L'association Malouf tunisien-Paris a annoncé la date de son premier concert en Tunisie qui se tiendra au Palais des sciences de Monastir, le 7 décembre. Pour en savoir davantage, nous avons contacté Amel Bedoui, membre de l'association.
La musique et l'écriture, deux vocations qui la portent depuis son enfance passée en Tunisie. Elle est chanteuse et musicienne au qanûn, mais aussi écrivaine, son écriture est doublement nourrie de la pratique complexe de la médecine, de sa sensibilité artistique et de son empathie face à la souffrance.
Elle est également cogérante de la maison d'édition Ibn Arabi, héritée de son père écrivain et chercheur, Mohamed Bedoui. Une rencontre vivifiante avec une dame d'exception qui a plusieurs cordes à son arc.
Commençons par votre passion pour l'écriture, quand l'avez-vous découverte ?
A l'âge de 12 ans, j'ai participé au Forum national des jeunes écrivains où j'ai décroché un premier prix. Puis j'ai continué à écrire mais sans penser à publier. J'ai entamé l'écriture de «Sonate d'une âme perdue» il y a trois ans. J'étais dans une période de deuil et j'ai senti ce besoin d'écrire pour verbaliser tout ce qui bouillonne en moi et que je ne pouvais pas exprimer par d'autres moyens même artistiques.
Je me suis donc remise à écrire d'une manière plus organisée pour un texte plus construit. J'ai inventé Isis, personnage principal du roman pour évoquer à travers elle l'expérience du deuil. Mon père est décédé entre-temps et il nous a légué la maison d'édition. Nous ne savions pas à l'époque si nous pouvions la garder et continuer à la gérer comme nous sommes tous installés à l'étranger. Puis, ça nous a paru évident de continuer.
C'était le rêve de mon père qu'on ne pouvait pas abandonner, ainsi que les écrivains qui comptaient sur lui. A travers cette maison d'édition, il donnait la priorité aux jeunes et encourageait leurs premières publications. Pour honorer sa mémoire, nous avons poursuivi ce travail avec la même orientation en y ajoutant notre touche.
C'est très difficile de se faire une place dans ce domaine quand on n'est pas présents sur terrain. Je remercie tous les auteurs qui nous ont confié leurs manuscrits et nous sommes extrêmement heureux de suivre leurs succès.
Est-ce que le contact avec les patients vous inspire pour l'écriture ?
Isis, la protagoniste du roman, est le fruit de mon imagination. Je ne l'ai jamais rencontrée dans ma pratique médicale. Mais je l'ai évidemment inventée à travers mes expériences de vie personnelle et professionnelle. Je suis cheffe de service en France et je gère actuellement sept unités avec 140 personnels. Je rencontre tous les jours des patients qui souffrent de problèmes psychiatriques comme les personnages du roman. Le plus difficile était de les formuler d'une manière romancée sans que le jargon médical l'emporte sur le littéraire.
Parlons de votre carrière musicale. Quand a-t-elle débuté ?
J'ai commencé le conservatoire au collège, donc pas très jeune par rapport aux autres artistes. J'étais inscrite au conservatoire régional de Monastir, ce qui m'a permis d'avoir un diplôme en musique arabe et un diplôme d'instrument pour le qanoun. J'ai joué en Tunisie et j'ai même enseigné à l'Institut supérieur de musique en parallèle avec mes études médicales. Quand je suis arrivée en France, j'ai eu du mal à trouver mon rythme au début parce qu'il faut être engagée et continuer à s'entraîner tout au long de la semaine. Puis, en 2018, j'ai intégré l'association Malouf tunisien-Paris.
Quelles sont les activités de cette association ?
Le groupe s'en rencontré depuis 2009. La création de l'association avec son statut juridique remonte à 2013. Ahmed Ridha Abbess en est le président et le directeur artistique. Notre mission, c'est la transmission, la valorisation et la conservation de ce patrimoine. Nous travaillons sur des morceaux peu connus, des nouba entières. C'est l'équivalent d'une symphonie avec ses différentes parties rythmiques.
Nous sommes restés sur les versions originales, comme les anciens enregistrements de Testour... Il faut les maîtriser correctement, au jeu comme au chant, et toute une harmonie du groupe à créer. Tous les dimanches, nous nous retrouvons pour les répétitions. Ce sont des moments où nous nous sentons en Tunisie pour de vrai sans prendre l'avion.
Moi je chante et je joue au qanoun. Les autres membres du groupe sont pour la plupart des Tunisiens résidant en France. Mais il y a eu des années où des Algériens, des Marocains et même des Français faisaient partie de notre association. La troupe est faite de musiciens professionnels mais la majorité sont des médecins, des ingénieurs, des enseignants et des étudiants réunis autour de cette passion.
Est-ce que vous ciblez le public tunisien particulièrement ?
En France, le public est très varié. Nous commençons déjà par faire la promotion chacun dans son travail. A chaque spectacle, un livret est distribué à l'entrée avec les paroles en arabe traduites en français pour faciliter la compréhension.
Cela permet donc aux spectateurs de mieux nous suivre. Notre but n'est pas de continuer ce projet entre nous mais de présenter le malouf ici en France. C'est comme quand on voit des spectacles de flamenco ou d'autres musiques traditionnelles. Ils ne sont pas forcément destinés aux originaires de ces pays. Nous souhaitons donc avoir un public plus large en plus des Tunisiens expatriés en France.
Quel est le programme de votre prochain concert à Monastir ?
Nous avons déjà joué en France à l'Institut du monde arabe et dans beaucoup de salles. Nous sommes aussi partis à Fès, au Maroc. C'est notre premier concert en Tunisie que nous organisons du début à la fin même pour les détails logistiques. C'est un challenge pour nous.
D'ailleurs, nous viendrons vendredi pour revenir en France dimanche. Il y aura les nouba connues, chantées par Sonia Mbarek, Zied Gharsa et d'autres. Nous allons aussi présenter dans ce concert des morceaux beaucoup moins célèbres. Venez les découvrir et vous serez impressionnés par la richesse de cette musique intemporelle qu'est notre malouf.