimination du Vih, pourrait venir des femmes ?

Le Vih/Sida s'est féminisé au Sénégal. Cependant, nous avons remarqué que les femmes sont plus engagées dans la lutte contre cette maladie. Elles sont dans la mobilisation communautaire et le leadership. Dans la lutte contre le Sida, les femmes jouent un rôle clé. Je pense que la solution, pour mettre fin à cette pandémie viendra des femmes. D'ailleurs, l'élimination de la transmission de la mère à l'enfant ne peut se faire qu'avec les femmes.

Ce sont elles qui viennent en consultation prénatale et qui acceptent de se faire dépister et se soigner pour sauver ou protéger leurs enfants. Les femmes sont au coeur des trois stratégies de lutte contre le Sida. Elles sont facilement mobilisables. Elles sont engagées pour les questions sociales et surtout de santé. Donc, la réponse pour l'élimination du Vih se fera avec les femmes.

Est-ce qu'avec cet engagement, il y a encore des femmes vivant avec le Vih/Sida qui se cachent à cause de la stigmatisation ?

En faites les Sénégalais se cachent. Nous n'avons pas 10 Sénégalais aujourd'hui qui osent se mettre devant les caméras d'une télévision pour dire qu'ils ont le Vih sur plus de 30 000 personnes vivant avec cette maladie. Les femmes comme les hommes se cachent. Ils vont continuer à se cacher parce que la prévalence est faible. Au Sénégal, on ne voit pas beaucoup de personnes vivant avec le Vih/Sida.

Ce qui fait que certaines personnes ont toujours cette idée de vous dire "montrez-moi quelqu'un qui vit avec le Vih/Sida". En plus, les Pvvih vivent une stigmatisation et une discrimination dans les familles qui font qu'ils préfèrent se taire. Malheureusement, cela pose un problème parce que les femmes vivant avec le Vih n'osent pas révéler à leurs partenaires qu'elles vivent avec le Sida car elles ont peur d'être stigmatisée ou rejetées. Une femme nous raconte qu'après avoir a été testée positif au Vih, elle a informé sa mère. Depuis ce jour-là, cette dernière ne lui adresse pas la parole. Elle ne mange plus ensemble autour d'un même bol avec les autres membres de la famille. Elle avait tellement mal qu'elle est allée au niveau de l'association des femmes vivant avec le Vih où elle a exposé son problème.

Les femmes ont trouvé une solution en fabriquant un bulletin négatif et en retournant voir la mère pour lui dire que le laboratoire s'était trompé et que sa fille n'a pas le Vih. C'est ainsi qu'elle a pu intégrer de nouveau la famille. Elle se soigne normalement. Avec le traitement, elle l'accepte en pensant qu'elle n'a pas le Sida. Au Sénégal, la stigmatisation est un frein à la lutte contre le Sida. Si nous avons plus de femmes vivant avec le Vih qui osent se montrer à la télévision en faisant savoir à l'opinion qu'elles vivent positivement avec le Sida, cela nous aidera à avancer dans ce noble combat.

Est-ce que le Conseil national de lutte contre le Sida aide les femmes vivant avec le Vih avoir ce courage de dire aux Sénégalais qu'elles ont le Sida ?

Nous encadrons ces femmes en leur expliquant qu'elles peuvent vivre avec le Vih/ pendant de nombreuses années. En plus, quand elles prennent des traitements correctement, elles ne transmettent plus la maladie. Nous avons fait une campagne "U égale U" (Ndlr : Indétectable égal intransmissible) dans ce sens. Mais nous ne pouvons pas forcer une personne à aller devant les caméras d'une télévision pour dire qu'elle a le Vih.

Par contre, mon plaidoyer est que tant que l'on continue à cacher le Vih, nous n'allons pas éliminer cette maladie. Il faut que les personnes atteintes de Sida osent dire, comme les insuffisants rénaux, les diabétiques, les personnes souffrant de maladies cardiovasculaires, entre autres, qu'elles vivent avec le Sida. Il faut que nous arrivons à cela. Les personnes vivant avec le Vih le savent mais la stigmatisation fait qu'au Sénégal, les gens sont obligés de se cacher avec la maladie.

Est-ce que les Pvvih ont compris ce message qui qualifie le Sida de maladie chronique et qu'en suivant le traitement, elles peuvent, pendant plus de 20 ans, vivre avec cette maladie ?

Toutes les personnes vivant avec le Vih/Sida qui sont dans nos programmes le savent. Au début, le Sida faisait peur parce qu'il n'y avait pas de traitement. Par conséquent, il y avait eu beaucoup de morts. La communication au début était de dire aux populations faites attention parce que le Sida est une maladie grave. C'était la vérité à l'époque. Mais aujourd'hui, nous avons des traitements. Mieux, cette maladie ne tue plus. Malheureusement, les gens ont toujours peur du Sida. Mais les patients savent qu'ils peuvent longtemps vivre avec cette maladie.

Nous avons, aujourd'hui, des personnes âgées qui vivent avec les Vih parce qu'elles ont été contaminées depuis plus de 20 ans. Les premiers traitements au Sénégal ont commencé en 1998. Certains de nos patients sont sous traitement depuis 2000. Mais nous avons perdu des malades qui sont morts d'autre chose. Une Pvvih peut mourir du paludisme, de la tuberculose, de la Covid-19, de l'accident de la circulation entre autres. Mais en prenant le traitement correctement, une Pvvih, peut, comme toute autre personne, avoir des projets de vie puisque n'étant plus condamné à la mort. Toujours est-il que nous devons continuer à travailler pour rendre le Vih/Sida plus visible et lui donner un visage humain.

Qu'est-ce qu'est devenu le préservatif féminin ?

Le préservatif féminin est toujours là. Il a moins de succès que le préservatif masculin. Mais il reste important parce qu'étant un moyen de prévention contre les Infections sexuellement transmissibles (Ist) et le Vih. Les femmes travailleuses de sexes l'utilisent souvent. Dans des contrées où il y a des situations des violences des femmes mettent ces préservatifs. Nous étions au courant qu'il y a des femmes, même pour aller chercher du bois dans brousse et de l'eau, mettent des préservatifs féminins au cas où elles seront abusées. Le préservatif féminin ne peut pas remplacer celui masculin. Il est là seulement pour compléter le dispositif de moyens de prévention et donner aux femmes un moyen de protection.

Vous n'avez pas une histoire de femmes qui ont été divorcées après avoir contractées le Vih ?

Il y a pleines d'histoires. Si vous rencontrez les femmes vivant avec le Vih, elles vous racontent leur vécu. En tant que médecins, nous sommes témoins de quelques histoires. Par exemple, il y avait un homme que nous avons diagnostiqué positif au Vih, non seulement, il n'a pas informé son épouse mais il a continué à épouser d'autres femmes. Il y a aussi des femmes séropositives qui n'ont pas dévoilé leur statut à leurs maris par peur de divorcer. Cependant, nous avons des cas exceptionnels où une femme a informé son mari de son statut.

Elle a fait des démarches avec son mari. Ce dernier était venu me rencontrer pour me demander des informations. J'ai répondu à ses questions en lui faisant savoir que sa femme est sous-traitement et ne pourra pas le contaminer. J'ai appris que tous les trois mois, la femme accompagne son mari pour aller faire le dépistage. Le mari est jusque-là négatif et ils vivent heureux.

Qu'est-ce qui explique, aujourd'hui, la présence massive des femmes dans les programmes et institutions de lutte contre le Sida ?

Nous avons effectivement remarqué une forte présence des femmes dans les instances de lutte contre le Sida et des maladies infectieuses de manière générale. Le Sida est une maladie sociale qui touche les couches vulnérables. C'est une maladie difficile à gérer et qui touche toutes les parties de la médecine. Le Sida en plus d'être une maladie difficile à gérer, ne rapporte pas de l'argent par exemple à un médecin privé. Partout dans le monde, nous avons remarqué que les femmes, sur le plan technique, aiment bien s'investir dans la lutte contre le Sida.

Au Sénégal, le leadership des femmes dans la lutte contre le Sida n'est plus à démontrer. Il y a de nombreuses institutions comme le Cnls, qui sont dirigées par des femmes. Les femmes sont engagées dans les questions sociales qui touchent les personnes vulnérables. Ce qui me fait dire que la réponse du Vih/Sida passera par l'engagement des femmes. Elles auront un grand rôle à jouer dans l'élimination du Vih.

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