Ile Maurice: JinFei - De promesses de haute technologie à l'entreposage... de singes

Que ne nous a-t-on pas promis pour le "développement" de cette région de Riche-Terre après l'expulsion en 2006 de 120 petits planteurs qui y produisaient pourtant des légumes ? JinFei est aujourd'hui un endroit rempli de projets suspendus comme le chantier d'hôtel, de friches et d'entrepôts. On vient d'y découvrir une autre activité : repaire pour singes braconnés.

Jadis un endroit paisible, avec ses potagers et ses jardins de fleurs, cet immense terrain a été offert à Tian Li/JinFei par les Travaillistes, accompagné de grandes promesses. Même le gouvernement MSM n'a pu ni "développer" le terrain ni le rendre à ses planteurs. Non seulement les promesses faites ne se sont jamais réalisées, cette contrée est devenue un véritable no man's land, repaire de drogués, de règlements de comptes, de brutalité policière, de rallyes et maintenant d'élevage illégal de singes. Si les entrepôts d'entreprises de logistique commencent à y essaimer, ils sont loin de couvrir toute la friche. Cependant, il faut reconnaître que c'est grâce à Vishnu Lutchmeenaraidoo, sous le gouvernement de sir Anerood Jugnauth, que 325 des 500 arpents accordés aux Chinois par Rama Sithanen et Navin Ramgoolam en 2007 ont pu être récupérés.

C'est sur les 175 arpents conservés par les Chinois que Shafeek Jhummun a installé depuis septembre 2022 "l'abri" de macaques braconnés et destinés à l'exportation. Un bâtiment de 560 m2 sur un terrain d'un arpent est loué par Mauritius Jinfei Economic Trade and Cooperation Zone Co. Ltd (JinFei Ltd) pour environ Rs 34 500 par mois. Mais non à Hammer Head Ltd, le nom sous lequel est enregistrée l'entreprise de Shafeek Jhummun auprès du ministère de l'Agro-industrie, mais à une autre, Happy Family Ltd. Pensait-il aux familles heureuses de singes ? À l'Economic Development Board (EDB), on ne veut pas commenter. Cependant, on nous fait comprendre que des directives seront données à JinFei Ltd pour résilier sur-lechamp le contrat de location.

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C'est tout. L'EDB, qui accorde les permis dits de développement et qui supervise l'utilisation de cette zone supposément industrielle, n'y a rien vu. Un locataire dans le voisinage se demande comment on a pu accepter que des singes soient parqués parmi les entrepôts et autres bureaux. "Et le ministère de l'Agro-industrie qui a accordé cette letter of intent ?" w Un brin d'histoire L'occasion de revenir sur l'histoire d'un crime commis à notre pays, à son agriculture, à son économie et à ses petits planteurs avec l'expulsion brutale de 120 petits agriculteurs dès 2006 de ce terrain de RicheTerre, baptisé depuis JinFei. Ces terres sont offertes en 2009 aux Chinois à Rs 12 000 l'arpent. Alors que Landscope loue l'arpent à Rs 270 000 ! Les Chinois n'avaient donc qu'à se baisser pour ramasser l'oseille, en sous-louant les terres. Ou en y construisant des hangars qu'ils loueront à Rs 420 000 l'an, comme à Shafeek Jhummun . Sinon, le prix normalement appliqué est de Rs 1,25 million par arpent pour les projets de logistique et d'entrepôt.

En fait, ce ne sont que de tels projets qui existent, à part quelques bureaux notamment. Navin Ramgoolam, qui évoquait pourtant à l'époque son lien affectif avec cette région dont il était un représentant à l'Assemblée nationale, a autorisé cette expulsion. Mais Rama Sithanen était le père de ce projet et de ces promesses de miracle économique en cet endroit. Lors du lancement du projet en septembre 2009, en écoutant le discours de Navin Ramgoolam, les invités en avaient les larmes aux yeux. Pas pour les pauvres planteurs expulsés mais devant l'avenir radieux et peint en rose de notre économie grâce aux généreux Chinois. Le projet JinFei rappelait même à certains invités le début de la Zone franche en 1970.

Promesses démagogiques

Quelles étaient ces promesses des Travaillistes ? Un peu celles que nous ressasse le gouvernement MSM aujourd'hui : l'implantation de plusieurs grandes entreprises de haute technologie et de haute précision, de la pharmaceutique, de la fabrication d'instruments médicaux, de la production d'énergie solaire, de la transformation de produits de la mer, etc. Combien d'emplois seront créés ? 7 500, puis 35 000, puis 43 000. Et les recettes d'exportation prévues ? Retenez votre souffle : USD 212 millions, soit Rs 9 milliards annuellement. Et l'investissement direct étranger, combien ? Rs 25 milliards, rien que des Chinois. "Le plus grand projet d'investissement que Maurice a connu jusqu'à présent", s'emportait, enthousiaste, un journaliste en 2007, qui annonçait "qu'une quinzaine d'industriels chinois ont déjà pris l'engagement de s'installer dans la zone économique de Tianli qui démarrera cette année".

Mais à voir de plus près, ce ne furent jamais les Chinois qui se sont mouillés pour prendre de tels engagements. D'ailleurs, l'agence de presse officielle chinoise Xinhua soulignait le 17 septembre 2009 que ce sont "les autorités mauriciennes [qui] évoquent la possibilité que ce projet génère entre 34 000 et 40 000 emplois". Tout en reprenant des propos de Navin Ramgoolam : "Il a fallu toute la force de persuasion des autorités mauriciennes et la pertinence de sa diplomatie économique pour que le chef d'État chinois Hu Jintao donne des instructions formelles pour qu'un pays identifié (NdlR, en Afrique) soit éliminé et remplacé par Maurice ; les négociations, ayant duré deux ans, n'ont pas été faciles."

Le gouvernement travailliste investira plus de Rs 570,61 millions - somme colossale à l'époque - pour les infrastructures, dont Rs 330 millions pour une nouvelle voie pour desservir JinFei. Satish Faugoo apportera personnellement sa contribution au projet mort-né des Chinois en "s'occupant" des planteurs expulsés, envers lesquels il sera "intraitable" et "parfois mal élevé", dira Salim Muthy, la seule personne qui s'est intéressée au sort de ces agriculteurs déracinés.

Peu après, on apprendra que tous les emplois n'iront pas aux Mauriciens et que les Chinois ont imposé leurs travailleurs, leurs architectes, leurs ingénieurs, leurs équipements, etc. À ce jour, aucun projet industriel n'est sorti de terre. L'EDB, lui, ne table que sur l'immobilier, selon son habitude. Sinon, rien que du commercial, bureaux et entrepôts surtout.

Les 325 arpents repris et gérés par Landscope sont presque tous loués à bail pour des projets tout aussi non productifs. Parmi les preneurs, au moins deux Indiens dont le bâtiment a été construit par leurs compatriotes.

"Hot Pot"

Du côté des 175 arpents conservés par les Chinois, zéro promesse réalisée. Sauf dans l'immobilier construit par les entrepreneurs et travailleurs chinois (et un peu de Bangladais). Comme l'Eden Garden Culture and Entertainment Square, installé sur nos terres soldées et qui est un nouveau concurrent pour de tels projets locaux, publics et privés, qui ont foisonné ces derniers temps. Et que propose cet Eden ? Salle de fêtes, cinéma, l'incontournable salle de conférences, karaoké, billards, casinos, jeux électroniques et magasins. Mais, en fait, il est désert la plupart du temps, sauf à l'occasion de concerts, de lancements, où ses lumières jettent un peu de couleur sur les ombres tapies dans les terrains aux herbes hautes. Un projet qui, bien sûr, n'a rien à voir avec des usines de haute technologie ou autres usines créatrices d'emplois durables, de valeur ajoutée, de savoir-faire mauricien et génératrices de recettes en devises étrangères.

Terminé et fonctionnel, le NOAH Wealth Center, pour abriter les bureaux de JinFei... avec un abribus inutile en face. Ont aussi été construits les staff apartments dont le jaune criard est devenu douteux et qui dévoilent les vêtements que les résidents mettent à sécher près de leur fenêtre.

Ah oui, un autre projet est terminé : un petit restaurant de hot pot appartenant à un Chinois. Il était à vendre à un moment mais ce n'est plus le cas. Ce qui fait ironiser Salim Muthy : "Toutes ces promesses pour finalement finir avec un marchand de mines !"

Des projets abandonnés ou inachevés, il y en a beaucoup. Tel le chantier de Maritim JinFei Business Apartment Hotel, avec d'énormes fondations déjà creusées, dont le chantier carburait même durant le confinement. Et puis, tout s'est arrêté net et les Chinois ont plié bagage. "Ils avaient même racheté des terrains et démoli des maisons de l'autre côté de la route de Baie-du-Tombeau, pour acquérir davantage de terrain sur la mer, nous dit une habitante, mais tout a été brusquement stoppé il y a environ six mois. Les équipements et les habitations temporaires vides de travailleurs chinois sont restés sur place." Tout s'est figé, les grues jaunes et les barrières bleues laissant juste un trait de couleur autour de grands trous bétonnés, hérissés de barres de fer rouillées.

Pourquoi ce départ précipité ? Que s'est-il passé ? Ont-ils creusé trop profondément et rencontré l'eau de mer ? Ou alors, est-ce que les autorités mauriciennes ont dit halte pour des raisons non géologiques mais géopolitiques ? Selon une source, la maison-mère de JinFei ne voulait plus envoyer de l'argent. Mais pourquoi ? "Le projet n'est pas viable. Ils ne trouvent pas d'investisseurs."

Investisseurs en quête d'investisseurs

Toujours dans le souci de donner des contrats et du travail aux Chinois, tout le projet immobilier de la JinFei Smart City est resté dans les cartons. Encore une fois, les Chinois investisseurs seraient à la recherche... d'investisseurs. Avec les autres projets immobiliers et spéculatifs de Sino-Africa Finance Service Center, de PDS Villa Project, d'un Entrepreneur's Club, d'un cliff-top restaurant, d'un Bar Street and Food & Shopping Street, etc.

Devant la faillite de ce projet d'industrialisation, le professeur en géopolitique Shafick Osman s'interrogeait déjà en 2011 : "Les Chinois se sont-ils finalement rendu compte que Maurice n'était pas la tête de pont qu'on avait fait miroiter entre l'Asie et l'Afrique ? Ou ont-ils déjà localisé les marchés et centres de production nécessaires en Afrique de l'Est et en Afrique australe ? Peut-être les deux ?"

Goldox, concurrent des Mauriciens

Parmi les rares entreprises installées à JinFei, le cas du concurrent chinois Goldox Construction Ltd est très intéressant. Il ne produit bien sûr rien et allait en fait profiter des chantiers de Riche-Terre pour offrir ses services et ses travailleurs. Devant le manque de projets sur place, il s'est tourné vers d'autres endroits. Bref, un constructeur de plus pour concurrencer les locaux. Le groupe Goldox s'est mis aussi dans la quincaillerie pour se fournir, fournir les chantiers de JinFei et ailleurs. Eh oui, un concurrent étranger installé sur nos terres soldées! Ce n'est pas tout. Le groupe a également créé Goldox Travel And Tours Ltd, par laquelle passeront les travailleurs et touristes chinois. L'EDB a approuvé. Et une agence de voyages de plus pour les locaux ! Selon nos renseignements, cette agence voulait capter aussi le marché des Mauriciens voulant visiter la Chine.

Adding insult to injury

Devant les offres des terrains de JinFei, une entreprise bien mauricienne a fait la demande pour un lopin de terre dans cette région désaffectée. L'EDB accepte et envoie le dossier au bureau du Premier ministre. Qui le rejette car l'entreprise n'est pas dans les bons papiers du gouvernement MSM. Quelques semaines après, un heureux bénéficiaire d'un terrain à JinFei approche l'entreprise dont la demande venait d'être rejetée par le PMO. Il propose de sous-louer, avec une grosse marge, bien sûr, son terrain. Ce qui est refusé, évidemment. Comment appelle-t-on cela ? Spéculation politico-affairiste-foncière ? Le directeur de l'entreprise approchée nous fait cette réflexion : "Même si le paradis n'existait pas, l'enfer devrait exister rien que pour punir ce genre de méchanceté et d'avidité."

Un concurrent venu et reparti

Dans son article de 2011, Shafick Osman citait Jean-Michel Giraud, directeur général d'UBP à l'époque, qui trouvait dans ce projet JinFei "quelque chose de louche", notamment le fait que l'Oriental Group, un constructeur chinois, ayant fait savoir qu'il comptait importer du clinker (NdlR, une sorte de ciment), qu'il disposerait de sa propre concasseuse pour produire les agrégats, le sable et le rocksand, qu'il aurait sa propre fabrique de parpaings ainsi que sa propre fabrique de carrelage. Pour concurrencer les opérateurs locaux existants. Finalement, Oriental Group est allé voir ailleurs.

Les avertissements des économistes

Dès 2011, les économistes Vinaye Ancharaz et Baboo Nowbutsing dénonçaient à l'international ce projet qui, selon eux, n'aiderait pas notre économie mais, au contraire, aggraverait notre déficit commercial avec l'importation de matières premières et le paiement des salaires des travailleurs chinois. Ils ne croyaient pas au transfert promis de savoir-faire et de technologie de la Chine vers Maurice. Avec le recul, ils avaient raison.

Durant cette même année 2011, Shafick Osman écrivait un brûlot dans cairn.info : " JinFei à Maurice, un projet fantôme ?" Il rappelait que c'était le ministre des Finances de l'époque, Rama Sithanen, qui s'était rendu en Chine en mai 2007 et avait rapporté ce projet dans ses valises: 500 hectares aux Chinois. Shafick Osman constatait en 2011 que comme projets concrétisés, il y avait "plutôt des infrastructures qu'autre chose". Et de rappeler comment Pravind Jugnauth, ministre des Finances entre mai 2010à juillet 2011, donnait des réponses évasives aux questions parlementaires à ce sujet. "Cela après que le gouvernement ait délogé des dizaines de planteurs malgré les protestations et une grève de la faim."

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