Selon toute vraisemblance, la Côte d’Ivoire va vers une réforme fiscale qui devrait à coup sûr impacter sur l’exercice de la loi de finance 2025. Le projet de loi de finance de 2025 introduit en effet une augmentation drastique du taux d’accises, notamment sur le Tabac de 49 à 70%.
Pour rappel, il faut préciser que les droits d’accises sont des impôts indirects perçus sur la vente ou l'utilisation de produits, tels que les boissons alcoolisées, les produits du tabac et les produits énergétiques.
L’application de tels droits est, on en convient, régie par les normes communautaires, notamment la directive N°1/ 2017/CM/UEMOA portant harmonisation des législations des Etats membres en matière de droits d’accise applicable au tabac, qui en fixe le taux plancher et le plafond, respectivement à 50% et 150%.
La décision des autorités ivoiriennes de porter ces dits taux de 49% à 70% dans leur projet de loi de finances 2025, donc immédiatement applicable, est en effet dans la fourchette définie par la directive de l’UEMOA, sans en atteindre le maximum.
Mais ses effets pourraient avoir un impact négatif sur le niveau de la demande et de la consommation du produit, si tant est que c’est l’objectif visé. En effet, les résultats des études sur l’élasticité des prix montrent qu’une augmentation soudaine des prix a un impact direct sur sa consommation.
Dans le cas d’espèce, non seulement il y a une hausse du taux des droits d’accises, mais en plus, il y a un doublement de la base imposable, qui passe de 15 000 FCFA (UEMOA) et 20 000 FCFA (hors UEMOA) à 40 000 FCFA pour chaque stock de 1 000 cigarettes.
Avec la nouvelle proposition d’accise, la Côte d’Ivoire passe pour être le pays le plus cher de la zone UEMOA avec le prix du paquet qui pourrait grimper jusqu’à 1500 F et plus.
D’ailleurs, il faut le souligner, avant cette nouvelle mesure, le prix qui variait entre 747 à 996 FCFA, passe au double de celui pratiqué au Burkina Faso et au Sénégal, et fera trois fois celui observé au Mali et cinq fois le prix pratiqué en Guinée.
L’industrie du tabac en Côte d’Ivoire risque non seulement de perdre en compétitivité, avec la conséquence immédiate qui sera des pertes d’emploi et au pire des fermetures d’entreprises.
Pis, cette nouvelle hausse va aussi créer un appel d’air au commerce illicite, massif, de produits de contrebande beaucoup plus compétitifs sur les marchés des pays voisins, qui pratiquent des taux de droit d’accises moins élevés.
Par exemple, la Malaisie, qui est souvent citée en exemple, avait en 2015 décidé une augmentation de 43 % de l'accise. Après évaluation, on s’est rendu compte d’une baisse de 23% des recettes fiscales entre 2014 et 2019, et d’une incidence du commerce illicite atteignant 64 % en 2020, et ce, malgré un gel de l'accise après 2015.
Certains analystes sont, pour leur part, dubitatifs sur l’efficacité de la mesure fiscale de hausse du taux des droits d’accises ainsi prise en Côte d’Ivoire, d’autant qu’elle n’assure pas, dans l’absolu, l’objectif d’accroissement des recettes fiscales, tout au moins elle crée des biais comme le trafic illicite et son corollaire, la baisse de volume des importations.
Il s’y ajoute que des études de l’OMS et d’autres organismes ont montré que l’élasticité des prix pour le tabac dans les pays à revenu faible ou intermédiaire, comme la Côte d’Ivoire, oscille entre - 0,2 et -0,8.
Pour le cas de la Côte d'Ivoire, qui est une économie émergente, un coefficient d'élasticité de -0,5 signifie qu'une hausse de 1 % des prix réduit la consommation de 0,5 %.
Dans ce contexte, la réforme initiée pourrait engendrer une diminution de 40% des ventes légales, donc des ventes assujetties à la nouvelle taxation avec les recettes qui vont avec.
Aujourd’hui, la question repose plus, à la fois sur le niveau de la hausse, et sur son application immédiate. Certains, y compris les acteurs du secteur, considèrent en effet qu’une hausse graduelle des taxes, si elle est accompagnée de mesures rigoureuses contre le commerce illicite aux frontières, serait la voie la plus prudente pour atteindre à la fois les objectifs de santé publique (en plus des campagnes de communication sont menées concomitamment depuis quelques années par les industriels) et ceux d’efficacité fiscale, tout en protégeant l’économie, qui elle–même, au-delà des recettes fiscales doit charrier de l’emploi et de la richesse.
Au stade où se trouve ce projet de loi de finance 2025, il y a lieu d’explorer d’autres hypothèses, notamment de corréler les taux initialement fixés avec ceux des pays qui partagent avec la Côte d’Ivoire l’espace UEMOA, qui ont des spécificités, mais aussi qui ont un cadre de convergence qui permet d’éviter certains « gap » de nature à induire une sorte de « dumping fiscal ».
Le projet de loi de finance pourrait aussi lors de son vote être amendé, au bénéfice de ce qui précède pour éviter des délocalisations d’activités dans un pays qui a quand même besoin de telles ressources.