Ile Maurice: Des révélations qui ont démasqué les abus...

30 Décembre 2024

Le 18 octobre, Maurice a été secoué par un tsunami de révélations orchestré par un lanceur d'alerte connu sous le pseudonyme de «Missie Moustass». Ce personnage, qui a choisi l'anonymat pour des raisons de sécurité, a publié des enregistrements audio explosifs impliquant des personnalités influentes de la société mauricienne. Sur Facebook, puis sur YouTube, «Missie Moustass» a dévoilé des échanges compromettants, soulevant des questions sur l'intégrité des institutions du pays.

Des révélations en cascade

Tout commence par une première série d'enregistrements diffusés en ligne. Ces audios mettent en lumière des figures emblématiques de la scène publique - politiciens, avocats, journalistes et hauts cadres de la police - prises en flagrant délit de collusion et d'abus de pouvoir. Dans l'un des premiers extraits, une conversation entre le journaliste Nawaz Noorbux et l'avocat Samad Golamaully révèle des stratégies pour protéger le Premier ministre (PM) de l'époque d'un scandale en gestation.

La série de l'ex-CP Dip

Les enregistrements suivants révèlent des pratiques troublantes au sein des institutions judiciaires et policières, avec en toile de fond des tentatives de retarder des procédures légales pour des raisons personnelles ou politiques.

Un enregistrement intitulé «Complot pou pardonne so garson», diffusé le 20 octobre, met en lumière des allégations selon lesquelles l'ex-commissaire de police (CP), Anil Kumar Dip, serait intervenu pour éviter la condamnation de son fils, Chandra Prakash Dip. Reconnu coupable de détournement de Rs 3 millions et initialement condamné à 12 mois de prison, ce dernier avait vu sa peine commuée en une amende de Rs 100 000 par la Commission de pourvoi en grâce, déclenchant une vive polémique.

Un autre enregistrement évoque un «complot pour ne pas arrêter son fils», où le CP exprime son inquiétude face à un mandat d'arrêt imminent. Son interlocuteur le rassure. D'autres bandes audio révèlent des conversations controversées. L'une d'elles contient un échange entre le CP et un membre d'une organisation socioculturelle au sujet du refus de caution pour certains voleurs présumés. Dans une autre, on a affaire à des propos inappropriés sur la Vierge Marie.

Des enregistrements impliquent également le CP dans l'affaire Adrien Duval, ainsi qu'un échange avec l'ASP Ashok Matar au sujet des embouteillages et de l'absence de priorité accordée à sa voiture par les motocyclistes. Enfin, un dernier enregistrement mentionne le CP ordonnant une retraite anticipée à l'ASP Kokil, en lien avec une clé USB contenant des vidéos de tortures perpétrées par des policiers.

Enfin, Missie Moustass publie un nouvel enregistrement accusant le CP d'un possible cover-up dans une affaire de meurtre concernant Steeve Jacquelin, décédé dans des circonstances suspectes en janvier 2023 à Résidence Sainte-Claire. Une enquête judiciaire a été ouverte par le bureau du Directeur des poursuites publiques (DPP) devant la cour de Pamplemousses afin de faire toute la lumière sur cette affaire.

Sujet de la PNQ fuité

Dans une autre série d'enregistrements, lors d'un appel, Rakesh Gooljaury informe le PM d'alors, Pravind Jugnauth, que le leader de l'opposition de l'époque, probablement XavierLuc Duval, lui aurait divulgué à l'avance le thème de sa prochaine Private Notice Question (PNQ). Selon ses propos, celle-ci porterait soit sur la drogue, soit sur l'éducation. Effectivement, une question parlementaire sur le problème de la drogue avait été posée en mai 2018, suivie d'une autre sur l'éducation en juin de la même année.

Un système gangrené

Au-delà des faits exposés, les enregistrements ont mis en lumière un système gangrené par des pratiques opaques. Les conversations entre Kobita Jugnauth, épouse de l'ancien chef du gouvernement, et Sarah Currimjee, alors conseillère au bureau du PM, offrent un regard brut sur les coulisses du pouvoir. Elles révèlent comment des nominations stratégiques au sein des institutions publiques étaient orchestrées davantage en fonction des allégeances politiques qu'en fonction des compétences. Ces révélations ont eu un écho considérable au sein de la population.

Dans ces enregistrements, Kobita Jugnauth semble jouer un rôle central, exerçant ce que certains qualifient de véritable «upper hand» dans divers domaines. Son implication dans des décisions sensibles, telles que l'annulation de la licence de Planet FM, l'attribution de contrats publics, et la supervision de projets d'aquaculture, soulève des interrogations sur l'étendue de son autorité dans les affaires publiques.

Dans les premiers enregistrements diffusés le 6 novembre, on entend des voix attribuées à Kobita Jugnauth et Sarah Currimjee discuter des critères de nomination de candidats. Ces derniers devaient impérativement être affiliés au Mouvement socialiste militant (MSM). Leur sélection s'appuyait sur une liste, vraisemblablement établie par le National Security Service, indiquant l'orientation politique de chaque candidat.

Les candidats perçus comme proches du Parti travailliste ou du Mouvement militant mauricien étaient systématiquement écartés, sans égard à leurs compétences. Seuls les «nou dimounn» étaient retenus, sauf en cas de casier judiciaire. Un exemple frappant évoque un candidat rejeté à cause de son lien familial avec un beau-père impliqué dans le trafic de drogue.

«Dir PM kinn deside»

Il semblerait que les noms des candidats aient été proposés par diverses personnalités influentes du pouvoir. Toutefois, c'est Kobita Jugnauth qui avait, semble-t-il, le dernier mot. Lors d'une conversation avec Sheela Curpen, la voix attribuée à l'épouse du PM aurait retiré la candidature d'un individu proposé par Maneesh Gobin, soupçonnant ce dernier d'avoir favorisé un de ses proches pour intégrer le conseil de l'institution. «Mais ne dévoilez pas ces détails à Maneesh. Dites-lui simplement que sa candidature n'a pas été retenue.» La voix identifiée comme celle de Sheela Curpen acquiesce : «Mo pou dir PM kinn deside.»

«Angular face»

En dehors des nominations, les voix attribuées à Kobita Jugnauth et Sarah Currimjee discutent d'autres personnes dans les enregistrements, notamment de la hautecommissaire de l'Inde, Nandini Singla, sur laquelle elles font de vives critiques. Kobita Jugnauth semble particulièrement remontée contre la diplomate, qui aurait rencontré Navin Ramgoolam. «Désormais, dit la voix attribuée à Kobita Jugnauth à Sarah Currimjee, quand elle cherchera un rendez-vous avec Pravind Jugnauth, p** ar li, dir li al zwenn Navin Ramgoolam.»*

L'épouse de Pravind Jugnauth n'a pas non plus apprécié un commentaire de Sooroojdev Phokeer, qui aurait affirmé que Nandini Singla lui ressemble. «Mari vilin sa fam-la», ajoute Kobita Jugnauth, tandis que Sarah Currimjee approuve.

«It's good news»

Dans un enregistrement où Kobita Jugnauth s'entretient avec Ken Arian, elle aborde la révocation de la licence de Planet FM. «Lisans Planet FM inn revoke zordi?», demande Kobita Jugnauth. «Je ne crois pas que la licence de Planet FM a été révoquée aujourd'hui. Je sais qu'il y avait quelque chose dans ce sens. Laisse-moi vérifier», répond Ken Arian. Kobita Jugnauth poursuit : «Quelqu'un vient de m'envoyer un message, et cela vient d'une personne qui siège au board de l'IBA», précise-t-elle. «It's good news. Mo zis inpe fasine ki...», se réjouit-elle.

«Inn mont dadak pou rant dan minisipalite»

Dans un autre enregistrement, toujours entre Kobita Jugnauth et Ken Arian, elle déclare : «Deza zot inn mont dadak pou rant dan sa minisipalite-la...» Ken Arian l'interrompt : «Non, me san nou zot ti pou...» «Kom dabitid, dan eleksion minisipal enn sou pa finn kontribie, sa krever de Xavier-la», conclut Kobita Jugnauth.

«Maradiva» et «sands»

Dans un autre extrait, Kobita Jugnauth échange avec son époux, Pravind Jugnauth, à propos d'un projet d'aquaculture. Dès le début de la conversation, elle lui dit : «Pravind, aparaman demin dan Cabinet Papers, zot pe approuve sa zafer fish farming-la.» Le PM semble ne pas être au courant et répond simplement : «Fish farming?» Kobita Jugnauth lui explique : «To kone, zot pe met bann striktir dan lagon pou met fish farmingla.» Pravind Jugnauth lui fait comprendre que ce n'est pas prévu pour demain, car ce projet a déjà été approuvé. Surprise, Kobita Jugnauth répond : «Ah bon, inn fini approuve? Ki sannla ki pe get sa? Ki minister sa?» demande-t-elle d'un ton agacé. C'est le ministère de l'Économie bleue, répond le PM.

Kobita Jugnauth ne lâche pas et demande si ce ne sont pas des firmes privées. «Otan ki mo rapel, ena Growfish, li pe fer sa Bambous», explique Pravind Jugnauth. «To kone kinn arive ? Ena kot Maradiva ek Sands ki dan lagon zot inn met sa bann striktir-la. Li enn eyesore.» Pravind Jugnauth lui dit que le projet n'est pas situé dans le lagon, ni à l'endroit qu'elle indique. Elle persiste : «Si, inn fini koumans mete la. Pa kone kouma pou fer sa. Zot pa met sa partou. Par exanp, Albion zot pa mete, zot ti kapav met sa kot pena lotel.»

Finalement, elle suggère : «Quand on ira durant le week-end on verra, mais si jamais il y a quelque chose dans le Cabinet demain, to dir put on hold.» Pravind Jugnauth approuve et assure qu'il s'en occupera.

«Pa met presion lor li»

Dans une autre bande sonore, Kobita Jugnauth s'entretient avec le directeur de la Mauritius Broadcasting Corporation (MBC), Anooj Ramsurrun. Elle lui demande s'il a filmé la conférence de presse. Le directeur de la MBC répond : «Lakel, de-z-er la? Oui, je vais y accorder une grande importance.»

«Right», approuve Kobita Jugnauth. Elle poursuit : «Deziem soz, se Hans Puttur. Mo kwar li ena inpe det avek MBC, larg li inpe, donn li enn ti letan, li pe fer nou bann piblisite pou MDFP tou sa. Zot pe met presion lor li.» Anooj Ramsurrun explique qu'il est en contact avec Hans Puttur et que cette affaire avait été évoquée lors d'une réunion du conseil d'administration. Hans Puttur aurait demandé qu'on lui fournisse un document attestant qu'il a déjà payé, qu'il pourrait présenter à l'Economic Development Board pour obtenir une autorisation. «Mais appelle-le et dis-lui qu'on va lui donner un peu de temps», conclut Kobita Jugnauth.

Contrat avec Edmond Security

Dans trois autres bandes sonores, il est question du contrat avec Edmond Security. Dans un premier enregistrement diffusé, la voix attribuée à Kobita Jugnauth s'entretient avec celle attribuée à Ken Arian et lui demande s'il existe un délai pour les contestations dans le cadre d'un appel d'offres. Ken Arian répond que oui.

«Be Sachin bizin fer appel», dit-elle. «Oui, j'attends qu'Anand vienne et je vais reparler à Sachin. Je vais voir ce qu'il faut faire. Je lui ai dit que s'il faut revoir ou annuler, on fera ce qu'il faut», affirme Ken Arian. «Non, ekout mwa, pa kav revwar tender-la san okenn rezon, li pou paret lous. Fode enn second tenderer fer appel, lerla freeze tender-la, lerla dir pou refer prosedir pou tender», insiste Kobita Jugnauth. Ken Arian approuve et explique que c'est pour cela qu'il a demandé à Sachin de venir avec tous ses documents pour voir comment procéder avec l'appel. «Ensuite, on pourra fournir des éléments à Alan pour qu'il sache quoi faire», dit Ken Arian.

Toujours au sujet d'Edmond Security, dans une conversation avec Sheela Curpen, cette dernière appelle Kobita Jugnauth. Sheela Curpen lui dit : «Sachin est passé, il a laissé une enveloppe, il m'a dit qu'il y avait Rs 200 000 dedans pour toi.» Kobita Jugnauth répond : «Tu devrais laisser ça avec Pravind. Je ne suis pas à Port-Louis.»

«Pou ki DPP oblize step down»

Dans un autre enregistrement, une voix attribuée à Kobita Jugnauth s'entretient avec Ken Arian, qui lui demande de voir avec le directeur de la MCB, Anooj Ramsurrun, afin de trouver une manière de mettre en lumière l'ancien DPP, Satyajit Boolell. «Par exemple, une semaine, il peut mettre l'accent sur l'affaire Sun Tan et une autre semaine sur les accidents de la route. C'est une affaire importante, il faut faire en sorte que cela devienne insoutenable pour lui, au point qu'il soit obligé de démissionner», explique-t-elle. Ken Arian approuve et ajoute que cela fera partie de l'agenda.

«Bann pelrin-la sovaz»

Outre ses ingérences dans les affaires gouvernementales, Kobita Jugnauth aurait également critiqué des personnalités de son entourage. Dans un autre enregistrement, elle qualifie l'avouée Saya Ragavoodoo de «fa******» et, dans une conversation avec Pravind Jugnauth, elle parle des pèlerinages à Grand-Bassin, mentionnant qu'il faut annuler toutes les fonctions organisées par certaines associations culturelles. «Sori mo pe deranz twa Douk, depi 1er tan babaji avek bann sosiokiltirel-la, li pe propoz ki zot cancel tou zot bann fonksion pou donn lexanp. Paski bann lezot pelrin-la san konpran, sovaz net», dit-elle.

Dans un autre enregistrement, elle informe Sally (Sarah Currimjee) qu'elle a signalé à Pravind Jugnauth que la Public Service Commission allait nommer un nouveau Deputy Financial Secretary. Elle mentionne deux candidats : Soondrum et Aucharaz, en précisant qu'Aucharaz est plus discret et compétent. «Demande discrètement à propos de sa caste. Si li maraz, forget it, pa met li», dit-elle.

Des artistes et l'hymne national...

Kobita Jugnauth évoque également un concert au Château de Labourdonnais, où elle affirme que certains artistes d'une ethnie ont scandé «BLD» et que Bruneau Laurette y était. «Les artistes de ce genre n'ont même pas d'argent pour payer le Château de Labourdonnais.» La voix attribuée au ministre des Finances, Renganaden Padayachy, répond par l'affirmative.

Enfin, Kobita Jugnauth critique la situation dans laquelle l'hymne national a été interprété, soulignant que ces artistes n'avaient pas le droit de le chanter n'importe où. «Zordi koumadir lim nasional inn vin zis pou **** (NdlR : cette ethnie précise)», déclare-t-elle, exprimant son mécontentement face à la situation. Ce sera le dernier enregistrement diffusé par Missie Moustass

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