Gabon: Le dialogue national demande une révolution dans l'équilibre des pouvoirs

Le Président de la Transition , Président de la République, Chef de l'État, le Général Brice Clotaire Oligui Nguema a présidé ce jour au Palais Rénovation une séance de travail à laquelle ont pris part les membres du CTRI, le ministre de l'économie et des Participations ainsi qu'une délégation de la société MGB Group conduite par son Président monsieur Mehmet Faruk Basturk.

Beaucoup de recommandations issues du dialogue national qui s'est achevé samedi 28 avril n'ont pas encore été rendues publiques. RFI a pu en savoir davantage sur le contenu du rapport final, et notamment les très sensibles questions politiques.

C'est un grand chambardement institutionnel qui se profile au Gabon. Les recommandations issues du dialogue national pourraient profondément changer le visage politique du pays. Les conclusions seront remises ce mardi 30 avril au président Oligui Nguema. Ces assises ont rassemblé pendant près d'un mois, plus de 600 personnes issues de toutes les couches de la société en vue de proposer de profondes réformes au pays. Samedi, les commissions avaient dévoilé une synthèse de leurs rapports et brossé les principales mesures.

Après 50 ans de pouvoir de la famille Bongo, les panélistes ont ainsi voulu éviter que l'histoire se répète. Pas question que le Gabon connaisse des présidences à vie, des tripatouillages de la Constitution, des pressions sur les pouvoirs législatifs et judiciaires.

La disparition du Premier ministre

En effet, si en théorie le pays est doté d'un système dit semi-présidentiel, des experts le considèrent davantage comme « présidentialiste », tant sa figure écrase les autres. « Il y avait un clair déséquilibre en sa faveur, avec une concentration des pouvoirs entre ses mains. C'était un régime d'irresponsabilité au sommet de l'État », indique un commissaire du dialogue national. Ainsi, le pouvoir exécutif sera totalement modifié et largement encadré.

D'abord, le président disposera d'un mandat de sept ans renouvelable une fois. « Nous sommes un pays en développement, il faut lui laisser le temps de mettre en place son programme », explique un panéliste. Il devra être Gabonais de père et de mère, sans double nationalité. Ce qui en soit constitue déjà une révolution tant la question est sensible dans le pays.

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Ensuite, il sera chef de l'État et du gouvernement. Comme aux États-Unis, il n'y aura donc plus de Premier ministre. Le Gabon aura néanmoins un vice-président qui n'assumera que des délégations de pouvoirs de son supérieur.

Le pays se retrouvera donc bien dans un régime présidentiel. Mais les commissaires ont pris soin d'installer des garde-fous pour mieux encadrer ses prérogatives. Le président sera par exemple responsable devant le Parlement et donc le peuple. Là encore, comme aux États-Unis, le Gabon instaurera un système de destitution. Cette « arme fatale » ne pourra pas être prise à la légère. Afin de ne pas être déclenchée à tout-va, notamment pour des raisons politiciennes, la demande de destitution ne pourra être faite que pour haute trahison, violation du serment ou de la Constitution. Les panélistes ont d'ailleurs apporté des précisions, puisque la haute trahison concernera notamment les crimes de corruption, d'intelligence avec une puissance terroriste, de détournement de deniers publics, etc.

Au passage, d'autres hauts responsables pourront être visés par cette destitution, comme les ministres, les présidents des hautes cours, les juges de la Cour constitutionnelle. Et pour adopter cette sanction exceptionnelle, une majorité des deux-tiers des parlementaires sera nécessaire.

« Il y a eu des débats » sur le cas Nguema

Quant au président actuel, sa situation a été analysée. Le général Brice Clotaire Oligui Nguema est l'auteur du coup d'État d'août. Il a été intronisé chef de l'État avec la mise en place d'une charte de la transition rédigée par les putschistes. Le texte n'empêche pas l'officier supérieur d'être candidat à la prochaine élection. Par contre, les hauts responsables, ministres, présidents du Sénat, de l'Assemblée, etc., n'auront pas le droit d'être dans la course.

Dès le départ, il semblait difficile de changer cette configuration puisque la charte de transition ne faisait pas partie des thèmes à aborder durant le dialogue national. « Il n'empêche, il y a eu des débats sur le cas du général Oligui Nguema et des autres candidats potentiels aux élections. Le problème a été soulevé et discuté », confie un participant. Mais au final, le dialogue n'a pas pris position et les choses resteront en l'état. « Ceux qui ont pris des postes dans la transition l'ont fait en connaissance de cause. Il faut être cohérent avec soi-même. D'ailleurs la charte a déjà été modifiée par le gouvernement et ça a été voté au Parlement. Donc si les parlementaires voulaient changer la charte, ils auraient pu le faire. On ne peut pas accuser le dialogue de ne pas avoir soulevé cette question alors que le Parlement avait la possibilité d'agir de son côté », réagit Noël Boundzanga, responsable de la commission politique.

Pour autant la charte ne déroule pas forcément un tapis rouge au général Oligui Nguema pour la prochaine élection, si jamais il décidait d'être candidat. « Le texte n'est pas totalement fermé. Députés, sénateurs ou encore membres du Conseil économique et social peuvent parfaitement se lancer. Donc il reste des possibilités », indique un expert.

En tous les cas, la charte va donc s'appliquer jusqu'à la fin de la transition. « Ce qui n'empêchera pas la future Constitution d'être en partie en vigueur elle aussi avant la fin, notamment pour les critères d'éligibilité aux élections. Car ils sont donnés par le texte fondamental », précise un responsable de commission.

Pas touche à la Constitution

Durant les semaines de débats, les participants ont d'ailleurs insisté sur le respect de la Constitution. Ils ont surtout voulu que toute tentative de « tripatouillage » soit neutralisée. Certains de ses articles vont ainsi devenir quasi « inviolables », et seront extrêmement difficiles à réviser. Ce sera le cas de la durée et du nombre des mandats du président de la République. « Quiconque toucherait ou tenterait de toucher à la constitution serait passible de haute trahison. Elle sera révisable, mais uniquement dans des cas exceptionnels », confie un participant du dialogue. Ainsi une réforme ne pourrait se faire que par référendum, convoqué suite à une initiative populaire ou exceptionnellement par le chef d'État, qui au préalable devrait obtenir un consensus des forces vives de la nation.

Le cadre de l'initiative populaire, et notamment le nombre de signatures nécessaires, n'a pas encore été déterminé. En effet, le Gabon a organisé un recensement de sa population l'an dernier. On attend donc les résultats finaux et le nombre exact d'habitants dans le pays pour déterminer le quota nécessaire. Possible donc que les chiffres soient choisis par la future assemblée constituante, si d'ici là les résultats du recensement sont connus.

Le Parlement sera lui dépouillé de sa capacité à modifier la Constitution. Il pourra modifier le texte suprême uniquement pour ratifier des textes internationaux mais qui ne toucheraient pas aux questions de souveraineté.

Ministre ou député, il faut désormais choisir

Concernant le pouvoir législatif justement, les parlementaires auront un mandat de cinq ans, renouvelable à vie cette fois. Il s'agit avant tout de ne pas alourdir les caisses de retraites, qui pourraient pâtir d'un grand nombre d'anciens députés à qui il faudrait verser des pensions.

Le principe d'un Parlement bicaméral Assemblée-Sénat a été conservé. Les panélistes ont aussi voulu garder un Parlement fort. Leur capacité de destitution leur donne ainsi un poids supplémentaire. Il faudra également l'accord des élus pour l'envoi de troupes à l'étranger.

Afin de limiter également les influences politiciennes, le dialogue propose une incompatibilité entre les fonctions de ministre et de député. Aujourd'hui, ces derniers sont élus avec des colistiers. Ainsi les titulaires avaient tendance à devenir ministres, laissant les colistiers à l'Assemblée. Ce qui entraînait le risque d'une complaisance entre Parlement et gouvernement. Afin d'autonomiser le pouvoir, les ministres devront donc être cherchés ailleurs, au sein de la société civile, parmi les cadres, etc.

Les panélistes ont réfléchi à divers scénarios qui risqueraient de gripper la nouvelle machine institutionnelle. Quid par exemple si le camp présidentiel perd les élections législatives et se retrouve en minorité à l'Assemblée ? Afin de fluidifier l'action publique, les commissaires ont ainsi choisi de consacrer une institutionnalisation du dialogue. « Cela fait partie de notre culture politique. Lors des différentes crises, les Gabonais se sont souvent assis autour d'une table pour discuter », confie une bonne source. Ainsi, président, parlementaires et même citoyens, s'ils constatent que le système est bloqué, ils pourront demander aux concernés de se parler. « Le but est d'éviter d'attendre que la situation ne s'enlise et que président soit le seul à pouvoir convoquer des dialogues », indique un expert. À noter que ces assises pourraient sortir du domaine politique et être convoquées pour des problèmes économiques et sociaux.

La justice prend son indépendance

Quant au troisième pouvoir, le judiciaire, « les commissaires ont voulu combattre l'immixtion du politique. Cette question est sur la table depuis des années », remarque Noël Boundzanga.

Le plus gros chantier concerne le Conseil supérieur de la magistrature (CSM), aujourd'hui présidé par le chef de l'État. La question de lui retirer cette prérogative a été débattue dans les commissions. « Finalement le principe de réalité nous a rattrapé. Nous avons interrogé des magistrats. Ils craignent davantage les présidents des hautes cours, qu'ils considèrent comme de petits dictateurs, plutôt que le chef de l'État lui-même », confie un commissaire.

Le rapport recommande donc que le président reste à la tête du CSM. Par contre, « l'expérience montre que les problèmes viennent surtout du ministre de la Justice. Il est membre du CSM et il supervise le parquet qui ne fait rien sans son aval, minant l'indépendance de la justice », relève un panéliste. Il a donc été décidé qu'il n'aurait plus d'autorité sur le parquet, et qu'il ne serait plus membre du CSM, tout comme les députés, coupant ainsi le risque d'influence politique.

Tour de Pise sera redressée

Autre dossier sensible, celui de la Cour constitutionnelle. L'instance suprême a été présidée depuis sa création et pendant plus de 30 ans par Marie-Madeleine Mborantsuo, ex-maîtresse de l'ancien président Omar Bongo avec qui elle a eu deux enfants. La Cour a été accusée d'avoir toujours valider la triche électorale et les élections tronquées pour permettre aux Bongo de rester au pouvoir. Elle a ainsi hérité du surnom de « Tour de Pise », parce qu'elle penche toujours du même côté, celui du pouvoir.

Or des débats tendus ont entouré la composition de la Cour. Notamment pour savoir si ses membres devaient être uniquement des magistrats, ou bien des professeurs d'université. « Ce sont les magistrats qui ont géré les élections. Leur bilan est catastrophique. On ne peut pas oublier leur rôle dans la perpétuation du régime », confie un enseignant.

Des scénarios mélangeant magistrats, professeurs, anciens ministres et parlementaires, avocats ont été évoqués. Mais finalement la question n'a pas été tranchée. Le problème a finalement dû être renvoyée vers la future assemblée constituante censée être mise en place pour rédiger une nouvelle Constitution.

Le PDG n'est plus le patron

Un important bloc de résolutions concerne également les partis politiques. Il y en a plus d'une centaine au Gabon. Or une partie sont des coquilles vides. L'ancien pouvoir a longtemps été accusé d'avoir créé artificiellement des formations chargées de le soutenir et de miner l'influence de l'opposition. Le dialogue national a ainsi décidé de prendre une mesure radicale. Toutes les formations seront suspendues, le temps d'édicter de nouvelles règles pour la création d'une formation.

L'ancien mouvement au pouvoir, le Parti démocratique gabonais, a reçu un « traitement spécial » puisqu'en plus, ses leaders sont déclarés inéligibles pendant trois ans. « Beaucoup de gens souhaitaient même la dissolution du PDG et un nettoyage général de l'environnement politique partisan. Cela a été vu comme un choix trop brusque. Il fallait un juste milieu. D'autant que parmi les panélistes, il y avait des membres du PDG qui évidemment n'étaient pas d'accord avec une dissolution », indique Noël Boundzanga.

Durant les débats, le PDG a été reconnu responsable d'un bon nombre de problèmes dans le pays. De nombreux partis avaient également joué un rôle de complices. « Les commissaires ont considéré qu'il y avait une marchandisation des formations politiques. C'était devenu une histoire de transition commerciale très lucrative. Les commissaires ont voulu mettre un terme à cela », précise un participant aux débats.

La base militaire française évoquée au dialogue

Enfin un pan important du rapport final sera consacré aux accords de coopération, puisque le dialogue national recommande qu'ils soient tous revus. « Il y a beaucoup de non-dits et de fantasmes autour d'eux. Il faut que les Gabonais puissent avoir un droit de regard. La population a le sentiment que depuis 60 ans, ces accords ont instauré un régime de privilèges. Certains estiment que le Gabon ne se développe pas parce que ces partenariats nous freinent », explique Noël Boundzanga.

Dans cette affaire beaucoup pensent évidemment au camp de Gaulle où plusieurs centaines de soldats français sont basés depuis l'indépendance. Un point sensible étant donné la diffusion du sentiment anti-français en Afrique de l'Ouest qui a notamment contraint Paris de retirer ses troupes basées au Mali, au Burkina et au Niger.

À Libreville, la base militaire constitue un point d'appui opérationnel et logistique sur la façade ouest-africaine. Les Français y fournissent également des formations aux armées des pays de la CEEAC. « Au cours du dialogue national, il y a eu des demandes de fermeture du camp de Gaulle. Mais malgré l'ardeur de certains sur cette question, nous avons tempéré en rappelant qu'il y a des accords en place devant être respectés. On ne peut pas piétiner les engagements internationaux du Gabon. Si on veut remettre les choses à plat il faut suivre des procédures », confie un panéliste.

Ainsi il a été décidé d'auditer tous les accords, qu'ils soient signés avec la France ou les autres pays. À l'issue de l'analyse des décisions seront prises. « Le rapport ne dit pas formellement qu'il faut mettre fin à la présence militaire française. Mais il faut rediscuter ce point », précise Noël Boundzanga.

Le Gabon nouveau, une mission de longue haleine

Enfin, d'autres éléments ont été débattus mais ont rapidement fait consensus. La durée de la transition a ainsi été établie à deux ans, soit la durée du calendrier proposé par les putschistes, avec une année supplémentaire en cas de force majeure.

Toutes ces mesures ne sont en tout cas que des recommandations. Elles ne s'imposent donc pas puisque le dialogue national n'a pas de caractère souverain. Donc le pouvoir de transition n'est pas contraint de les appliquer même s'il semble impossible d'ignorer ces demandes. Le gouvernement et notamment le ministère de la Réforme des institutions seront en première ligne pour les faire appliquer.

Néanmoins les autorités ont prévenu qu'il ne fallait pas s'attendre à ce que tout soit mis en place d'ici la fin de la transition en août 2025. Le dialogue national a pour objectif de créer un Gabon nouveau, une mission de longue haleine qui devrait ainsi largement s'étaler dans le temps.

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