Ile Maurice: Le facteur ethnopolitique

KC Ranzé ! Les macadams insurmontables lors des laborieuses tractations pour conclure l'alliance électorale PTr-MMM-PMSD/35-17-8 étaient annonciateurs du phénomène Décomposition-Recomposition du paysage politique. Alors que le gouvernement MSM regardait le bloc de l'opposition parlementaire se décomposer avec délectation, des émissaires du Sun Trust tentaient de recomposer avec les politiciens de la place qui sont à la recherche de tickets ou de jobs.

La démission, hier, des députés bleus Richard Duval et Khushal Lobine vient davantage changer la configuration et rendre la situation extrêmement volatile. Tout va très vite ces temps-ci, peut-être même trop vite pour que le grand public puisse suivre toutes les actualités politiques qui s'enchaînent depuis dimanche - quand le divorce du «trouple» PTr-MMM-PMSD a été annoncé, quelques heures seulement après que le Premier ministre avait tactiquement flatté le leader de l'opposition pour son discours à l'occasion du nouvel an tamoul, sachant que ce dernier allait tenter de finaliser son accord électoral avec Ramgoolam et Bérenger.

Comme prévu, dès dimanche soir, le PMSD et le MMM n'ont pas tardé à se renvoyer la responsabilité de la cassure, en laissant soigneusement le PTr à l'abri des critiques entre ex-amants.

Duval n'est pas passé par quatre chemins pour affirmer que c'est «impossible» de travailler avec Bérenger, alors que les porte-voix crachaient sur l'ex-partenaire devenu adversaire.

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Mais au-delà du chassé-croisé entre le PMSD et le MMM, a-t-on suffisamment réfléchi, comme m'invitait à le faire un ancien militant, aux enjeux politiques de cette mésalliance entre les Bleus et les Mauves ? Sans une analyse ethno-politique (étude de l'influence des facteurs ethniques sur la pratique politique), l'on risque d'être à côté de la plaque ou d'accorder trop d'importance aux anecdotes qui alimentent les palabres et les réseaux sociaux.

La question est centrale : depuis l'indépendance, qui est le mandataire de la population générale (PG) dans la mémoire collective ? Il y a eu Gaëtan Duval et ensuite Paul Bérenger - qui semblait euphorique, dimanche, alors que Navin Ramgoolam disait : «Malheureusement, on n'a pas réussi à sceller l'accord avec le PMSD.» Le leader du MMM lui répétait une phrase de Kader Bhayat: «Nous allons verrons.»

Les tentatives d'autres prétendants pour représenter la PG n'ont pas été des réussites pour plusieurs raisons. Au MMM, tous ceux qui se positionnaient ou qui en avaient des velléités ont été systématiquement éliminés.

Xavier-Luc Duval, après ses nombreux passages au gouvernement, a pris de l'étoffe et a commencé à se confectionner un costume de mandataire. Son véritable tremplin a été néanmoins le poste de leader de l'opposition avec ses 135 PNQ en six années. Comme chef de l'opposition, Duval a surtout éclipsé le vieillissant Paul Bérenger, qui a été quasi inexistant au Parlement depuis 2019. Cet avantage de Duval sur Bérenger l'aurait légitimé comme mandataire et successeur-héritier de Bérenger, affirmait-on du reste dans certains milieux.

Le facteur ethnopolitique demeure central quand on mesure l'adhésion non rationnelle à tel ou tel parti dans la conscience collective. Bérenger a une maîtrise des mécanismes de l'adhésion politique, il ne va pas privilégier la prise du pouvoir immédiat et passer au second plan la pérennité de son parti en mettant en orbite XLD comme son successeur aux fonctions de mandataire de la PG. Autrement dit, si XLD a un rang presque égal à Bérenger dans un éventuel gouvernement PTr-MMM-PMSD, à la fin du mandat, il sera le successeur-héritier de ce dernier dans la conscience collective. Ce qui signifierait que le MMM et ses héritiers auront perdu leur fonds de commerce. D'où sans doute l'objection de Bérenger à la possibilité que XLD soit le n°3 et/ou que le PMSD aligne des candidats aux n°s 2, 3, 19 et 20. Et surtout pas d'Adrien Duval au n°17 ou au n°19.

À bien voir, Bérenger ne veut surtout pas commettre l'erreur de Ramgoolam en 2008 et 2010. Celui-ci avait privilégié le court terme en soutenant Pravind Jugnauth à la partielle au no 8 et l'avait inclus dans la bergerie rouge comme ministre des Finances. Ce faisant, il avait désigné Pravind Jugnauth comme son héritier virtuel. Il en subit les conséquences jusqu'à maintenant, car dans la conscience collective, PKJ est considéré comme un mandataire important de la communauté majoritaire...

Autre question : pourquoi Paul Bérenger en tant que leader du MMM et parlementaire d'expérience refuse-t-il d'endosser le poste de leader de l'opposition comme XLD avait accepté de le faire pour assurer une cohésion ? Aurait-il peur de prendre la place de XLD qui a fait forte impression avec ses 135 PNQ en six ans (Molnupiravir, dépréciation de la roupie, Betamax, Sobrihno, Extended Programme, flash floods, terrain à Réduit, etc.) ?

Pour sa part, Shakeel Mohamed demeure un orateur apprécié au Parlement et incarne un renouveau dans ce rôle. C'est clair qu'il ne s'attendait pas à se retrouver du jour au lendemain leader de l'opposition, poste qu'il aura à assumer avec sa détermination. Coincé entre son amitié pour Arvin Boolell et son respect pour Navin Ramgoolam, Mohamed va devoir maintenir la pression sur le gouvernement tout en sortant des problématiques relatives au no 3 pour épouser celles de l'ensemble du territoire. Il a la jeunesse (relative) et l'intelligence pour planter le nouveau décor et assurer une transition souple après XLD, qui n'a pas hésité à le soutenir dès lundi soir, en ligne avec sa stratégie de ne pas tirer sur Navin Ramgoolam, au cas où le remake PTr-MMM finisse, lui aussi, sur les récifs, un peu comme en 2014. Ou que l'on finisse, après tout, par recomposer la triplette PTr-MMM-PMSD ?

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