La nouvelle a été aussi brutale que surprenante pour plus d'un : le Tchad rompt ses accords de sécurité et de défense avec la France. Une annonce qui a d'autant plus fait l'effet d'une douche froide en plein hiver sur Paris, qu'elle est intervenue seulement quelques heures après la visite du chef de la diplomatie française à Ndjamena, le 28 novembre dernier.
Et ce, dans un contexte où, devenue indésirable dans les pays de l'Alliance des Etats du Sahel (AES) que sont le Mali, le Burkina Faso et le Niger, l'armée française avait trouvé au pays des Deby, une zone de repli idéale pour garder ses godasses au Sahel. Mais avec la dénonciation de ces accords de coopération de défense par Ndjamena, la France perd non seulement un allié de taille dans cette partie de l'Afrique, mais c'est sa présence militaire au Sahel qui est complètement remise en cause.
En attendant d'en savoir davantage sur les tenants et les aboutissants de cette décision de Deby fils qui en a pris de court plus d'un, tout porte à croire que certaines considérations, dans l'attitude de la France, ont pu effaroucher le prince régnant de Ndjamena. Et au-delà de l'enquête sur les biens mal acquis ouverte en janvier dernier en France contre le fils du Maréchal pour des dépenses somptuaires dans l'achat de vêtements de luxe dans l'Hexagone, Ndjamena, à en croire certaines sources, aurait peu apprécié l'insistance de la France à demander « sa neutralité » dans le conflit soudanais.
L'exaspération a pu déborder
Un conflit dans lequel le Tchad est accusé de soutenir l'une des parties, en l'occurrence les Forces de soutien rapide (FSR) du Général Mohamed Hamdane Daglo dit Hemetti, malgré ses dénégations. Si l'on ajoute à cela, « l'absence de coopération et de collaboration de l'armée française », reprochée par Ndjamena à son partenaire français lors d'une attaque d'envergure des islamistes de Boko Haram, en fin octobre dernier, sur une base avancée de l'armée tchadienne dans la région du Lac Tchad, on comprend que le vase de l'exaspération a pu déborder sans que l'on s'en aperçoive pour donner lieu à cette dénonciation surprise de partenariat que de nombreux observateurs n'ont pas vu venir.
Last but not least, comme disent les Anglais, le plaidoyer du chef de la diplomatie française en faveur d'un report des législatives et des locales pour plus d'inclusivité, n'est pas loin d'être vécu par Ndjamena comme une immixtion dans ses affaires intérieures. C'est dire si, consciemment ou inconsciemment, la France a contribué à réunir les ingrédients de cette séparation. Et ce, à force de calculs politiciens qui l'ont sans doute amenée à penser qu'elle pouvait tout se permettre avec un partenaire qu'elle tenait, d'une façon ou d'une autre, en laisse, par des dossiers judiciaires.
La France est prise à son propre piège
Mais à bon diable, bon diablotin, pourrait-on dire. Puisque Déby fils, ne tenant pas à se laisser conter fleurette, n'a pas hésité, à la première occasion, à franchir...le Lac Tchad pour mettre fin à une coopération militaire vieille de cinq décennies et révisée en 2019 dans un contexte de guerre civile où la stabilité du pays était en jeu. Mais dans ce dossier encore ombrageux, la France ne peut s'en prendre qu'à elle-même. Elle qui souffle le chaud et le froid en Afrique, au gré de ses intérêts.
Et qui n'a pas hésité, en son temps, à adouber l'homme fort de Ndjamena dans une succession dynastique à son défunt père, en violation des règles constitutionnelles de dévolution du pouvoir. Aujourd'hui, Paris peut avoir le sentiment d'être payée en monnaie de singe. Mais la France est-elle vraiment à plaindre ? Assurément, non ! Surtout quand on voit comment elle n'est pas loin de faire l'unanimité contre elle sur le continent noir où le sentiment anti-français gagne chaque jour un peu plus du terrain.
Toujours est-il que, voir aujourd'hui le Tchad s'inscrire dans la même dynamique de souveraineté qui a valu la dénonciation des accords de coopération militaire qui liaient la France à certains pays africains, est loin d'être véritablement une surprise. D'autant plus qu'un pays comme le Sénégal qui reste un exemple de démocratie applaudi sur le continent noir, a aussi annoncé la couleur. Autant dire que la France est prise à son propre piège en Afrique où elle a besoin de changer de paradigme et son fusil d'épaule.
Et de comprendre surtout que les temps ont bien changé. Ce qu'elle pouvait se permettre, hier, elle se retrouve dans l'incapacité de faire la même chose aujourd'hui, avec des dirigeants de plus en plus jeunes et décomplexés. L'Hexagone a assurément besoin de se réveiller En tout état de cause, avec cette décision inattendue du Tchad, le Coq gaulois se retrouve complètement plumé au Sahel où son chant ressemble de plus en plus à celui du cygne.