Sénégal: Keur Massar - Les communes désemparées face à l'occupation anarchique du rond-point et de ses voies annexes

Le rond-point "Keur Massar", carrefour de transit de milliers de passants et voyageurs vers d'autres villes, comme Malika, Rufisque, Thiès, Tivaouane Peulh, Jaxxaay, Yeumbeul et Dakar est devenu une place forte des vendeurs ambulants et commerçants.

Situé entre les limites des communes de Keur Massar sud et nord, dans la région de Dakar, il constitue le principal point d'entrée de Keur Massar, érigé en département en 2021.

Le rond-point a été doté en 2022, d'un autopont financé à hauteur de 10 milliards de francs CFA. Cet ouvrage a été mis en service le 13 juillet de la même année, par l'Agence des travaux et de gestion des routes (AGEROUTE Sénégal), pour faciliter la mobilité urbaine dans cette zone.

Moins de trois ans après, ce point stratégique de la circulation et ses allées centrifuges sont aujourd'hui très loin de remplir cet objectif initial à cause de l'occupation anarchique des vendeurs ambulants.

Ces derniers occupent tranquillement la voie publique où ils proposent leurs marchandises. Une situation source d'énormes désagréments à la mobilité urbaine, pour les automobilistes et piétons de même qu'aux communes compétentes, notamment Keur Massar sud et nord, situées à environ 30 kilomètres à l'est de Dakar, la capitale du Sénégal.

Le rond-point est complètement envahi par ces marchands, installés jusque sous l'autopont "Keur Massar" et ses allées annexes.

Un désordre auquel les autorités municipales de ces deux collectivités territoriales ont tenté de mettre un terme, en initiant avec l'appui de la gendarmerie nationale des opérations de déguerpissement forcées, mais sans le succès escompté.

Des opérations en dépit desquelles le phénomène semble avoir de beaux jours devant lui dans ce grand carrefour de la banlieue dakaroise.

Entre la paroisse sainte François d'Assise de l'Archidiocèse de Dakar, la station Shell et sous l'autopont du rond-point "Keur Massar", les vendeurs de fruits, d'habits, de postes radios et d'autres accessoires électroniques se sont tout simplement emparés des allées réservées aux piétons.

Elles longent et séparent des cantines, les axes routiers annexes menant vers ce grand carrefour dont le grand boulevard scindant depuis 2021, l'ancienne commune de Keur Massar en deux collectivités territoriales (Keur Massar nord et sud), à la faveur d'un découpage administratif.

L'occupation anarchique de cette grande avenue achalandée, a considérablement réduit les voies piétonnes qu'empruntent quotidiennement des passants. Ces derniers sont désormais obligés de se faufiler entre les véhicules et les étals des marchands ambulants, à leur risque et péril, pour se frayer un passage.

La circulation automobile est aussi impactée par ce désordre qui entraine de longs embouteillages.

À l'intérieur des véhicules particuliers, des minibus de transport en commun "Tata" et des bus de la société publique de transport interurbain "Dakar Dem Dikk", les passagers n'ont d'autres choix que de prendre leur mal en patience. C'est le prix à payer pour s'extirper de ce bourbier, avant de pouvoir poursuivre leur route.

Et pourtant, en juillet 2024, une partie de la voie publique de ce carrefour grouillant de monde, avait été libérée de ses occupants. Une opération de déguerpissement initiée par la commune de Keur Massar Sud avait alors été lancée, avec l'appui de la gendarmerie nationale.

Six mois après, les vendeurs ambulants, ceux-là même qui occupaient cette voie publique, sont revenus en masse sur les lieux.

"Cette situation s'explique par plusieurs facteurs dont le relâchement des efforts entrepris depuis six mois par la commune de Keur Massar Sud pour éradiquer partiellement l'occupation anarchique du rond-point +Keur Massar+", explique Moussa Fall, directeur de cabinet du maire de Keur Massar sud.

"Ce relâchement s'explique aussi par le fait que nous étions confrontés à des problèmes financiers pour assurer la prise en charge journalière des gendarmes pour sécuriser les emprises libérées", ajoute le collaborateur du maire, assis dans son bureau niché au troisième étage du siège de la mairie.

Il indique qu"'il y a également l'absence de solutions concertées et coordonnées entre les communes de Keur Massar Sud et Nord et le conseil départemental pour éradiquer l'occupation anarchique du rond-point, entrée principale du département".

Le directeur de cabinet a déploré l'absence d'une politique d'intercommunalité des collectivités territoriales du département de Keur Massar pour venir à bout de ce problème.

Il a assuré néanmoins que la commune de Keur Massar Sud ne va jamais abandonner son combat contre le désordre public, lié à l'absence d'une coopération entre les communes. "Nous n'allons jamais jeter l'éponge, mais il faut admettre que nous n'avons pas les moyens pour financer les opérations de déguerpissement", a-t-il avoué.

Moussa Fall a indiqué que la mairie de Keur Massar continue à déployer ses agents pour combattre cette anarchie en dépit des obstacles et difficultés de terrain. "Les opérations continuent mais différemment par rapport à l'opération de désencombrement de juillet dernier", a-t-il précisé.

Keur Massar, troisième poids démographique de la région de Dakar

Il invite en outre l'administration centrale, notamment le ministère de l'Intérieur, à "s'impliquer durablement" dans la sécurisation des emprises libérées. "L'Etat doit aussi accompagner le département à faire face au boom démographique", a-t-il préconisé.

Selon le 5e recensement général de la population et de l'habitat (RGPH-5), publié en 2023, par l'Agence nationale de la statistique et de la démographie (ANSD), le département de Keur Massar, compte 770.314 habitants. Il occupe ainsi la troisième position en terme de poids démographique dans la région de Dakar.

Keur Massar est devancé par le département de Dakar, peuplé de 1.278.469 habitants, suivi de Rufisque, avec 808.337 habitants.

Peinant à sécuriser les emprises libérées, lors de l'opération de déguerpissement de juillet 2024, la mairie de Keur Massar Sud a aménagé des jardins publics sur ces emprises près du rond-point, renseigne Moussa Fall.

Concernant la construction d'un centre commercial pour recaser les vendeurs ambulants, il avance que ces derniers "n'ont pas" les moyens de "se procurer les cantines". "Ce qui reste, c'est d'attendre un coup de pouce du pouvoir central, du ministère de l'Intérieur en particulier", affirme-t-il.

Dans la partie nord du rond-point, le décor est identique autour de la station Shell, où des vendeurs de chaussures occupent les allées. Ici également, la mairie se bat de façon solitaire et avec ses propres moyens, pour libérer la voie publique.

Au siège de l'hôtel de ville de Keur Massar Nord, Abdoulaye Diouf, chef du bureau du cadre de vie et aménagement, se vante des acquis obtenus par cette collectivité dans la lutte contre l'occupation de l'espace public.

"Nous avons réussi à mettre un terme à la prolifération des étals sur la voie publique, sauf autour de la station Shell où des vendeurs ambulants continuent d'assiéger l'espace public", a-t-il affirmé.

Il informe que la mairie de Keur Massar Nord "déploie toujours ses agents de voirie pour combattre l'occupation en privilégiant la communication et la sensibilisation".

"Nous rappelons lors des échanges que le marchand ambulant ne doit pas mettre d'étals sur le trottoir mais circuler avec ses marchandises", a indiqué M. Diouf.

Mais sur le terrain, le constat est tout autre sur la partie nord du rond-point relevant de la compétence de la commune de Keur Massar Nord. Des marchandises sont exposées sur des étals et les trottoirs, obligeant les piétons à marcher entre les véhicules avec tous les risques et dangers que cela comporte.

Ici, le nombre d'étals explosent entre 18 heures et 22 heures, notamment aux heures correspondant à la descente des résidents de Keur Massar et des localités environnantes. Ces habitants travaillent pour la plupart à Dakar.

Les opérations de déguerpissement forcées, un échec

Absence de coordination entre les mairies de Keur Massar Sud et Nord et le conseil départemental et échec des opérations de déguerpissement forcées dans la lutte contre l'occupation anarchique de la voie publique: ce sont autant de failles dont profitent les ambulants pour pérenniser leurs activités autour du rond-point, dans un désordre sans doute plus accentué du côté de Keur Massar Sud.

Entre les jardins publics aménagés par cette collectivité territoriale et le rond-point, précisément devant les cantines sis au rez-de-chaussée du centre commercial Cheikh Sidaty, règne un désordre indescriptible.

L'endroit pullulent de conducteurs de vélos taxis, de vendeurs de divers articles et de jeans.

Bara Kane, un des délégués des vendeurs ambulants de Keur Massar, y tient son commerce de friperie avec ses camarades depuis des années. Il dit avoir été emprisonné trois mois pour occupation illégale de la voie publique.

"D'autres ambulants, pas plus tard qu'aujourd'hui, ont été déférés. Mais à chaque fois, nous revenons sur ce lieu pour gagner notre vie. Nous n'avons que cette activité pour subvenir à nos besoins et aux besoins de nos familles", a soutenu le jeune commerçant polygame, marié à trois femmes.

"Je suis un père de famille qui a trois épouses. Beaucoup de vendeurs ambulants ici sont des soutiens de familles et viennent d'autres communes de la région de Dakar et des régions", a-t-il renseigné.

Le délégué des ambulants pense que les autorités doivent privilégier "la voie des solutions" dans leur volonté de libérer la voie publique, en recasant d'abord les vendeurs ambulants dans des centres commerciaux.

"Si nous avons des espaces où exercer notre activité nous allons libérer la voie publique. Nous demandons donc, aux autorités de privilégier la voie des solutions plutôt que la force", a-t-il suggéré, ajoutant: »Si après avoir construit un centre commercial pour nous et que nous refusons de libérer la voie, elles peuvent à ce moment recourir à la force". Il a admis que l'occupation de la voie publique est illégale.

Abdoul Hamady Dia, propriétaire d'une cantine depuis 2020 au centre commercial Cheikh Sidaty dit partager cet avis. Selon lui, »le recours à la force doit être la dernière option à mettre sur la table".

»Nous demandons aux autorités municipales de recaser d'abord les vendeurs ambulants dans des centres commerciaux avant d'exiger d'eux une libération de la voie publique", a-t-il recommandé à son tour, au milieu d'un groupe de proches.

Pour lui, le recours à la force ne pourrait avoir sa pertinence que lorsque ces derniers refusent de regagner un nouveau site de recasement aménagé. "En l'absence d'une approche méthodique, il sera difficile de faire partir les ambulants de la rue. Après chaque opération de déguerpissement, on va revenir à la case de départ. Et c'est le cas depuis plusieurs années", lance Dia, s'activant dans la vente des portables.

Keur Massar, sans assiette foncière disponible pour recaser les ambulants

Fatou Bambey Thiam Mboup, cheffe du service départemental de l'urbanisme de Keur Massar prévient que trouver un site de recasement pour les vendeurs ambulants de Keur Massar ne sera pas une mince affaire.

"Il sera très difficile de trouver un site de recasement aux vendeurs ambulants étant donné que le département n'a pratiquement plus d'assiette foncière libre en dehors de la forêt classée et la bande du Plan d'urbanisme de détail, déjà habitée à 40%", a-t-elle indiqué.

Elle explique que trouver dans le département de Keur Massar, un site de recasement dédié aux ambulants sera un peu difficile, car l'urbanisation du département pose problème. "Les installations ont précédé les aménagements et en plus de cela, nous ne disposons pas de documents de planification suffisants pour apporter les corrections nécessaires", a-t-elle ajouté.

"Keur Massar, déplore-t-elle, était un village traditionnel où les installations ont précédé les aménagements."

La cheffe du service départemental de l'urbanisme a indiqué qu'une correction de l'urbanisme de Keur Massar ne peut se faire qu'à travers une restructuration profonde qui exige de casser, d'agrandir les voies, de déplacer des habitats vers d'autres zones, de recaser. Selon elle, tout cela demande de gros moyens.

"Par conséquent, je recommande aux collectivités territoriales, une solution plus souple pour lutter contre l'occupation anarchique, consistant à aménager des jardins publics sur tous les espaces publics", dit-elle.

Mme Mboup indique par ailleurs qu'un déguerpissement des ambulants du rond-point Keur Massar ne peut se faire qu'à travers la sensibilisation des populations.

"C'est-à-dire avoir une démarche participative et faire participer toutes les communes (Yeumbeul Nord, Yeumbeul Sud, Keur Massar Nord, Keur Massar Sud, Jaxaay, Malika) du département à la résolution de ce problème", estime-t-elle. D'après elle, les vendeurs ambulants viennent de toutes les communes du département et d'ailleurs.

"Il faut aussi que les collectivités territoriales puissent trouver de gros moyens pour dérouler ces opérations de déguerpissement", suggère la responsable du service départemental de l'urbanisme de Keur Massar, logé dans le même immeuble que la mairie de Keur Massar Sud.

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