Centrafrique: Désinformation russe - Ephrem Yalike, le repenti de l'Oubangui

Journaliste centrafricain devenu rouage de la propagande du groupe Wagner à Bangui, Ephrem Yalike a quitté la Centrafrique clandestinement il y a quelques mois. Il lève aujourd'hui le voile sur le fonctionnement de l'entreprise de désinformation russe, persuadé que ce modèle qui a failli lui coûter la vie est en cours de duplication dans d'autres pays du continent. Voici son récit.

Cette enquête a été réalisée dans le cadre d'investigations coordonnées par Forbidden stories, un réseau international de journalistes qui poursuit le travail de journalistes assassinés ou menacés. Elle implique dix médias partenaires dont RFI. Le lanceur d'alerte, qui témoigne ici, a pu quitter la République centrafricaine avec l'aide de la PPLAAF, la Plateforme de protection des lanceurs d'alerte en Afrique. Les personnes mises en cause dans cet article n'ont pas répondu à nos sollicitations.

Le 4x4 a déjà quitté la route de Boali depuis plusieurs kilomètres. Passée la barrière du PK26, poste de douane à la sortie de Bangui, le véhicule a tourné dans la forêt plutôt que de poursuivre en direction des chutes, l'une des belles attractions naturelles de la République centrafricaine (RCA).

À l'intérieur, pas de touristes, mais des hommes blancs à la mâchoire serrée, et un homme noir rongé par l'inquiétude. Le véhicule s'immobilise. Sur la banquette arrière, un des blancs sort une arme, la pose entre lui et l'homme noir, et éructe des propos traduits par son compatriote, assis devant lui : « Je vais me répéter une seule fois. Si tu me mens, je te tue ici. »

L'homme qui menace s'appelle Michel. Celui qui regarde la mort en face, Ephrem Fidèle Yalike Ngonzo. Nous sommes en mars 2022, ils travaillent ensemble depuis deux ans et demi au service de la machine informationnelle russe en RCA.

Fin 2019, Ephrem Yalike est journaliste pour Le Potentiel centrafricain. Ancien élève au séminaire de Bangui, étudiant en droit et en relations internationales, le jeune homme de 24 ans à l'époque a préféré la presse à la prêtrise et au barreau. Après des passages dans plusieurs rédactions, il a rejoint ce site internet très favorable aux autorités. Il a l'habitude d'aller « couvrir » des activités organisées par le pouvoir ou par les « nouveaux partenaires » russes, arrivés dans le pays début 2018, officiellement comme instructeurs pour l'armée centrafricaine (Faca), dans la foulée du désengagement militaire français.

Un matin, son téléphone sonne : « Je n'ai jamais su qui leur avait donné mon numéro. Ils disent qu'ils souhaitent me rencontrer, et me donnent rendez-vous au Grand café, une adresse bien connue en plein centre-ville. » C'est là qu'il rencontre « Michel » et son interprète : « Michel s'est présenté à moi comme le directeur de la communication et des relations publiques de la mission russe en Centrafrique. »

Selon les investigations menées par le consortium Forbidden stories, « Michel », ou « Micha », s'appelle Mikhail Mikhailovich Prudnikov. Né en 1986 dans l'Oblast de Tambov, au sud-est de Moscou, cet homme brun de stature moyenne portant barbe et lunettes, casquette vissée sur la tête, rêvait de « devenir policier » quand il était enfant, selon un de ses amis. Il a milité au sein d'une organisation de jeunesse pro-Poutine, « Nashi », avant de s'intéresser aux relations internationales à partir de 2016.

Mikhail Mikhailovich Prudnikov a d'abord oeuvré au Soudan pour Africa politology, une structure directement liée au fondateur du groupe paramilitaire russe Wagner, Evgueny Prigojine, au poste de « responsable régional », selon des données obtenues par l'organisation russe en exil Dossier center, partenaire de cette enquête. Il y aurait côtoyé Sergeï Mashkevitch, le directeur de cette structure chargée de former des soldats de la propagande de la nébuleuse Wagner, sous sanctions occidentales.

Son salaire en 2019 était de 250 000 roubles par mois, environ 2 400 euros, ou 1,5 million de francs CFA. Il a ensuite rejoint Bangui à une date incertaine. Selon nos informations, il supervise encore la communication russe dans le pays, sous l'autorité de Dimitri Sytyi, dont l'importance et l'entregent lui ont permis de résister à la reprise en main par l'État russe des activités d'Evgueni Prigojine dans le pays, à la mort de celui-ci en août 2023.

« Ils m'ont dit qu'ils ont l'habitude de suivre mes articles et qu'ils souhaitent que de temps en temps je puisse collaborer avec eux en publiant des papiers sur les prouesses des Faca », explique aujourd'hui Ephrem Yalike, de son exil français. Une proposition qui « apaise » celui qui s'interrogeait sur le motif du rendez-vous : « À l'époque, tous les journalistes essayaient d'obtenir le contrat entre le gouvernement et les Russes, alors je n'étais pas forcément serein. Mais en réalité, Michel cherchait des journalistes bien calés à Bangui, et il m'a très vite invité aux activités organisées par l'ambassade ou à la mission militaire. Il m'a fait installer Telegram pour qu'on échange des messages, et que j'envoie les liens vers les articles publiés. En revanche, il m'a donné des consignes pour que notre collaboration demeure secrète. »

À cette époque, la République centrafricaine peine toujours à se relever de la terrible crise de 2013 - après plusieurs années d'instabilité, la rébellion Seleka avait fini par entrer dans Bangui et faire tomber le président François Bozizé - qui a définitivement mis par terre un État déjà fragile. Le pouvoir ne contrôle qu'une partie du territoire, les groupes armés sont puissants, alors Ephrem Yalike pense s'inscrire dans la veine du « journalisme patriotique » en soutenant les réalisations de l'armée nationale. Il ne cache pas non plus des motivations financières : « Dans les médias centrafricains, rares sont ceux qui gagnent plus de 150 000 FCFA (225 euros), la situation est très précaire. » Il met en avant des charges de famille, passe de 75 000 FCFA de salaire à plus de 200 000 avec cette collaboration. Quelques mois plus tard, visiblement satisfait du rendu, Micha l'embauche à plein temps, pour 500 000 FCFA par mois (762 euros).

Joint par le consortium, l'ancien directeur du Potentiel, Patrick Mogani, confirme que le titre soutient le gouvernement dans ses actions positives, mais dit ne pas avoir de liens avec les « instructeurs russes ». Il réfute la publication d'articles rémunérés par des partenaires extérieurs. Désormais Rapporteur général adjoint au Haut conseil de la communication de son pays, il dit aussi ne pas connaître Ephrem Yalike. Celui-ci le considère pourtant comme un « grand frère » dans la profession et a publié des photos en sa compagnie.

Par la suite, le champ de mission d'Ephrem Yalike s'élargit : chaque matin, il mène une revue de presse de « tout ce qui se dit sur les Russes, sur le pouvoir, du côté positif et du côté négatif ». Il doit aussi « écrire un article de démentis pour dire que tout ce que racontent les opposants ou les voix critiques est faux ». Des sujets qu'ils ventilent parmi les journaux banguissois : « J'ai ciblé six à huit médias de la place. Eux, un seul article publié dans leurs colonnes, ils reçoivent 10 000 francs. À la fin du mois, je fais le calcul et Michel me donne l'argent pour que je paye ces journalistes. » Rapidement, les confrères ne se font pas d'illusion sur la provenance des articles, mais les sommes engrangées payent l'encre et le papier dans un secteur sinistré...

Souvent, Ephrem Yalike n'a qu'à reformuler les « thèmes » fournis par son patron : « Michel peut compter sur un service de sociologie politique, qui a acquis une connaissance poussée du pays. Ils sont quatre ou cinq Russes, les Centrafricains ne les connaissent pas, ils donnent les éléments au service de Micha. »

Ces éléments sont aussi transmis à d'autres rouages de la machine informationnelle russe dans le pays.

Car une des caractéristiques de ce système est le cloisonnement : « Quand tu es en contact avec un, il faut rester seulement avec cette personne, il ne te permet pas plus. Même quand tu arrives pour échanger avec quelqu'un, si tu croises quelqu'un d'autre, il ne te salue pas, il fait comme s'il ne te voyait pas. » Ephrem Yalike retrouve généralement Michel au camp de Roux, camp militaire en plein coeur de la capitale devenu le quartier général du groupe de mercenaires. C'est là qu'il récupère sa paye, parfois dans un hôtel de la ville, où à hauteur de la Radio Lengo Songo, cette station subventionnée par le groupe Wagner.

Cette radio, Ephrem va la nourrir en lui proposant des experts payés par les Russes pour défendre leurs positions. Fin octobre 2022, il doit ainsi envoyer cinq personnes justifier la mise à la retraite d'office de la présidente de la Cour constitutionnelle, Danièle Darlan, qui bloque la tentative de changer la Constitution pour permettre un troisième mandat au président Faustin-Archange Touadéra, qui dirige le pays depuis 2016. Danièle Darlan avait quelques mois plus tôt reçu la visite de diplomates russes lui ventant les vertus d'un tel projet.

Dans un audio communiqué à Forbidden stories, les interlocuteurs d'Ephrem Yalike proposent 20 000 FCFA (30 euros) et fixent une heure de passage.

« Nous cherchons des experts qui pourraient exprimer leurs opinions positives au sujet des deux décrets d'avant-hier [25 octobre 2022]. On paye 20 000 par expert. Est-ce que tu sais qui on pourrait inviter ?

-Ok, je propose combien de personnes ?

-C'est jusqu'à cinq, mais il faut qu'ils soient disponibles tout de suite à la radio pour enregistrer l'émission.

-Ok, je vais les appeler tout de suite.

Attends... Comme l'a dit Micha, euh Michel, fais un appel aux cinq personnes et, au moins deux doivent venir aujourd'hui à 12h à la radio. Et pour les autres, on peut les enregistrer, disons, demain ou après-demain. Ou même aujourd'hui plus tard. Attends, attends, ne quitte pas. [Discussion en russe]. Pour le moment, essaye d'appeler tout le monde. Il nous faut une personne à venir aujourd'hui à midi et pour les autres on va déterminer le jour et l'heure après. Mais nous attendons de ta part cette petite liste de cinq personnes avec nom, prénom et leur poste, et après, nous allons choisir la personne à venir aujourd'hui. Selon disponibilité bien-sûr. Et nous attendons ça d'urgence. Merci beaucoup. »

L'enquête est à retrouver ici :Plongée dans la machine de désinformation russe en Centrafrique

Ephrem Yalike apporte aujourd'hui des précisions sur le bâtiment de la radio, situé en face de l'Assemblée nationale et protégé par des gendarmes : « Il y a un troisième étage réservé à des rencontres entre Mikhail et d'autres personnes. Et au niveau du deuxième étage, il y a une imprimerie pour certains documents, parce qu'il y a des papiers volants parfois distribués gratuitement. » Les Russes ont aussi une machine à imprimer dans leur quartier général du camp de Roux. C'est là que sont préparées les pancartes et les banderoles utilisées dans les manifestations qu'ils organisent et financent.

Car c'est une autre mission que leur « chargé de communication » Ephrem Yalike va endosser au fil des mois : « Je me souviens d'une manifestation anti-française devant l'ambassade. Michel m'a écrit la veille à 18h pour dire que c'était vraiment urgent. Donc, le lendemain matin à 7h, je suis allé au camp de Roux. Il m'a donné les mots d'ordre, et m'a remis les cartons sur lesquels il y avait des messages du type "le peuple centrafricain ne veut plus de la France", "le peuple centrafricain souhaite la fermeture de l'ambassade de France" ou "la France est un espion". J'ai pris ces cartons pour les remettre à des jeunes, et une fois la marche terminée, ils m'ont attendu derrière la cathédrale. J'ai filmé pour montrer à Michel que l'effectif demandé avait été réuni. Plus tard, je donne l'argent à un des leaders pour qu'il redistribue ensuite. C'est 2 000 francs par jeune, normalement. Pendant ces manifestations, je suis aussi censé inviter les médias locaux pour venir couvrir ça et relayer. À chaque média, je donne 10 000 francs. »

Objectif : donner l'impression que le peuple centrafricain est hostile, un jour à la France, un autre aux États-Unis, et régulièrement, à la mission de l'ONU dans le pays. « Ces manifestations n'ont jamais émané de la volonté du peuple. Elles sont toujours orchestrées », regrette aujourd'hui l'ancien organisateur, témoignant d'une pratique que les Banguissois connaissent.

Pour maximiser son travail, Michel lui a donné une trentaine de téléphones Android début 2020, distribués à des « relais d'influence », des jeunes qui rameutent des manifestants, partagent, commentent ou likent des fausses nouvelles sur les réseaux sociaux. Il croise parfois d'autres propagandistes pro-russes, dont il sait parfaitement qu'ils sont défrayés par le groupe Wagner.

Un post publique d'Héritier Doneng en Russie sur sa page Facebook en mars 2022.

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Accepter Gérer mes choix Au BIC, le Bureau d'information et de communication, structure à l'époque rattachée à la présidence, Héritier Doneng est de toutes les marches, il organise la diffusion de la communication pro-russe sur les réseaux sociaux, avec Dimitri Sytyi, ce qui lui vaudra de se rendre à plusieurs reprises en Russie. Il est aujourd'hui ministre de la Jeunesse et des sports. Beaucoup plus discrets ces derniers mois, Didacien Kossimatchi et Euloge Koï Doctrouvé seraient en lien direct avec Michel, spécialistes des brûlots anti-français et des menaces contre les opposants.

Ephrem Yalike gagne bien sa vie, il accompagne parfois son patron dans les provinces, à Mbaïki par exemple, pour filmer une manifestation anti-ONU dans le cadre de la campagne #stopMINUSCA, ou encore à Bouar, où les Russes ont besoin de maquiller une bavure contre la communauté peule. C'est à l'issue de cette mission que sa relation avec Mikhail Prudnikov va déraper.

Il sentait déjà que la confiance qu'on lui accordait était toute relative : « Ils me surveillaient tout le temps, dans tout ce que je faisais, j'étais suivi, on me posait tout le temps plein de questions : est-ce que j'avais été contacté pour mon travail, etc ? Heureusement, je n'ai jamais fraudé. »

Mais ce matin de mars 2022, les choses vont aller beaucoup plus loin : « Michel m'écrit à 9h et me dit de le retrouver au camp de Roux. Je lui réponds que je ne suis pas encore prêt, et là, un quart d'heure après, il est devant mon portail, alors que je ne lui avais jamais dit où j'habitais. Il me fait monter direct sans dire un mot », direction la route de Boali.

Ce qui a mis en colère Mikhail Prudnikov, c'est la parution le matin même dans le journal Les Dernières nouvelles de Centrafrique, de la réalité d'une bavure russe à Bouar. Il a fait acheter la quasi-totalité du stock de ce titre en vente au kiosque du centre-ville de Bangui.

Arrive donc l'épisode de la forêt : Michel sort le pistolet qu'il porte en permanence à la hanche et fait mine d'attraper Ephrem Yalike, laissant entendre qu'il pourrait l'étrangler sur place : « Il me dit : "Pourquoi tu es parti dire la vérité à tel journal ?" Et il jette un exemplaire. Il était extrêmement énervé : "Tu dois juste avouer l'acte que tu as commis, dis oui maintenant." J'avais extrêmement peur, mais comme je savais que je n'avais rien fait, j'ai réussi à garder mon calme pour tout nier. »

Ephrem accepte de déverrouiller son téléphone, et Serge, le traducteur assis à l'avant, fait défiler contacts et échanges, mais ne trouve rien de compromettant. Laissé sur place, Ephrem Yalike retrouve la route à pied, puis regagne la ville à moto.

« Cet événement vient confirmer mes doutes sur le travail des Russes. Ils font monter la haine, la désinformation, ils ne sont pas déterminés à mettre fin aux exactions des groupes armés car elles justifient leur présence », estime celui qui vit un choc de réalité. Dans les mois qui suivent, la relation avec Michel s'étiole, on fait moins appel à lui, on lui annonce une baisse de salaire. Ephrem Yalike prend un emploi dans un autre média. Il entre en contact avec Forbidden stories courant 2022, avec qui il partage plusieurs gigas de données (articles, échanges Telegram, photos, audios), mais il lui faudra encore une année et demie pour parvenir à quitter le pays.

« J'ai fui les mains nues. C'est juste mon corps que j'ai pu sauver »

Le 6 février 2024, alors qu'il se trouve avec sa femme et son enfant à l'aéroport international de Bangui, il est convoqué dans le bureau de la police aux frontières pour un interrogatoire intense, ses bagages sont débarqués de l'avion : « Le commissaire autorise ma famille à partir mais dit que je dois rester pour nécessité d'enquête. » Tentant de faire valoir ses droits, il se heurte au commissaire.

« Il est devenu trop nerveux. Il m'a dit : "Tu penses que tu vas gérer avec nous. Tu vas gérer avec les Russes." C'est là que j'ai compris d'où venait la consigne. Il a fini par me faire sortir de son bureau, alors je suis parti me cacher pour sauver ma peau », laissant téléphone et papiers d'identité sur le bureau du galonné. Et c'est finalement en pirogue qu'il traversera la rivière Oubangui pour gagner le Congo, puis l'Europe, avec l'aide de la PPLAAF, la Plateforme de protection des lanceurs d'alerte en Afrique : « J'ai fui les mains nues. C'est juste mon corps que j'ai pu sauver. »

Un départ si discret qu'aujourd'hui, à Bangui, on le croit toujours dans le fonds d'une cellule du camp de Roux, ou dans une fosse commune.

Dans un pays où les mercenaires russes ont droit de vie ou de mort sur les civils, où les intérêts financiers des entreprises fondées par Wagner se mélangent avec ceux de personnalités très haut placées, où les seuls médias indépendants sont contraints de s'autocensurer sur ces sujets, impossible pour un ancien maillon de décrire tout le fonctionnement de la chaine, surtout quand votre famille est issue de la même ethnie que l'ex-président François Bozizé (empêché de se présenter à la présidentielle de fin 2020, l'ancien président a pris la tête de la rébellion CPC, Coalition des patriotes pour le changement, qui ambitionne de renverser les autorités de Bangui).

Réfugié en France, l'ancien séminariste veut faire acte de repentance : « Je pense que mon témoignage ne sera pas une surprise pour la population centrafricaine parce que la majorité sait désormais que les Wagner sont dans la désinformation. Les organisations des droits de l'homme savent que les Wagner sont ancrés dans la violation des droits humains. Mon témoignage leur servira de preuve s'ils ont le courage de saisir la justice. Les autorités, elles, vont mal le recevoir car elles savent tout ce que les Russes font. Un État ne peut pas dire qu'une mission qui s'installe sur son territoire échappe à son contrôle. Je m'attends à ce que des faux témoignages émergent contre moi. On dira que c'est parce qu'ils ont arrêté de me donner beaucoup d'argent que j'ai décidé de les dénoncer. »

Quant aux journalistes qui travaillent encore avec les Russes, il ne les accable pas : « Je peux dire qu'en Centrafrique, quand tu entres dans ce système, il est difficile de ressortir. Quand tu n'es pas avec eux, tu ne gagnes pas d'argent. Et puis les Wagner, ce sont des gens qui ne s'amusent pas avec leurs intérêts. Quand tu sors, ils savent que tu vas dénoncer, et tu es en danger. À travers ces révélations, j'attends que chaque journaliste centrafricain prenne conscience de chaque publication, de chaque désinformation, que ces messages de haine ne puissent plus passer par nous, journalistes. Il est important que les Russes mettent un terme à cette pratique qui n'avantage pas la population centrafricaine. »

Un avertissement qu'il espère aussi faire entendre dans d'autres pays où la Russie tisse sa toile informationnelle, du Mali au Cameroun, en passant par le Tchad, le Niger ou le Burkina Faso.

Peu avant son départ, en janvier 2024, Ephrem Yalike assiste à une manifestation anti-américaine devant l'ambassade. Depuis la fin de l'année dernière, les États-Unis sont particulièrement visés. Toutefois, les rassemblements sont moins fournis : « Il n'y a plus 500 ou 1 000 personnes comme avant ». La guerre en Ukraine concentre beaucoup de moyens humains et financiers, et la mort d'Evgueni Prigojine a amené à une reprise en main des activités informationnelles de Wagner. « Ils n'ont plus assez de moyens pour faire une communication offensive », juge leur ancien collaborateur.

Micha, toutefois, se trouve toujours à Bangui selon nos informations, à distiller des éléments de langage via des publications rémunérées, et ne maitrise toujours pas le français. À la traduction, « Boris » a succédé à « Vladimir », « Sergeï » et « Johnny », les différents interlocuteurs d'Ephrem Yalike, pour passer les ordres. Mais si l'un de ses collaborateurs venait à parler, il saurait certainement exprimer sa colère et retrouver le chemin de la forêt du PK26.

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