Après de longs mois de distractions politiques, l'heure est venue de se retrousser les manches, de mettre les mains dans le cambouis et de revenir à une politique économique plus conservatrice et moins expansionniste. Si l'on se base sur le rapport sur le State of the Economy, l'on peut déduire que l'ancien régime a bercé toute la population dans une forme d'illusion, en lui faisant accroire que tout allait pour le mieux dans le meilleur des mondes possibles et que seulement quatre ans et demi après la pandémie, les fruits de la croissance étaient déjà mûrs. Et qu'il nous restait qu'à tendre la main pour cueillir ces fruits juteux des branches les plus basses. Mais ce n'était que mirage.
À la veille des élections générales, l'administration Jugnauth se livrait encore à de la surenchère, en annonçant des mesures socialement extravagantes comme une allocation de Rs 5 000 aux enfants de 0-18 ans ou encore une allocation de Rs 2 000 aux femmes au foyer. L'ancien ministre des Finances, Renganaden Padayachy, calculait à Rs 75 milliards le coût de l'exécution des mesures économiques et sociales pendant les cinq prochaines années. Celles-ci seraient financées par les milliards qu'on obtiendrait sur la location à bail de la base militaire américano-britannique de Diego Garcia. Et puis, affirmait-il de manière péremptoire, le pays était en situation de boom économique. Donc, tout était possible !
Mais la population avait compris que cette manne ne tomberait pas du ciel, sans une lourde contrepartie, et que le prix à payer, c'était une inflation encore plus forte et une roupie plus affaiblie. Ces promesses généreuses ne pouvaient, non plus, calmer la sourde colère qui animait les Mauriciens face à la cherté de la vie, à la prolifération du trafic de drogue surtout dans les quartiers défavorisés, au pourrissement des institutions et au danger qu'on glisse un peu plus vers un régime autocratique et un État policier. Les bandes sonores de «Missie Moustass» sont revenues renforcer cette perception que l'État est profondément malade et qu'il fallait un changement.
En sanctionnant lourdement l'ancien régime lors des élections générales, la population a, dans ce processus, envoyé un message fort au gouvernement fraîchement plébiscité, à savoir qu'elle s'attend à plus de responsabilité et de transparence dans l'administration des finances publiques, à une remise en ordre et une vraie gouvernance dans nos institutions, à plus d'égalité des chances sur le marché de l'emploi et dans la fonction publique et à un nettoyage de fond en comble dans la société, notamment à travers un combat tous azimuts contre le trafic de drogue.
Mesurant l'ampleur du challenge qui l'attend, le Premier ministre, Navin Ramgoolam, a eu le bon réflexe de repousser ses visites d'État en Inde et en France, suite aux invitations de Narendra Modi et d'Emmanuel Macron, pour mieux se concentrer sur les priorités du moment. Ainsi, il a tout de suite constitué son équipe économique, avec notamment la nomination de Gilbert Gnany, et a avalisé celle de Rama Sithanen comme Gouverneur de la Banque de Maurice. Dans le même temps, une ligne de communication a été établie entre le gouvernement et le secteur privé. Le message est sans ambiguïté : dans une économie où 80 % des richesses sont générées par les entreprises privées, l'État et le secteur privé ne peuvent continuer à se regarder en chiens de faïence.
Dans le même temps, le chef du gouvernement a eu le courage politique de publier le rapport sur le State of the Economy et de rendre publique la réactualisation des chiffres sur les indicateurs macroéconomiques, sachant très bien que cela nous mettait dans une position peu confortable vis-à-vis de Moody's Investor Service qui, soit dit en passant, mènera une mission à Maurice dès janvier 2025 dans le contexte de l'évaluation de la note souveraine du pays. Parallèlement, le Gouverneur Sithanen s'est attaqué aux brûlants dossiers de la Mauritius Investment Corporation et de la Silver Bank, tout en se penchant sur un ensemble de solutions pour éliminer les distorsions sur le marché des changes qui sont, en partie, à l'origine de la pâleur de la roupie qui s'est dépréciée de l'ordre de 46 % face au dollar de décembre 2014 à novembre 2024 et de la problématique de pénurie de devises sur le marché.
Son First Deputy Governor, Rajeev Hasnah, a, quant à lui, engagé les discussions avec les banques pour voir comment mieux encadrer les pratiques spéculatives sur les opérations de change, celles-ci étant centrées sur le recours au swap de devises et au forward rate.
L'élimination de ces distorsions sur le marché des changes, couplée fort probablement à un resserrement des conditions monétaires, devrait, théoriquement, permettre de stabiliser la roupie et de contenir l'inflation. La partie est, en effet, loin d'être gagnée car il ne faut pas oublier dans l'équation la politique de Donald Trump de renforcer l'économie américaine en augmentant les tarifs douaniers, ce qui devrait raffermir davantage le dollar dans les mois à venir. Déjà, depuis sa victoire à l'élection présidentielle, le taux de change euro-dollar est passé de 1,08 à 1,04.
S'il y a des impondérables sur les marchés internationaux qui échapperont à notre contrôle, il n'empêche que la Banque de Maurice devra se montrer rigoureuse dans sa gestion de la politique monétaire et sa stratégie de supervision des marchés pour défendre la roupie.
Tout aussi important est l'alignement de la politique fiscale et de la politique monétaire. Là encore, les premiers discours d'intention montrent qu'il y a une réelle volonté de la part du gouvernement central et de la Banque centrale de coordonner leur stratégie, sans pour autant compromettre l'indépendance de l'autorité monétaire, comme cela a été le cas avec le tandem Padayachy-Seegolam.
Cela dit, avec une croissance du PIB réel de 5,1 % pour 2024, l'économie mauricienne n'est pas non plus dans une situation chaotique. L'inflation, selon les chiffres actualisés pour novembre, était de 3,7 %. Alors que le taux de chômage était de 6,3 % en 2023. Le plus inquiétant, c'est surtout la balance courante qui était déficitaire de -Rs 29,34 milliards l'année dernière. Cela traduit un manque de compétitivité de notre secteur d'exportation et une sur-dépendance des importations des produits de consommation courante et d'hydrocarbures.
S'il faut remettre de l'ordre dans les écuries d'Augias, il ne faut pas non plus s'engager trop vite sur la voie de l'austérité qui pourrait brimer l'économie plus que toute autre chose. Disposant d'un mandat de cinq ans, ce gouvernement devra faire preuve de patience en travaillant sur un échéancier pour assainir les finances publiques et ramener la dette publique, actuellement autour de 83,6 % au plus près des 60 %, et le déficit budgétaire autour de 3 % du PIB. De même, il s'agira d'investir dans l'économie réelle tout en ne négligeant pas l'État providence. Il faudra aussi convaincre les institutions internationales de notre volonté de réformer l'économie en créant les conditions pour améliorer le climat d'affaires et dynamiser la productivité. Rien n'est insurmontable. Après tout, on a connu bien pire avec la Covid-19 !