Afrique: Comment les gouvernements africains soutiennent-ils l'agriculture ?

Les femmes salariées dans l'agriculture gagnent 82 cents pour chaque dollar gagné par les hommes. (archive)
analyse

Du 9 au 11 janvier, l'Union africaine organise un sommet extraordinaire sur le développement agricole de l'Afrique. Mais comment sont comptabilisés les efforts des pays africains par rapport à d'autres régions du monde ? Consacrent-ils 10 % des budgets publics nationaux à l'agriculture ? Réponses en chiffres et en graphiques.

Ce jeudi 9 janvier 2025, débute le sommet extraordinaire de l'Union africaine en Ouganda. Son objectif ? Dessiner la nouvelle feuille de route pour l'agriculture africaine à l'horizon 2035. En 2003 déjà, le programme détaillé de développement de l'agriculture africaine (PDDAA) est assorti d'un engagement clair : consacrer au moins 10 % des budgets publics nationaux à l'agriculture et viser une croissance annuelle de 6 % du secteur.

Les travaux de l'Observatoire mondial des soutiens publics à l'agriculture et à l'alimentation de la Fondation FARM permettent de situer les efforts des pays africains par rapport à d'autres régions du monde. Les niveaux d'investissement public et les mécanismes de soutien agricole montrent des dynamiques variées.

Alors, quels bilans tirer des engagements financiers publics en faveur de l'agriculture en Afrique ?

L'objectif des 10 % : un cap difficile à atteindre

Éradication de la faim, réduction de la pauvreté de moitié et triplement des échanges intra-africains de produits agricoles d'ici 2025. Les engagements pris à Maputo en 2003 et réaffirmés à Malabo en 2014 peinent encore à être pleinement respectés.

Il existe de fortes disparités entre les pays. Si certains pays, comme la Tanzanie, le Kenya, l'Ouganda et le Mali, atteignent presque 15 %, et que l'Éthiopie se démarque avec 23 %, une majorité des pays reste loin du seuil fixé. Des pays comme le Ghana et le Rwanda n'allouent pas plus de 5 %, ce qui reflète un sous-investissement public dans l'agriculture. En moyenne, les dépenses publiques agricoles oscillent entre 5 et 7 %, bien en deçà de l'objectif des 10 %.

Dépenses rurales ou agricoles ?

Ces chiffres ne révèlent cependant qu'une partie de la réalité. Une analyse approfondie montre qu'environ 56 % des dépenses dites agricoles sont en réalité allouées à des secteurs connexes, tels que la santé, l'éducation ou les infrastructures rurales. Ces investissements, bien qu'essentiels, bénéficient indirectement à l'agriculture, sans pour autant cibler directement des leviers spécifiques au secteur. Nous pouvons citer les intrants - semences et engrais en particulier -, les infrastructures agricoles ou les programmes d'aide aux revenus des producteurs.

Cette situation soulève une question centrale : ces dépenses rurales doivent-elles vraiment être comptabilisées comme des dépenses agricoles ? Leur inclusion dans les budgets agricoles tend à masquer un sous-financement des dépenses directement destinées à améliorer la productivité du secteur. Une fois ces dépenses rurales exclues, les budgets réellement consacrés à l'agriculture apparaissent encore plus limités. Seule l'Éthiopie parvient à atteindre l'objectif fixé lors du Sommet de Maputo.

Repenser les subventions aux intrants pour stimuler la production

Les dépenses publiques dans le monde sont aujourd'hui l'objet de vives critiques. L'idée selon laquelle les subventions aux intrants agricoles en Afrique subsaharienne seraient excessives mérite d'être nuancée. Seuls 8 % des dépenses publiques agricoles soutiennent directement la production.

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Ces subventions représentent souvent l'unique forme d'aide directe accessible aux agriculteurs. Leur efficacité reste cependant limitée. Les mécanismes de mise en oeuvre souffrent de faiblesses structurelles qui limitent leur impact : ciblage inefficace des bénéficiaires, mauvaise gouvernance ou manque d'accompagnement techniques. Le faible niveau de ces subventions empêche de répondre pleinement aux besoins des producteurs. En outre, l'absence de mécanismes liant l'octroi ou la reconduction des aides à des objectifs mesurables constitue un frein majeur à l'amélioration de la performance agricole. En l'état actuel, les aides sont souvent distribuées sans conditionnalité ni suivi rigoureux des résultats obtenus.

Une dépendance notable à l'aide internationale

Cette dépendance représente un autre obstacle pour les finances publiques des pays africains. Entre 10 et 40 % de leurs budgets agricoles proviennent de l'aide des partenaires techniques et financiers. Elle est menacée par les coupes budgétaires annoncées dans plusieurs pays donateurs, comme la France, l'Allemagne ou le Royaume-Uni. L'Union européenne prévoit également de réduire de manière significative ses crédits destinés aux pays les moins avancés d'ici 2027.

Faut-il réévaluer l'objectif des 10 % ?

Inspirée par les réussites des pays asiatiques et latino-américains, cette cible a permis à ces régions de réaliser une transformation structurelle de leur secteur agricole. Les pays africains, eux, doivent affronter des défis majeurs : impacts du changement climatique, concurrence accrue sur les marchés mondiaux et faiblesses structurelles. Les infrastructures restent insuffisantes et les chaînes de valeur agricoles sont encore sous-financées.

Cette situation est également aggravée par des politiques commerciales qui continuent de privilégier les importations à bas prix. Au détriment de stratégie de production agricole nationale répondant aux besoins alimentaires des populations. Les agriculteurs africains se retrouvent ainsi désavantagés face à une concurrence internationale largement subventionnée, tandis que certaines filières agricoles compétitives restent pénalisées par des taxes à l'exportation.

Assurer la cohérence entre les politiques agricoles

Ce déséquilibre freine la modernisation et limite les opportunités de croissance pour le secteur. Alors que l'Union africaine s'apprête à définir une nouvelle feuille de route pour le PDDAA à Kampala, les discussions devront dépasser les simples objectifs chiffrés. Il ne suffit plus de viser les 10 % des budgets publics pour l'agriculture, mais d'agir pour transformer ces engagements en initiatives concrètes et efficaces. Deux pistes : améliorer la qualité des dépenses publiques dans le secteur et assurer la cohérence entre les politiques agricoles.

Ce sommet représente une opportunité importante pour repenser les approches et renforcer les engagements, en plaçant la transformation structurelle du secteur agricole au coeur des priorités pour la prochaine décennie.

Matthieu Brun, Docteur en science politique, chercheur associé à LAM, Sciences Po Bordeaux

Abdoul Fattath Yaya Tapsoba, Responsable de projets à la Fondation FARM et doctorant au CERDI, Université Clermont Auvergne (UCA)

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