Depuis qu'il s'est effondré en 1991, l'État somalien peine à se reconstruire. La constitution provisoire de 2012 organise le pays selon un modèle fédéral qui compte une série d'administrations régionales. Parmi elles : le Somaliland.
Bien que le pouvoir central de Mogadiscio, capitale du pays, en revendique le contrôle, la souveraineté de l'État somalien ne s'y exerce plus. Le Somaliland se gère en effet en toute autonomie depuis son indépendance autoproclamée en 1991. Ce dernier n'est toutefois reconnu par aucun autre État au monde.
Le 1er janvier 2024, le premier ministre éthiopien, Abiy Ahmed, et le président somalilandais, Muse Bihi Abdi, ont signé un protocole d'accord de coopération qui pourrait faire de l'Éthiopie le premier pays à reconnaitre officiellement le Somaliland. Dénonçant une violation de la souveraineté somalienne, le gouvernement somalien a décidé de rompre ses liens diplomatiques avec l'Éthiopie.
Candidat au doctorat en science politique à l'Université de Montréal, je travaille sur les politiques de coopération au développement entre les pays du Golfe Arabo-Persique et ceux de la Corne de l'Afrique, en particulier Djibouti et le Somaliland.
Un accord mort-né ?
Les détails de l'accord ne sont pas connus. En échange de sa reconnaissance, le Somaliland pourrait accueillir une base navale éthiopienne. Depuis son accession au pouvoir en 2018, Abiy Ahmed a érigé au rang de question existentielle le fait pour l'Éthiopie de regagner un accès direct à la mer Rouge. Depuis l'indépendance de l'Érythrée en 1993, le pays en est en effet dépourvu.
La versatilité du premier ministre éthiopien et le large soutien de la communauté internationale au « respect » de la souveraineté somalienne pourraient néanmoins avoir raison de cet accord.
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Notons que depuis le mois de juillet dernier, la Turquie tente de jouer le rôle de médiateur entre l'Éthiopie et la Somalie. Très proche des deux pays, Ankara pourrait leur permettre de se rapprocher. En vain, jusqu'à présent.
Djibouti : menacé et menaçant ?
L'accord a également irrité un proche partenaire et voisin de la Somalie : Djibouti. Une meilleure coopération entre l'Éthiopie et le Somaliland menace en effet le quasi-monopole djiboutien sur les exportations et importations éthiopiennes. La baisse du trafic maritime en mer Rouge due aux attaques houthistes depuis octobre 2023 grève déjà considérablement les activités économiques (essentiellement portuaires) de Djibouti.
Hostile à l'accord du 1er janvier, la présidence djiboutienne se montre de plus en plus défiante à l'égard du Somaliland, quitte à y alimenter des tensions entre le gouvernement et des mouvements unionistes pro-Somalie.
Au mois de juin dernier, le pouvoir djiboutien a reçu des représentants de l'« Awdal State Movement ». Ce mouvement, soutenu par Mogadiscio, prône le rattachement à la Somalie de l'Awdal, une région à l'ouest du Somaliland. Les autorités somalilandaises se sont évidemment indignées de cet accueil. Comme pour enfoncer le clou, le président djiboutien, Ismaël Omar Guelleh, a dans la foulée reçu Abdikhadir Ahmed Aw Ali, le leader de l'administration pro-Somalie de la région du « Sool, Sanaag, Cayn (SSC)-Khatumo » située à l'est du Somaliland.
D'une mission de stabilisation à l'autre
La signature de l'accord Somaliland-Éthiopie et les tensions qui en résultent surviennent alors que la Mission de Transition de l'Union Africaine en Somalie (ATMIS) - présente dans le centre et le sud du pays - doit se restructurer d'ici à la fin de l'année. En 2022, elle avait pris le relais de la Mission de l'Union africaine en Somalie (AMISOM), active depuis 2007.
La fin du mandat de l'ATMIS est programmée pour le 31 décembre 2024. Elle compte toujours près de 15 000 hommes sur le terrain, notamment venus d'Éthiopie et du Kenya. Des milliers de soldats éthiopiens sont également déployés en Somalie en dehors du mandat de l'ATMIS.
À l'heure actuelle, l'armée somalienne n'a pas les moyens de se passer du soutien de ces forces africaines. Le mouvement djihadiste Al-Shabaab contrôle toujours une large partie du territoire au centre et au sud de la Somalie.
Dans la soirée du 2 août 2024, ses militants ont de nouveau meurtri la capitale Mogadiscio. La très populaire plage du « Lido » a encore été prise pour cible. Bilan : près de 40 morts et plus de 200 blessés.
Le 1er août 2024, l'Union africaine a donc approuvé la création d'une force de relais à l'ATMIS à partir de 2025. Elle portera le nom de « Mission d'appui et de stabilisation de l'Union africaine en Somalie » (AUSSOM).
AUSSOM : militaires éthiopiens contre soldats égyptiens ?
Parmi les pays contributeurs à l'ATMIS, Djibouti a déjà acté sa participation à l'AUSSOM. Le Burundi, le Kenya et l'Ouganda ne l'ont pas encore officiellement fait.
En réaction à l'accord du 1er janvier 2024, le gouvernement fédéral somalien a appelé au départ définitif des troupes éthiopiennes (ATMIS et non-ATMIS) et à ce qu'elles ne jouent aucun rôle au 1er janvier 2025. Si les soldats éthiopiens sont réellement amenés à quitter le territoire d'ici à la fin de l'année - et donc à ne pas compter parmi les quelque 12 000 hommes de l'AUSSOM - il est crucial qu'ils soient adéquatement remplacés.
Ils pourraient l'être par des militaires égyptiens. Le Caire a en effet offert son aide à l'AUSSOM. Leur déploiement s'avèrerait cependant infiniment délicat au regard de la prégnance d'Al-Shabaab dans les zones où les soldats éthiopiens interviennent depuis 2006. Ces derniers ont d'ailleurs noué de vrais liens avec les communautés et les administrations locales qui ne souhaitent pas les voir partir.
En outre, la présence de soldats égyptiens en Somalie devrait sérieusement irriter l'Éthiopie. Depuis de nombreuses années, Addis-Abeba et Le Caire s'opposent au sujet du « Grand barrage éthiopien de la Renaissance ». Perçu comme une menace existentielle, il fait craindre aux Égyptiens une baisse drastique du débit des eaux du Nil.
L'opposition commune de l'Égypte et de la Somalie à l'Éthiopie a donc contribué à leur rapprochement. Le 28 août dernier, Mogadiscio aurait même reçu des armes égyptiennes dans le cadre d'un accord de défense bilatéral inédit signé deux semaines plus tôt. Le gouvernement éthiopien a aussitôt déclaré, en des termes inquiétants, qu'il ne pouvait rester « inactif » face aux actions d'acteurs qui « visent à déstabiliser la région ».
Brendon Novel, Candidat au doctorat en science politique, Université de Montréal