L'audience du procès pour détournement de fonds publics au ministère de l'Action humanitaire s'est poursuivie, le mercredi 18 décembre 2024 au Tribunal de grande instance Ouaga 1 (TGI). Elle a porté sur la constitution de partie civile, la caractérisation des infractions commises par les prévenus ainsi que les plaidoiries des avocats. Le délibéré a été fixé au 24 décembre prochain.
Le Tribunal de grande instance Ouaga (TGI Ouaga 1) a été le théâtre de l'affaire impliquant le détournement de plus de trois milliards de francs CFA, soulevant des questions sur la moralité publique au Burkina. A l'entame des débats, Me Prosper Farama, représentant le Réseau national de lutte anti-corruption (REN-LAC), a dressé un portrait incisif des accusés. Parmi eux, Amidou Tiegnan, d'origine modeste, mais ayant gravi les échelons de la fonction publique, est présenté comme le pivot de cette affaire. Salifou Ouédraogo, décrit comme un «bon père de famille», voit son apparente respectabilité mise en doute par les faits.
Philippe Bayoulou et Pétronille Tarpaga, dont les profils respectifs, calme et religieux, contrastent avec leur implication présumée dans des activités frauduleuses. « Les prévenus sont une représentation miniature de notre société », a déclaré Me Farama, soulignant l'ampleur du fléau de la corruption. Il a rappelé que le policier qui extorque 2 000 FCFA est aussi coupable que celui qui détourne des milliards.
Pour l'avocat, il est urgent de repenser toute une culture de l'impunité. L'agent judiciaire de l'Etat a évalué le préjudice total à plus de cinq milliards de francs CFA. Cette somme, qui aurait pu améliorer les conditions de vie des populations vulnérables, a été dissipée de manière scandaleuse. Me Farama a insisté sur l'importance de promouvoir l'intégrité et d'engager une réforme des moeurs administratives, rappelant que les nominations doivent se baser sur les compétences et non sur des récompenses. Le procureur s'est également insurgé en parlant des investissements de Tiegnan : « Comment peut-on prendre de la nourriture destinée aux personnes déplacées internes pour nourrir des animaux ? ».
Les peines requises par le parquet
Le parquet a requis des peines exemplaires pour les prévenus. Pour Pétronille Tarpaga, 15 ans de prison ferme, une amende de 285 millions de francs CFA et la déchéance de ses distinctions honorifiques. Pour Salifou Ouédraogo, 20 ans de prison ferme, une amende de 347 millions de francs CFA et la confiscation de ses biens mal acquis. Pour Philippe Bayoulou, 11 ans de prison ferme, une amende de 170 millions de francs CFA et la confiscation de ses biens mal acquis. Quant à Amidou Tiegnan, reconnu responsable d'un préjudice de plus de quatre milliards de francs CFA, il est accusé d'avoir utilisé ces fonds à des fins personnelles, notamment pour l'achat de véhicules de luxe et la construction de biens immobiliers. Le parquet a requis 30 ans de prison contre lui.
A l'issue des réclamations de la partie civile et des réquisitions du parquet, les plaidoiries se sont succédé dans la salle d'audience Nº1 du TGI Ouaga 1. Les conseils du principal prévenu dans cette affaire, Amidou Tiégnan, ont la parole en dernière position pour défendre leur client. Dès l'entame de leur plaidoirie, les avocates sont revenues sur l'exception d'incompétence qu'elles avaient soulevée au début du procès. Selon elles, « les faits reprochés à leur client relèvent du criminel et non du délictuel ». Or, le tribunal correctionnel, ont-elles dit, ne peut statuer que sur des délits.
Il sied donc de leur avis, que le tribunal se déclare incompétent pour statuer sur le présent dossier. Les avocats des prévenus ont défendu leurs clients en pointant du doigt les failles institutionnelles ayant permis ces infractions. Assimilant ces dysfonctionnements à une
« cleptocratie », ils ont souligné que les actions de leurs clients étaient la conséquence de ces faiblesses structurelles. « Tant que ces dysfonctionnements ne seront pas corrigés, vous aurez encore et encore des prévenus similaires devant vous », ont déclaré les avocats. Elles ont toutefois reconnu la gravité des faits tout en louant la sincérité de M. Tiegnan qui aurait coopéré pleinement pour faire la lumière sur l'affaire.
« C'est un homme de vérité. Il mérite que vous considériez cet aspect dans votre jugement », a déclaré la défense. L'avocat de l'accusée Petronille Tarpaga, Me Adama Kondombo a justifié devant le tribunal, ce qui a pu bien pousser sa cliente à injurier le procureur. «Ce sont les coups de la vie», a-t-il résumé, le comportement de Petronille Tarpaga. Me Adama Kondombo, avocat de Pétronille Tarpaga a fait remarquer que les deniers publics sont le grenier de tout le peuple « et moi quand j'entends qu'il y a détournement, cela me choque». Cependant, l'avocat a déclaré que la justice a un visage humain.
« Comme ce sont des humains qui jugent leurs semblables, vous ne pouvez pas occulter cet aspect», a-t-il dit à l'endroit du tribunal, faisant savoir que sa cliente est une bonne mère. Dans sa plaidoirie, il a indiqué que le sursis est possible pour sa cliente, demandant ainsi la clémence du tribunal. Selon ses dires, la justice a un visage humain. Il a fait ressortir la personnalité de sa cliente et les circonstances dans lesquelles les faits se sont produits, pour demander la clémence et le sursis au tribunal.
« Elle est une bonne religieuse. C'est une veuve. Nous sommes tous des humains. Vous pouvez utiliser ces éléments pour atténuer sa peine », a-t-il laissé entendre. L'avocat de Pétronille Tarpaga, Me Adama Kondombo, a demandé la clémence du tribunal en rappelant les difficultés personnelles de sa cliente, notamment la perte de son mari en 2008 et un traumatisme crânien qui aurait altéré son jugement. Tous les accusés ont reconnu leur tort, demander pardon aux veuves, orphelins, les personnes déplacées internes voire le chef de l'Etat tout en implorant la clémence du tribunal.
La demande de pardon des prévenus
A la suite des réclamations, des réquisitions et des plaidoiries, les prévenus sont passés tour à tour à la barre pour demander pardon pour leurs actes.
« Ma conscience va me gronder », Amidou Tiegnan
« Je reconnais avoir fauté. Je demande pardon au peuple burkinabè, je demande pardon au procureur, aux orphelins. Si je ne le fais pas, ma conscience va me gronder. Je demande pardon aux autorités qui m'ont fait confiance. Je n'ai pas su accomplir ma mission de gestionnaire de compte. Je demande votre clémence monsieur le président »
« Je m'excuse auprès du peuple Burkinabè », Petronille Tarpaga
« En ce qui me concerne, je demande pardon auprès du peuple burkinabè, des PDI, des personnes vulnérables. Je tiens à informer que M Tiegnan ne m'a pas forcée, j'ai fait cela de mon propre gré. Monsieur le président, je demande votre clémence »
« Je regrette mes actes », Salifou Ouédraogo
« Je voudrai à la suite de mon conseil dire tous mes regrets pour l'acte que j'ai posé. Je voudrais demander pardon à toute la Nation Burkinabè...Particulièrement à l'ensemble des acteurs humanitaire qui oeuvrent pour que les PDI puissent vivre dans de bonnes conditions. Pardon !!! Encore pardon !!! Je demande la clémence du tribunal, car je regrette l'acte posé »
« Ma désolation est profonde », Philippe Bayolou
« Je déclare avec un profond regret mes actes. Ma désolation est profonde. J'ai porté un coup préjudice à l'intégrité du peuple burkinabè et espère que le peuple pourra me pardonner pour tous ces faits. Je demande pardon pour ma faute. Je prends une résolution de rompre avec ces actes... »