Gambie: Pourquoi le « Jungler » Bora Colley s'est rendu, huit ans après

Après huit ans d'exil, Bora Colley, un ex-« Jungler » homme de main du président Yahya Jammeh, s'est rendu le mois dernier aux forces armées gambiennes. Cet événement soulève des questions, tant en ce qui concerne la sécurité des frontières que la volonté du gouvernement de juger les Junglers, plusieurs d'entre eux ayant déjà été libérés.

Bora Colley, militaire gambien en fuite, s'est présenté le 9 août vers minuit à la caserne de Yundum, le plus grand campement militaire du pays, situé à plus d'une heure de route de Banjul, la capitale gambienne, où il a été immédiatement arrêté et placé en détention.

Colley était parti avec Yahya Jammeh, l'ancien président de la Gambie en exil en Guinée équatoriale depuis 2017. Après la chute de Jammeh, certains de ses soldats l'ont suivi tandis qu'une autre partie s'est enfuie en Guinée-Bissau. Colley faisait partie de cette dernière, selon nos sources à Foni et selon d'autres médias. Un jour après le départ de Jammeh, il n'y avait plus aucune trace de Colley ou d'autres « Junglers » notoires, notamment Nuha Badjie, Sanna Manjang, Nfansu Nyabally, Modou Jarju alias Rambo, Saul Sambou et Solo Bojang.

Au fil des ans, Colley et quelques autres se sont rapprochés du territoire gambien. Ils se seraient installés dans la région de Casamance, au sud du Sénégal, où ils ont vécu ces dernières années. La région de Foni, située sur la côte ouest de la Gambie, d'où la plupart d'entre eux sont originaires, est limitrophe de la Casamance. Selon nos sources sur place, la raison pour laquelle de nombreux fugitifs ont choisi cet endroit est la protection qu'ils ont reçue de la part des Casamançais.

Justice Info ne peut pas confirmer si ces fugitifs sont, de là, déjà entrés en Gambie, mais nos sources à Foni affirment qu'ils ont « accès à leurs femmes ». Bien que Colley ne se soit rendu que récemment, sa localisation était peut-être un secret de polichinelle pour de nombreuses personnes résidant dans la région de Foni.

Fragilité sécuritaire

Après que Colley se soit rendu aux autorités, le gouvernement gambien a été critiqué pour ses manquements en matière de sécurité, notamment par le militant des droits humains Madi Jobarteh. Colley a été cité devant la commission vérité de Gambie et dans le procès du Gambien Bai Lowe en Allemagne pour son implication dans les meurtres et les disparitions forcées de neuf condamnés à mort de Mile 2 en 2012, le meurtre du chef des services de renseignement Daba Marenah et d'autres personnes, les tortures infligées à des personnes interrogées devant un panel pour leur participation présumée à un coup d'État déjoué en mars 2006, et la mort du journaliste Deyda Hydara en 2004. Il figure sur la liste des personnes recherchées publiée par les autorités gambiennes en 2018.

La question que tout le monde se pose est de savoir comment Colley, un criminel présumé très connu, a pu entrer en Gambie sans se faire remarquer. Selon Jobarteh, son entrée non détectée met en évidence la fragilité sécuritaire du pays. « Cela met directement en cause les dirigeants politiques et les responsables de la sécurité du pays, qui n'ont pas su mettre en oeuvre des réformes efficaces du secteur de la sécurité, lesquelles auraient dû déboucher sur un appareil de sécurité plus efficace et plus professionnel.

Le fait qu'un homme aussi dangereux puisse entrer dans le pays et y passer plusieurs jours sans être repéré exige une révision urgente du système de sécurité pour que des changements radicaux puissent avoir lieu. Cet incident démontre clairement que les réformes du secteur de la sécurité dont on parle tant ne sont pas une réussite », a-t-il déclaré à Justice Info.

Pourquoi maintenant ?

« Notre sécurité nationale est solide, et le fait qu'il soit entré dans le pays n'est pas dû à un manque de vigilance. La frontière est très poreuse. Nous avons environ 900 kilomètres où, sur la plus grande partie, il n'y a pas de dispositif de sécurité. Il était donc dans sa maison et lorsqu'il a su que les recherches allaient bientôt l'atteindre, il a été contraint de se rendre », a déclaré le chef d'état-major de la Défense, le lieutenant-général Mamat Cham, lors d'un événement gouvernemental organisé le mois dernier, auquel Justice Info a assisté.

« Vous pouvez fuir mais vous ne pouvez pas vous cacher. Vous pouvez utiliser le port des frontières pour entrer, mais je pense que ce qui doit être clair, c'est qu'après son retour, la surveillance de l'État se rapprochait de lui, et il savait qu'il devait se rendre », a également fait remarquer le ministre de l'Information Ismaila Ceesay.

« Cependant ce qui fait de cette affaire un problème de sécurité nationale, c'est que Colley était un membre clé de l'escadron de la mort de Jammeh. La question est donc de savoir pourquoi il a décidé de revenir dans le pays maintenant. Quels sont ses projets ? Jammeh est-il impliqué dans cette décision et dans quel objectif ? Les militaires disent qu'ils enquêtent sur lui, et j'espère qu'ils mèneront une enquête approfondie et impartiale et qu'ils seront suffisamment transparents pour partager le rapport avec le public », a ajouté Jobarteh.

Détenu sans inculpation

Depuis sa reddition le 9 août, Colley n'a pas été informé des charges pénales retenues contre lui. L'armée n'a pas révélé grand-chose sur ses projets, bien qu'elle ait mis en place un groupe d'enquête mixte composé de membres des forces armées gambiennes, des services de renseignement de l'État, de la police gambienne et du ministère de la Justice. Ce groupe est chargé d'enquêter sur les circonstances de son retour.

« Nous saluons l'arrestation, le 9 août, d'un ancien membre présumé d'un escadron de la mort, qui constitue un pas en avant vers l'obligation de rendre des comptes pour les crimes commis sous l'ancien président Yahya Jammeh et vers la justice pour les victimes », a déclaré le bureau d'Amnesty International pour l'Afrique de l'Ouest et l'Afrique centrale. « Nous appelons le gouvernement de la Gambie à respecter le droit à un procès équitable sans recours à la peine de mort », a-t-il ajouté.

Mais le risque semble être plutôt qu'il ne soit pas traduit en justice dans son propre pays. En décembre 2021, un autre Jungler, le général Saul Badjie, dont Colley devait répondre, ainsi que d'autres Junglers, dont certains sont rentrés de Guinée équatoriale où ils se trouvaient avec l'ancien président Jammeh. Mais ils ont été détenus à la prison Mile 2 sans inculpation, ce qui a conduit un juge de la Haute Cour à ordonner leur libération en février 2022.

« Colley est un déserteur des forces armées, il est donc toujours responsable devant son commandement de ce qu'il a fait », a déclaré le chef d'état-major de la défense lors d'une réunion ministérielle tenue le 16 août en présence du ministère de la défense. « Nous voulons utiliser ce forum pour lancer un appel aux autres dissidents qui se cachent dans les bois et mènent peut-être une vie pitoyable.

Qu'ils reviennent et qu'ils se soumettent à toutes les accusations ou allégations portées contre eux. La Gambie est un pays de droit. La vie de personne ne sera mise en danger, mais vous devrez répondre de vos actes devant la loi. En ce qui concerne les citoyens, nous contrôlons entièrement la sécurité. Que le général Colley ou n'importe qui d'autre vienne, cela ne devrait pas les inquiéter ».

Le procès d'un ex-« Jungleur » reporté aux États-Unis

Le procès de l'ancien « Jungler » Michael Sang Correa, qui devait commencer lundi 16 septembre, a été reporté. Correa est accusé aux États-Unis d'avoir torturé des personnes interrogées pour leur participation présumée au coup d'État manqué de mars 2006.

Ses avocats ont déposé deux requêtes. La première demande que les charges retenues contre lui soient abandonnées, étant donné que le gouvernement américain n'a pas voulu accorder l'immunité aux deux témoins clés de Correa, le Jungler Alieu Jeng et l'ancien directeur adjoint de l'agence de renseignement de l'État, Momodou Hydara. La seconde demande que ses avocats soient autorisés à se rendre en Gambie pour recueillir les dépositions. Le juge a rejeté la première requête et accordé la seconde, repoussant le procès au 7 avril 2025.

Selon ses avocats, « Correa a l'intention de présenter une défense selon laquelle il a été contraint et forcé lorsqu'il a prétendument commis les infractions mentionnées dans l'acte d'accusation ». Correa a été arrêté et détenu aux États-Unis en septembre 2019 pour avoir dépassé la limite de validité de son visa. Bien qu'il ait été cité pour sa participation à d'autres crimes graves, notamment des meurtres et des disparitions forcées, le Département d'État en 2020 l'a inculpé sur les seuls chefs d'accusation de torture et de conspiration en vue de commettre des actes de torture.

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