Express de Madagascar : On parle beaucoup de l'océan Indien comme nouveau centre de la croissance mondiale dans les vingt prochaines années. Comment les îles de l'océan Indien pourraient-elles profiter de ce regain économique ?
Arnaud Guillois :
Les îles de l'océan Indien disposent de forts potentiels reconnus pour constituer un pôle attractif et de croissance pour la région et au-delà. On peut notamment rappeler que l'océan Indien, carrefour d'échanges commerciaux et humains très ancien entre l'Asie, l'Afrique et le Moyen-Orient, pourrait constituer une plateforme logistique naturelle de premier ordre avec le développement des infrastructures portuaires et aéroportuaires.
Les importants travaux en cours pour dimensionner le port de Toamasina à un tel enjeu attestent de la volonté de concrétiser cette vision à moyen terme. Les îles de l'océan Indien bénéficient également de sites d'une beauté exceptionnelle et d'une biodiversité unique.
Elles pourraient permettre le développement du tourisme en valorisant leurs complémentarités dans des offres renouvelées autour de l'écotourisme ou du tourisme d'exception, notamment de croisiéristes. Je pourrais encore citer l'importance des ressources naturelles dont ces îles sont dotées : ressources halieutiques et biodiversité marine, mais aussi minerais, pétrole et gaz naturel, etc.
Il me semble essentiel que ces îles co-construisent une vision et un avenir communs, en s'appuyant sur une volonté partagée d'ouverture économique, d'intégration commerciale et de valorisation de la chaîne de valeurs. Cette stratégie, qui doit pouvoir valoriser les atouts de chacun, pourrait se structurer autour de projets dans les domaines du numérique, de l'énergie renouvelable, de la finance innovante, et du développement des capacités techniques, managériales, d'ingénierie de projets.
Quel est votre point de vue sur l'importance de la collaboration entre les différents acteurs économiques de la région pour surmonter les obstacles existants ?
Dans un environnement global fluctuant et multipolarisé, la collaboration entre les acteurs économiques de l'océan Indien, qu'ils soient publics ou privés, est plus que jamais un levier essentiel pour surmonter les défis rencontrés dans les domaines économiques, sociaux et environnementaux.
Elle permet non seulement de stimuler la croissance économique et de renforcer la résilience des pays, mais aussi de promouvoir un développement durable, plus inclusif et équitable, dans cette région stratégique. Il est donc impératif que nous unissions nos efforts pour créer les synergies et les partenariats qui profitent à l'ensemble de la région.
En matière commerciale les pays de l'océan Indien dispose d'un potentiel considérable pour renforcer le commerce intrarégional qui représente moins de 10% des échanges. Une collaboration renforcée pourrait également permettre de mieux partager les savoir-faire et les technologies, de mieux valoriser les ressources humaines. Une standardisation des procédures douanières dans la région pourrait être une piste intéressante, à travers une coopération technique entre les acteurs portuaires de la région qui permette de réduire les coûts correspondants et s'orienter vers une simplification des procédures.
Les économies de l'océan Indien restent fragiles, la coordination de réponses d'urgence face aux catastrophes naturelles ou aux chocs, pandémies et crises, devrait également inciter à développer des solidarités. Avec La Réunion et Mayotte, les îles de l'océan Indien ont une frontière en partage avec l'Europe. C'est une opportunité qui pourrait être mieux valorisée pour renforcer la visibilité de la région et structurer des partenariats solides. Je suis également convaincu que ces préoccupations pourraient être évoquées au niveau des instances de la Commission de l'océan Indien, et je réitère mes félicitations pour la prise de fonctions du nouveau Secrétaire général malgache.
Peut-on actuellement parler d'une dynamique positive dans la coopération économique franco-malgache ?
La coopération économique franco-malgache est ancienne et solide, je dirais que cette dynamique positive est structurelle entre Madagascar et la France. La France est l'un des principaux partenaires économiques et commerciaux de la Grande Île, à travers un commerce bilatéral atteignant plus de 1 milliard d'euros en 2023. La France est le deuxième client de Madagascar et son sixième fournisseur. Elle est le cinquième investisseur du pays selon le FMI, fin 2022. Il convient également de rappeler que Madagascar bénéficie de certains avantages commerciaux, tels que l'accord de partenariat économique (APE) avec l'Union Européenne, qui permet un accès préférentiel aux marchés européens pour certains produits.
Le pays bénéficie également des préférences tarifaires dans le cadre de l'initiative Tout Sauf les Armes (TSA), qui donne un accès au marché européen sans droits de douane pour les pays les moins avancés, comme Madagascar. Notre coopération économique bilatérale se renforce par ailleurs au travers des actions entre les acteurs du secteur privé. Je pense également à nos opérateurs, qui sont nombreux et interviennent dans des domaines structurants. Le groupe Agence française de développement (AFD), intervient à la demande des autorités malgaches dans des domaines très divers.
Dans quelle mesure Madagascar serait-elle une destination d'investissement attrayante pour les entreprises françaises ?
Madagascar dispose déjà d'atouts indéniables pour attirer les investisseurs français et tout investisseur étranger désireux de grandir tout en contribuant au développement du pays. En premier lieu, Madagascar est un espace francophone, favorisant ainsi une bonne compréhension mutuelle et réduisant les coûts des transactions.
Madagascar dispose également de ressources naturelles abondantes, et surtout de ressources humaines jeunes et volontaires, à l'instar des jeunes recrutés dans les centres d'appels, dont les qualités professionnelles, incluant ce que les anglo-saxons nomment les soft skills ou aptitudes. Vous le savez, les entreprises françaises se développent grâce aux ressources humaines mobilisables dans les pays où elles s'installent, nos entreprises emploient très peu d'expatriés.
Pour autant, nos entreprises, et ceci est vrai pour toutes les entreprises, au moment de prendre une décision d'investissement, évaluent naturellement les risques et opportunités sur la base de la qualité de l'environnement des affaires. La grille d'évaluation est toujours la même partout dans le monde : la disponibilité et la qualité des infrastructures de transports (routes, aéroports, ports, etc.), la disponibilité, la qualité et le coût des infrastructures de base (énergie, eau, etc.), la stabilité et la qualité du contexte juridique, incluant le contexte fiscal, la disponibilité et les compétences des ressources humaines, et plus globalement ce que l'on appelle la gouvernance politique et administrative, ainsi que les dispositifs de régulation, l'environnement financier et bancaire, etc.
Madagascar connaît des défis importants dans plusieurs de ces domaines, comme vous le savez. Le pays est géographiquement éloigné des grands marchés mondiaux, et bien que des progrès aient été réalisés en matière d'infrastructures portuaires et routières, la logistique reste un enjeu difficile. Les coûts de transport et la gestion des chaînes d'approvisionnement peuvent augmenter les coûts pour les entreprises, notamment pour les exportations vers d'autres marchés.
Des mesures de redressement sont en cours, comme au niveau de Madagascar Airlines, par exemple. Cependant, dans un environnement global compétitif et volatile, l'amplification des efforts est nécessaire. L'inaction a un coût. Le secteur privé a besoin de visibilité et de stabilité, d'une bonne qualité de dialogue avec les autorités à tous les niveaux, incluant une bonne qualité d'écoute. Investir, faire des affaires, c'est aussi une question de confiance mutuelle. Le CEO Summit offre en cela une opportunité d'échange et de renforcement des liens.
" Madagascar dispose déjà d'atouts indéniables pour attirer les investisseurs français et tout investisseur étranger désireux de grandir tout en contribuant au développement du pays."
Le CEO Summit que Madagascar aura l'honneur d'accueillir en décembre bénéficie du soutien total des autorités malgaches et françaises. Comment ce rassemblement des chefs d'entreprises peut-il développer des synergies régionales efficaces dans l'océan Indien ?
Le CEO Summit est une très bonne initiative portée par le SIM, avec la participation active des acteurs publics et privés de l'océan Indien. Pendant deux jours, il constituera un cadre privilégié pour débattre ensemble sur des sujets stratégiques et structurants, ainsi que les meilleures façons d'anticiper les crises avec des stratégies durables, ou le renforcement des chaînes de valeur.
Il contribuera également à structurer ou accélérer des stratégies communes et des partenariats. À mon sens, ce qui est important c'est être ensemble et partager une vision commune de développement, non seulement économique, mais aussi sociale et environnementale. C'est aussi enclencher une dynamique vertueuse, durable et de confiance comme je l'ai déjà souligné. Je me félicite que de nombreuses entreprises françaises y participent.
Quel serait le message fort que vous souhaiteriez transmettre au secteur privé de la région durant cette première édition du CEO Summit ?
Pour reprendre les principales thématiques qui seront développées lors du sommet : Anticipons ensemble face aux défis de notre région, l'océan Indien, Osons promouvoir notre identité commune et nos solidarités issues de l'Histoire que nous avons en partage, Innovons pour inscrire notre développement au niveau technologique et aux standards les plus exigeants, Imposons les valeurs indispensables à la durabilité de nos Îles, qui sont à la fois fragiles et résilientes, Soutenons un développement plus inclusif au bénéfice de nos populations.
Autres points que vous souhaitez évoquer ?
Je souhaite rappeler la disponibilité de l'Équipe France dans tous les domaines contribuant à une meilleure intégration régionale, sur la base de nos complémentarités. Les Iles de l'océan Indien ont chacune des talents propres, développons davantage des talents collectifs pour être plus forts dans un environnement global de plus en plus compétitif.
Interview réalisée par Garry Fabrice Ranaivoson avant l'ouverture du CEO Summit