Ethiopie: Deux importantes organisations de défense des droits humains suspendues

communiqué de presse

Nairobi — Les autorités devraient mettre fin au harcèlement répété et arbitraire des organisations de la société civile

La récente décision des autorités éthiopiennes de contraindre deux importantes organisations de défense des droits humains à cesser leurs activités s'inscrit dans le cadre de leur répression croissante contre la société civile, a déclaré Human Rights Watch aujourd'hui. Les autorités devraient immédiatement annuler cette décision, et cesser de cibler les voix indépendantes.

Fin décembre 2024, l'Autorité éthiopienne pour les organisations de la société civile (Authority for Civil Society Organizations, ACSO), un organisme gouvernemental qui supervise ces organisations, a suspendu le Conseil éthiopien des droits humains (Ethiopian Human Rights Council), la plus ancienne organisation indépendante de défense des droits humains du pays, ainsi que le Centre éthiopien des défenseurs des droits humains (Ethiopian Human Rights Defenders Center). L'ACSO a allégué que ces deux organisations manqueraient d'indépendance et agiraient au-delà de leur mandat.

« Au cours de l'année écoulée, les autorités éthiopiennes ont mené une attaque incessante contre les organisations de défense des droits humains », a déclaré Mausi Segun, directrice de la division Afrique à Human Rights Watch. « En suspendant des groupes engagés dans la documentation et le plaidoyer essentiels en faveur des droits humains, le gouvernement montre son intolérance à l'égard de toute surveillance indépendante. »

Ces suspensions ont eu lieu quelques semaines après celle de trois autres importantes organisations de défense des droits humains, par l'ACSO : le Centre pour l'avancement des droits et de la démocratie (Center for the Advancement of Rights and Democracy, CARD), Lawyers for Human Rights (LHR, une association d'avocats), et l'Association pour les droits humains en Éthiopie (Association for Human Rights in Ethiopia, AHRE). Le 11 décembre, l'ACSO a provisoirement levé la suspension de ces trois organisations, mais l'a ensuite rétablie le 17 décembre pour le CARD et la LHR, accusées de ne pas avoir « tiré les leçons de leurs erreurs » et de ne pas avoir pris de mesures correctives après avoir reçu un avertissement. La levée de la suspension de l'AHRE est toujours en vigueur.

Ces suspensions reflètent les tactiques bureaucratiques d'intimidation qui ont paralysé le travail de défense des droits humains dans le pays. Pendant plus d'une décennie, les autorités éthiopiennes ont restreint le droit à la liberté d'association et le travail des organisations de la société civile par le biais de lois répressives telles que la Proclamation de 2009 sur les organisations caritatives et les sociétés (Charities and Societies Proclamation). En vertu de cette loi, le gouvernement disposait d'un large pouvoir discrétionnaire pour geler les avoirs des organisations et ordonner leur fermeture. Human Rights Watch a constaté que la loi permettait au gouvernement de décimer les activités de la société civile et le militantisme en faveur des droits humains dans le pays.

En 2019, le gouvernement éthiopien a adopté la Proclamation sur l'organisation des sociétés civiles (Organization of Civil Societies Proclamation), qui a remplacé une proclamation abusive de 2009, et a supprimé de nombreux pouvoirs intrusifs de l'autorité de la société civile.

L'article 77(4) de la loi de 2019 autorise l'agence à émettre un ordre de suspension si, au cours de son enquête, elle constate que le groupe a commis une « violation grave de la loi ». Pourtant, l'article 78 décrit plusieurs mesures administratives que l'agence doit prendre, notamment émettre des avertissements écrits spécifiant les violations présumées et accorder aux organisations concernées un délai suffisant pour répondre aux préoccupations, avant d'émettre une suspension.

Human Rights Watch a constaté que les allégations du gouvernement contre les organisations de défense des droits humains concernées, fondées sur des motifs vagues et politisés, étaient incompatibles avec les dispositions de la loi sur la société civile du pays. Le CARD a également déclaré que le gouvernement n'avait pas suivi les procédures requises par la Proclamation de 2019 sur les organisations caritatives et les sociétés, notamment en omettant de fournir un préavis écrit indiquant que les groupes n'étaient pas en conformité avec la loi. Les quatre organisations sont en contact avec l'autorité de la société civile au sujet de leur suspension.

La suspension d'éminents groupes de défense des droits humains envoie un signal inquiétant aux défenseurs des droits quant à l'intolérance du gouvernement à l'égard de ce type de travail, a déclaré Human Rights Watch. Ces suspensions font suite à une série de tentatives du gouvernement au cours de l'année écoulée pour faire taire les critiques dans le pays, notamment par des arrestations et des détentions arbitraires, des surveillances et des menaces. En juillet 2024, le Premier ministre Abiy Ahmed a fait allusion à une répression accrue du gouvernement lorsqu'il a déclaré devant le Parlement qu'il était important d'examiner les institutions de défense des droits humains et leurs procédures.

La Commission nationale éthiopienne des droits humains (Ethiopian Human Rights Commission, EHRC) a publié une déclaration exprimant son inquiétude au sujet des récentes suspensions. En tant que l'une des rares entités de défense des droits humains opérant en Éthiopie, la commission, ainsi que le Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l'homme, devraient s'exprimer plus fermement sur le ciblage accru des groupes de la société civile et des défenseurs des droits humains par le gouvernement.

Un examen public indépendant et une documentation de la situation des droits humains en Éthiopie restent également essentiels pour évaluer la volonté du gouvernement de garantir une véritable reddition de comptes et des réparations pour les atrocités commises en cours dans le pays, notamment dans les régions d'Amhara et d'Oromia touchées par le conflit.

Les mécanismes régionaux africains de défense des droits humains, notamment la Commission africaine des droits de l'homme et des peuples (CADHP), ainsi que les partenaires étrangers de l'Éthiopie, notamment les États-Unis et la France, devraient démontrer leur soutien au rôle essentiel de la société civile indépendante en condamnant publiquement et en privé ces suspensions et menaces, a déclaré Human Rights Watch.

Les États-Unis et la France ont tous deux fourni une assistance à l'ACSO, et devraient conditionner leur soutien au respect de la société civile et de l'espace civique par cette agence. La France a également apporté son aide à certains des groupes de défense des droits humains suspendus. Ces pays donateurs, ainsi que d'autres pays, ont également soutenu le processus de justice transitionnelle du gouvernement destiné à remédier aux atrocités commises pendant le conflit dévastateur de deux ans dans le nord de l'Éthiopie, ainsi qu'aux abus commis dans le pays depuis 1995.

La participation d'organisations indépendantes de la société civile, telles que les groupes de défense des droits humains suspendus, est essentielle à la crédibilité du processus de justice transitionnelle. Les groupes d'opposition et les institutions nationales et internationales des droits humains ont déjà critiqué le processus pour son manque de transparence et de contrôle.

L'affaiblissement progressif de l'implication internationale dans le processus de justice transitionnelle par le gouvernement, malgré un appel important des partenaires internationaux de l'Éthiopie, limite encore davantage les possibilités d'examen et de suivi objectifs du processus.

L'hostilité du gouvernement éthiopien à la surveillance internationale n'est pas nouvelle. Cependant, en raison des violations des droits humains qui continuent de se produire et en fermant largement le pays à la documentation cruciale des groupes de défense des droits indépendants et des mécanismes de surveillance régionaux et internationaux, le gouvernement a rendu difficile l'évaluation de la crédibilité de son processus de justice transitionnelle et de sa capacité à faire véritablement rendre des comptes pour les violations passées et actuelles dans le pays, a déclaré Human Rights Watch.

« Les institutions régionales et internationales de défense des droits humains et les gouvernements concernés devraient agir de manière coordonnée et décisive pour faire pression sur les autorités éthiopiennes afin qu'elles mettent un terme aux attaques contre les défenseurs des droits humains dans le pays », a conclu Mausi Segun. « Ne pas le faire signifierait donner le feu vert à des actes de répression encore plus flagrants. »

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