Au Sénégal, les nouvelles autorités, élues en mars dernier, lancent une politique mémorielle offensive. Après une commémoration nationale pour les 80 ans du massacre de Thiaroye et un appel à rebaptiser les rues au nom des héros nationaux, le président Bassirou Diomaye Faye a également inauguré, mi-décembre, une statue en l'honneur de Lat Dior, l'une des figures de l'opposition à la pénétration coloniale française, au XIXe siècle.
La statue de Lat Dior, assis sur un cheval et brandissant un fusil, se dresse sur un terreplein, face à l'université de Thiès. Au milieu de la circulation, les jeunes sont nombreux, ce jour-là, à s'arrêter et se prendre en photo, comme Adama Ba, élève en 4e et pas peu fier.
« Lat Dior, c'est notre fierté, car à l'époque des royaumes, il se bat pour l'indépendance du Sénégal », souligne-t-il.
Ibou Ndiaye, étudiant en génie chimie, renchérit : « Cette statue est une bonne chose pour notre histoire. Cela marque un début, car nous avons une génération qui aspire au changement et ce genre de statue montre que nous avons une histoire. »
Né en 1842, Lat Dior, l'un des rois du Cayor, ce royaume situé à l'ouest du Sénégal actuel, est considéré comme l'un des grands opposants à la pénétration coloniale qu'il a combattue pendant 25 ans.
Pour Adja Maïmouna Niang, professeure en Lettres à l'université de Thiès, et membre du comité scientifique de ce projet, cette statue doit servir à démocratiser le savoir : « Cela invite à la recherche et cela invite à savoir qui est derrière cette image de Lat Dior. »
Choisir un symbole de la lutte anti-coloniale était aussi une évidence pour le maire de Thiès, Babacar Diop, afin de combler un manque de figures héroïques auxquelles s'identifier : « Il n'y a plus de colonisation, évidemment, mais la colonialité, comme culture, est toujours là. Aujourd'hui, en Afrique, nous avons engagé une lutte, celle de la seconde émancipation. Regardez les symboles de la résistance africaine, c'est Thomas Sankara, c'est Nelson Mandela, c'est Frantz Fanon et aussi des gens comme Lat Dior qui est l'aspiration à la liberté, à la dignité. »
Après ce bronze à Thiès, réalisé par le sculpteur burkinabè Ky Siriki, d'autres édifices publics et rues, nommés d'après des héros sénégalais, doivent suivre, a promis le chef de l'État, Bassirou Diomaye Faye.
Mise en garde
Pour le professeur d'Histoire à l'université Cheikh Anta Diop de Dakar, Dr Boubacar Niang, cette politique mémorielle revendiquée par les nouvelles autorités, s'inscrit dans une tendance continentale de vouloir réhabiliter des figures du passé pour revendiquer une forme de souveraineté et d'identité nationale. Le professeur Boubacar Niang met aussi en garde contre l'utilisation politique de figures historiques complexes.