Ile Maurice: Expérience vécue l Islamic Cultural Centre - Ces fameux ordres venus d'en haut

Après trois ans de restrictions sur les voyages en raison du Covid-19, les Mauriciens de foi musulmane pourront enfin accomplir le hadj dans des circonstances «normales» cette année. Ils seront 1 650 pèlerins à être sélectionnés par l'Islamic Cultural Centre (ICC) pour y aller. Parmi eux, mes parents, âgés respectivement de 68 et 63 ans.

Selon les procédures, toute personne qui souhaite accomplir le pèlerinage doit remplir un formulaire d'enregistrement qui est numéroté manuellement, en série, et rangé dans un dossier. Une copie du document et le numéro sont alors remis au demandeur. Les données sur le formulaire sont, elles, enregistrées dans un système informatique et figurent aussi dans le «hadj register». La sélection des pèlerins se faisant par numéro de série, notre père adresse une lettre aux membres du Board de l'ICC le 13 février 2023, leur demandant de considérer qu'au cas où ceux qui figurent sur la liste des pèlerins sélectionnés par ordre de numéro de série refuseraient de voyager, laissant des places vacantes, on leur serait reconnaissant d'envisager de nous offrir la possibilité d'accompagner nos parents.

Les raisons : notre mère souffre de maladies chroniques qui nécessitent des interventions de soins, et notre père, lui-même âgé, aurait des difficultés à s'occuper d'elle seul. De plus, ma soeur et moi n'étant pas encore mariées, notre père sera notre Mehram (homme accompagnant une femme lors du hadj ; l'époux ou un proche de sexe masculin qui ne peut épouser la femme selon la loi islamique). L'ICC nous informe verbalement que puisque toutes les places sont attribuées par ordre de numéro, même après le refus d'autres pèlerins qui devaient partir, nous ne pouvons faire partie des personnes sélectionnées cette année. Nous décidons ainsi de nous renseigner sur le médecin accompagnant les pèlerins pour partager les données médicales de notre mère. Direction à l'ICC.

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Nombreuses lacunes

L'après-midi, le lieu semble désolé, certains membres de la direction étant trop occupés pour répondre aux questions de la population, en raison de «meetings» ou d'appels plus importants. On précise à un membre de la direction qu'on a pris un jour de congé pour le rencontrer afin d'obtenir des détails sur le médecin accompagnant les pèlerins et de s'assurer qu'il est professionnellement apte à accomplir cette tâche. D'ailleurs, ceux qui ont assisté à la dernière rencontre organisée par l'ICC pour les pèlerins se souviendront de Showkutally Soodhun s'en prenant à la direction de l'ICC en affirmant que l'année dernière, un médecin qui n'était même pas inscrit au Medical Council avait été délégué pour accompagner les pèlerins. Ce dernier a vu tous ses médicaments saisis à l'aéroport saoudien !

Une personne de la direction de l'ICC nous indique que ce n'est pas le rôle du médecin de s'occuper de ce genre de chose, et il revient au tour-opérateur d'assurer que l'intervention médicale est disponible lorsqu'un pèlerin en a besoin. Quel est le rôle d'un médecin voyageant aux frais des contribuables donc, si nous ne pouvons pas l'informer des antécédents médicaux d'un pèlerin ou obtenir ses coordonnées ? «Vous nous questionnez comme une avocate», nous dit-on, précisant que nous devrions plutôt laisser une lettre pour qu'ils puissent y répondre.

Les lacunes dans l'organisation du hadj par l'ICC ne sont pas inconnues. Et à force de persister, nombreux sont ceux qui expriment leur consternation à ce sujet sur les réseaux sociaux. Parmi eux, Ishtiyaaq Caunhye, membre actif sur le front socio-politique. «Le manque de personnel, l'absence de vérification des médecins avant la sélection, les échecs lors des négociations avec les compagnies aériennes, et les personnes ayant de bonnes relations politiques qui contournent le protocole pour être présélectionnées... » en font partie, selon ses dires.

Or, cette année, selon nos informations, la liste des pèlerins sélectionnés comprend, entre autres, une haute fonctionnaire du gouvernement, qui a déjà accompli le hadj récemment, bien que le protocole stipule que les personnes qui sont déjà parties ne doivent pas être autorisées à repartir. Un membre de la famille de cette personne a également été sélectionné à la dernière minute, sur la base d'une inscription le même jour, bien que son nom n'apparaisse même pas dans le registre. Vingt-deux visas adultes ont été attribués cette année à des enfants, pour lesquels le hadj n'est pas obligatoire.

En 2018, un rapport du ministère des Finances sur l'ICC, signé de la Principal Internal Control Officer du ministère, avait révélé des lacunes telles que des paiements excessifs jugés «non-autorisés» et l'absence de monitoring du processus à partir du moment où l'enregistrement se fait jusqu'au départ des pèlerins et recommandé, entre autres, que l'organisation du hadj soit transmise à une autre institution.

«Lord vinn depi lao»

Nous nous interrogeons également sur la certitude d'être autorisées à partir lorsque notre tour viendra, étant donné que notre Mehram y va déjà et qu'il pourrait se voir refuser l'autorisation de partir plus tard. D'ailleurs, un tel cas s'est présenté cette année, nous affirme M.G, une femme dont la grand-mère ne peut pas accomplir le hadj cette année parce que son fils s'est vu refuser un visa, comme il était parti auparavant. «Il devra s'inscrire à nouveau et nous verrons bien», nous dit-on.

Et quid de la mise en place d'un ordre de numéros de série pour assurer la transparence, alors que certains outrepassent le protocole ? «...Lord vinn depi lao», selon une source à l'ICC. Voulait-il dire que les ordres venaient directement de Dieu ou d'ailleurs ? Nul ne sait.

À l'heure où nous mettions sous presse, une explication était attendue de la part d'un membre de la direction de l'ICC, qui était injoignable par téléphone. Quant à notre lettre, nous attendons toujours une réponse.

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