Ile Maurice: Une Présidence entre Espoir et Illusion

7 Décembre 2024

Maurice a un nouveau président et un nouveau vice-président. Ce dernier poste, pourtant, semble être un luxe inutile dans une époque où les finances de l'État vacillent en attendant Moody's et où les promesses électorales pèsent encore sur la balance des attentes.

L'héritage présidentiel laissé par Pradeep Roopun et Eddy Boissézon ne marquera certainement pas les annales de notre République. Le président de Maurice, par la nature même de ses pouvoirs, se réduit trop souvent à un rôle de figurant institutionnel. Un «vase à fleurs», diront certains, surtout lorsque l'occupant du poste est issu d'une famille politique, dont il ne peut s'émanciper. Le vice-president, lui, a un rôle encore plus effacé, qu'on paie au prix comptant, jusqu'à ce que la mort s'ensuive.

En 2014, Navin Ramgoolam et Paul Bérenger avaient tenté de refaçonner la fonction du chef de l'Etat. Ils voulaient amender la Constitution pour conférer des pouvoirs élargis au président de la République, poste jadis promis à Ramgoolam, tandis que Bérenger visait le bureau du Premier ministre. Mais les électeurs mauriciens, dans leur sagesse, ont rejeté cet arrangement. Ils avaient opté pour un Premier ministre fort, Sir Anerood Jugnauth, à l'image des dirigeants indiens, plutôt qu'un président puissant, à la française ou à l'américaine.

Ce choix a ancré l'idée que la force politique à Maurice réside au sein du l'exécutif, et non dans la neutralité symbolique du Réduit. Pourtant, l'arrivée d'Ameenah Gurib-Fakim en 2015 semblait ouvrir une fenêtre d'espoir. Première femme présidente, scientifique de renommée internationale, elle incarnait une avancée démocratique. Mais son mandat fut rapidement étouffé par les limites de sa fonction et un scandale politico-financier, que nous avons révélé, presque à contre-coeur.

Ce vide institutionnel persiste. L'idée même d'un président actif, moteur de progrès, reste un mirage. Ce rôle, vidé de substance, reflète les inégalités et contradictions profondes de notre système. En tant que figure apolitique, le président pourrait, en théorie, porter une vision nationale, transcender les clivages ethniques et politiques, et défendre les mérites d'un mauricianisme inclusif. Mais cette liberté, cette hauteur de vue, est rarement mise à profit, car il serait contraire au jeu politique de nos dynasties.

Nous devons alors poser la question : à quoi sert la présidence si elle ne peut pas inspirer, fédérer, et transformer ? Le gâchis de ce potentiel est un écho des nombreux talents étouffés dans notre société. Les jeunes, souvent mieux formés et plus compétents, se heurtent aux murs de la corruption, du favoritisme, et des logiques de pouvoir. Nos institutions, gangrenées par des nominations partisanes, peinent à offrir des opportunités équitables.

Mais il y a une lueur d'espoir, si faible soit-elle. Ce moment de transition pourrait être l'occasion de repenser ce que signifie diriger à Maurice. Un président, même limité dans ses pouvoirs, peut être un symbole fort. Un président peut parler. Dire les vérités que d'autres préfèrent ignorer. Défendre l'idée que chaque Mauricien, peu importe son origine ou sa caste, a sa place au sommet des institutions de ce pays, comme ont su le faire Cassam Uteem et Kailash Purryag, qui ont évité de croiser le chemin des Sobrinho en visite de prospection.

Il est temps d'imaginer une République où les postes de responsabilité se méritent, et ne se distribuent pas comme des faveurs. Où la culture politique valorise l'engagement, l'intégrité, et le service public au lieu de se perdre dans des alliances de circonstance et des conflits d'intérêts. La présidence pourrait être le levier d'un nouvel idéal, si seulement nous en donnions les moyens à celui ou celle qui occupe cette fonction.

Maurice ne manque pas de talents ni de ressources. Ce dont elle manque, c'est d'un cap clair, d'un discours rassembleur, d'une vision partagée. La présidence, en tant qu'institution, pourrait incarner cette ambition. Mais pour cela, elle doit être réformée, ou du moins investie d'une volonté de changer les choses. Sinon, elle restera ce qu'elle est : un symbole vide, un miroir de nos propres blocages, une caisse de résonance du discours-programme d'un gouvernement (à ne pas confondre avec un manifeste électoral, comme l'a subtilement rappelé Paul Bérenger à la place d'Armes lors du discours de remerciements).

Ce que nous avons devant nous n'est pas une révolution, mais une opportunité. Ne la gaspillons pas, cher président Gokhool !

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