Dans de nombreux pays, la mobilisation de la ressource en eau comme élément de boisson est compliquée par l'absence de moyens de distribution d'une eau traitée ou d'une ressource de qualité suffisante, avec par conséquence l'utilisation d'une eau de surface non conditionnée.
L'ébullition est encouragée et constitue une réponse souvent envisagée pour réduire le risque sanitaire associé à la consommation d'une eau dont la qualité peut être suspecte. On peut cependant s'interroger sur l'efficacité de l'ébullition vis-à-vis de risques sanitaires qui peuvent être inhérents à sa consommation.
Je suis chercheur spécialisé dans le domaine de l'hygiène de l'eau. Mes travaux portent sur la qualité de l'eau, la gestion des ressources en eau potable, le traitement des eaux usées ou l'analyse des risques microbiologiques et chimiques associés à l'eau. Dans cet article, je réponds à la question de savoir s'il suffit de faire bouillir de l'eau pour la répondre potable. Je propose de répondre à cette question en trois temps.
Une pluralité d'éléments présents dans l'eau
Il convient tout d'abord d'avoir une vision précise des éléments qui peuvent être présents dans l'eau. Parmi les éléments les plus sensibles et venant immédiatement à l'esprit, figurent les micro-organismes comme les bactéries, certains virus ou des protozoaires. Un protozoaire est embranchement du règne animal le moins évolué comprenant des animaux à une seule cellule. Les bactéries dans l'eau comme dans la nature sont très nombreuses et variées, et peuvent de la même façon présenter un niveau de risque très variable pour la santé humaine. Certains germes hydriques survivent longtemps dans l'eau alors que d'autres ne survivent que quelques jours.
La présence de coliformes comme Escherichia coli (bactéries que l'on retrouve dans les intestins humains) est associée à une contamination aiguë ou récente par des matières fécales. Parmi les nombreuses bactéries possiblement présentes dans l'eau, on trouvera des entérobactéries (différents bacilles et Ecoli). On peut également trouver des virus comme des norovirus et rotavirus, apportés par les déjections humaines ou animales (virus entériques). On trouve également dans les eaux du milieu naturel des protozoaires, des vers ou des champignons.
Des produits chimiques introduits par l'homme
Il faut également s'interroger sur la qualité chimique d'une eau. De nombreux éléments s'y retrouvent sous une forme dissoute : des constituants du milieu (sols ou roches) dans lequel l'eau a séjourné. Sa minéralité (pureté) est ainsi fonction de la géologie de son environnement avec la présence de sodium, calcium, magnésium, potassium,... dans des proportions variables.
On trouvera également des composés issus de l'activité biologique du milieu naturel avec des produits issus de la dégradation de la matière organique naturelle qui apportent des goûts et odeurs à l'eau. Les éléments les plus diversifiés et les plus difficiles à maîtriser sont les produits de l'activité humaine qui sont de nature très variée et, pour une grande part, liés à la production d'origine industrielle ou agricole.
La plupart de ces produits chimiques sont directement introduits dans l'eau utilisée pour un usage domestique (produits de soin, produit de nettoyage et lavage, résidus médicamenteux apportés par les urines,..) ou rejetés directement ou indirectement dans le milieu naturel lors d'activités industrielles ou agricoles, avec notamment l'utilisation de pesticides. On trouvera également des contaminants introduits dans l'eau à la suite d'un transfert aérien via des produits de combustion ou d'aspersion.
Quels risques liés aux éléments microbiologiques et chimiques ?
A ce stade, on peut se demander quels éléments microbiologiques et chimiques présentent un risque pour la santé humaine ? Comme nous venons de le voir, il existe un grand nombre de germes pathogènes susceptibles de se retrouver dans l'eau. Certains germes hydriques ayant pour origine des matières fécales ne survivent que quelques jours (les coliformes, par exemple), alors que d'autres peuvent être actifs plusieurs semaines, tels les entérocoques (bactéries à coque).
Dans les deux cas, une infection entraîne des troubles de la digestion avec des symptômes gastro-entérites. D'autres bactéries pathogènes survivent dans l'eau comme les salmonelles, les enterobacters, dont la bactérie du choléra ou encore helicobacter pylori, très largement présente et responsable de l'ulcère et du cancer de l'estomac. L'infection n'est pas toujours liée à l'ingestion mais se fait par contact au niveau des muqueuses ou des plaies (pseudomonas aeruginosa) ou par inhalation (legionella pneumophilla).
Un certain nombre de virus peuvent également être présents, comme celui de la poliomyélite qui atteint le système nerveux central, ou ceux des hépatites A et E. Mais aussi des virus connus tels que les norovirus ou les rotavirus, qui provoquent des maladies gastro-intestinales chez l'être humain.
Enfin, certains protozoaires de type Amibes ne sont pas des agents de contamination directe mais peuvent servir d'hôtes à des micro-organismes pathogènes. D'autres, comme les protozoaires entériques (giardia et cryptosporidium), peuvent avoir des effets rapides et rémanents sur la santé.
On comprend, donc, que l'ingestion d'eau non traitée est une source très importante de contaminations microbiologiques diverses avec des risques importants voire vitaux.
Des contaminants potentiellement dangereux
Parmi les nombreux contaminants pouvant être présents dans l'eau, certains, d'origine naturelle ou associés aux activités humaines, peuvent rendre la consommation de l'eau dangereuse. Nous n'allons pas dresser ici une liste exhaustive des polluants présentant un risque et une toxicité aigüe ou chronique. Mais il est important de noter que certains sont naturellement présents dans l'eau comme des métaux ou d'éléments chimiques aux propriétés proches (métalloides).
A titre d'exemple, nous pouvons retenir l'arsenic qui peut avoir une origine géologique (massifs volcaniques) et que l'on retrouvera possiblement dans des eaux d'une très bonne qualité apparente, comme une eau souterraine. On attribue à la consommation d'arsenic une augmentation du risque de certains cancers et lors d'une exposition importante, des troubles digestifs et vasculaires.
Les nombreux micropolluants organiques susceptibles - substances que l'on retrouve dans l'environnement dans des concentrations très faibles - de se retrouver dans des eaux naturelles (de surface et dans une moindre mesure souterraine) peuvent présenter des niveaux de toxicité très variables et bien souvent un caractère chronique par accumulation dans les tissus.
Les produits phytosanitaires ont un usage universel avec une présence dans les eaux selon les pratiques et les règlementations locales. Parmi les mille substances disponibles sur le marché, environ un tiers des molécules sont classées comme cancérigènes, mutagènes et toxiques pour la reproduction, et donc entre hautement et extrêmement dangereuses, par l'OMS.
Quels risques après ébullition ?
Nous en arrivons à notre question centrale : quels sont les éléments résiduels après ébullition pouvant présenter un risque sanitaire ? La chaleur reste une des méthodes les plus sûres pour rendre l'eau potable, et la littérature scientifique montre que des températures au-delà de 65 °C permettent de tuer la majorité des pathogènes.
Amener l'eau à ébullition suffit pour tuer les pathogènes entériques et, dans la plupart des cas, annuler le risque microbiologique. À titre d'exemple, la température d'inactivation pour E. coli (bactérie qui réside dans le tube digestif) est de 70 °C avec une exposition d'une minute et pour le virus de l'hépatite A, une température de 85 °C pendant également une minute permet de considérer une disparition totale du risque sanitaire.
On peut donc considérer que si l'eau est portée à ébullition, le temps nécessaire pour passer de 60 à 100°C permet d'inhiber ou de détruire l'ensemble (ou presque) des germes pathogènes présents dans l'eau. Presque, car certains micro-organismes peuvent se doter d'une paroi épaisse (spore) et être ainsi en mesure de résister à des températures élevées. C'est le cas des bactéries des genres clostridium, bacillus, sporosarcina.
Ainsi, les spores de bactérie à clostridium spp. peuvent survivre pendant trois heures à une température de 116°C. L'inactivation des formes sporulées est cependant possible grâce à une exposition de 30 minutes à 121°C.
Des modifications chimiques limitées
Chauffer et porter à ébullition de l'eau entraîne des modifications chimiques avec d'éventuelles dégradations des molécules les plus fragiles ou inversement une solubilisation dans l'eau de molécules associées à de la matière solide présente (sédimentaire ou colloidale).
D'une manière très générale, il est difficile d'anticiper les évolutions de la contamination chimique lors du chauffage, et on peut considérer que les modifications apportées par l'ébullition ne changent pas le niveau de risque chimique de la consommation de cette eau.
En conclusion, si la mise à l'ébullition d'une eau ne garantit pas l'absence de risque microbiologique, dans de très nombreux cas elle permet de le limiter très fortement et peut être considérée comme une méthode très fiable pour répondre notamment à des risques aigus.
En revanche, il faut avoir conscience que si le risque chimique est présent par un environnement naturel ou des activités humaines polluantes, la toxicité chimique n'est pas modifiée par l'ébullition et prend le plus souvent un aspect chronique.
Michel BAUDU, Professeur dans la spécialité eau et environnement , Université de Limoges