Dans cette deuxième partie de l'entretien exclusif accordé à RFI, par l'entremise de la Ligue de football professionnel, l'ancien international ivoirien, Didier Drogba parle de sa fondation, et de ses réussites, des Éléphants, de la Coupe du monde 2026, et de ses ambitions ou pas à la FIF et à la CAF.
En dehors de votre vie de footballeur professionnel, vous avez créé une fondation qui a maintenant 17 ans d'existence. Il y a différents projets, au départ, basés sur la santé. Il y a aussi des volets d'éducation. Quel est le projet, dont vous êtes le plus fier ? La réalisation qui vous marque le plus ?
Il y en a tellement, mais merci de me donner l'opportunité de pouvoir m'exprimer sur la fondation. C'est vrai qu'on a fait beaucoup de choses depuis 2017, dont la création de l'hôpital. La Fondation Didier Drogba a trois piliers principaux que sont l'éducation, la santé et le développement durable. Mais dans éducation et santé, il y a aussi l'autonomisation de la femme, parce que cela fait partie aussi d'une certaine éducation. Il faut aider les femmes, les encourager. Et en fait, pour moi, tous les projets ont la même valeur sentimentale.
Lorsqu'on parle de l'éducation et la construction d'une école dans une zone rurale cacaoyère ; donner l'opportunité à des enfants de pouvoir étudier, aller en cours et changer le narratif de leur vie, prendre leur destin en main, ça pour moi, c'est fort. C'est fort parce qu'on donne, les outils à un jeune pour pouvoir décider de son avenir. C'est très important. Ensuite, il y a l'aspect santé avec la construction de cet hôpital (à Attecoubé, ndlr). L'accès aux soins n'est pas toujours facile en Afrique et permettre à des personnes qui n'ont pas forcément les moyens de pouvoir accéder aux soins, c'est fort aussi.
Est-ce qu'il y a un patient ou une élève en particulier dont vous aimeriez souligner la trajectoire grâce à la Fondation ?
C'est marrant parce qu'on est en contact avec une jeune Camerounaise, Ketia, qui a à peine 17 ans, qu'on a rencontrée lors du Global Youth Forum of Tourism, organisé par l'Organisation mondiale du tourisme. Cette jeune fille est focus et concentrée sur tout ce qui est développement durable. Elle est vraiment brillante, vous entendrez parler d'elle. On a décidé de l'accompagner dans ses formations et de payer ses études pour qu'elle puisse réaliser son rêve. Et ça, c'est aussi une des fiertés de la Fondation. Qu'on puisse lui offrir des opportunités d'étudier à Harvard ou dans des écoles à Boston.
Et sur le plan médical, grâce à votre clinique mobile qui dépiste et sensibilise sur les risques liés aux maladies cardiovasculaires, vous avez été marqué par des patients en particulier ?
Il y en a beaucoup qui ont été sauvés parce que les maladies cardiovasculaires sont, après le paludisme, le numéro 2, en termes de mortalité en Afrique. Donc le simple fait d'avoir une camionnette mobile qui va au coeur des populations, qui se déplace, va vers les communautés pour leur permettre d'avoir des soins, d'être testés pour voir s'ils sont en bonne santé et ensuite les rediriger vers des hôpitaux ou vers des médecins pour un traitement, c'est fort. Nous, on voit l'impact de la Fondation au quotidien parce que ces gens-là nous remercient ensuite. Ils nous appellent, ils nous remercient. C'est tout ce qu'on demande. En fait, je me nourris de ça, de ces actions parce que ça m'occupe, parce que ça me fait du bien tout simplement.
C'est pour ça que vous vivez plutôt du côté d'Abidjan désormais ? Et en Côte d'Ivoire ?
Oui, parce que j'ai quand même vécu 15 ans, loin de la fondation. Donc quand on a une fondation comme ça, qui porte son nom, il faut être là au quotidien pour vraiment comprendre les enjeux, et pour avoir un meilleur impact. Donc, c'est aussi une des raisons pour lesquelles je suis là-bas.
Et ce que vous faites avec la fondation sert-il aux politiques ? Autrement dit, est-ce qu'avec le gouvernement, les autorités ivoiriennes, mais peut-être africaines, il y a des collaborations ? Est-ce qu'on vous prend comme modèle ?
Je ne sais pas. En tout cas, c'est vrai qu'on est amené à travailler avec pas mal de gouvernements, puisqu'on veut avoir un impact plus large. Donc, on travaille beaucoup de manière étroite avec le ministère de la Santé en Côte d'Ivoire, avec le ministère de l'Éducation aussi, puisqu'on a un programme d'alphabétisation numérique qui va être lancé. On fait le lancement de nos activités le 12 décembre à Abidjan. Et c'est un lancement qui va nous permettre de travailler sur pas mal de pays africains. Il y aura 11 ministres de l'Éducation de la sous-région qui seront présents pour voir un petit peu ce qu'on fait.
L'objectif, c'est de combattre, de réduire le taux d'analphabètes en Afrique. Et de se servir du numérique. Il y a par exemple une jeune structure qui a créé une application qui permet d'apprendre à lire en cinq mois. Pour nous, c'est génial parce qu'on permet à la dame qui travaille au marché d'apprendre à lire et à compter sans avoir été à l'école. On éduque les populations comme on peut. C'est notre petite contribution au développement de la Côte d'Ivoire et de l'Afrique.
Parlons maintenant de la CAN 2024 en Côte d'Ivoire. Comment avez-vous vécu cette Coupe d'Afrique des Nations ?
(Enthousiaste) Un ascenseur émotionnel. Un film digne des oscars hollywoodiens...
Au départ, vous auriez misé sur ces éléphants ?
C'est marrant parce qu'au départ, je n'étais jamais allé les voir jouer. Je les voyais jouer à la télé. Après le premier match, j'avoue que j'étais resté un peu sur ma faim. On avait remporté le premier match, mais je n'avais pas vu de consistance dans le jeu et je n'avais pas senti une équipe sûre d'elle. Mais c'est normal puisque c'était pour beaucoup la première CAN.
Non seulement la première, mais la première CAN en Côte d'Ivoire et toute la pression que ça peut engendrer. Donc, c'est normal, mais le deuxième match nous a mis en danger. Et puis le troisième match, lorsque les étoiles ne sont pas alignées, lorsqu'on n'a pas tout fait pour que les étoiles soient alignées, il arrive ce qui s'est produit ce jour-là. Et ça a été un coup de tonnerre en Côte d'Ivoire.
Et comme on dit souvent, après la pluie, le beau temps. Il a plu très très fort, il y a eu des orages et après ça, le beau temps est revenu. On a vu une Côte d'Ivoire égale à elle-même, vraiment entreprenante, qui n'avait plus peur de l'échec, plus peur du regard des supporters. Elle n'avait plus cette pression, au contraire, les joueurs étaient vraiment désinhibés. Et ça leur a permis d'aller au bout.
Est-ce que cette victoire à la CAN a, d'une certaine manière, permis aussi la réconciliation, de tous les acteurs du football ivoirien ?
Pourquoi ? Ils étaient fâchés ? (Rires)
On aurait dit non... de loin...
(Il demande) Qui et qui ? En fait, il ne faut pas créer des problèmes là où il n'y en a pas. Il y a eu une élection (Ndlr : à la Fédération ivoirienne de football où Drogba était candidat à la présidence), il s'est passé beaucoup de choses lors de cette élection. Même avant. Il y a eu des échanges difficiles, mais une chose est sûre, c'est que tous ces palabres, entre guillemets, n'avaient qu'un seul but : faire progresser l'équipe nationale et le football ivoirien. Et je pense que l'objectif, lorsqu'on organise une CAN, après plus de 40 ans en Côte d'Ivoire, on veut qu'elle soit belle, on veut que ce soit la meilleure CAN.
On veut que les gens viennent découvrir le pays, toutes les richesses culturelles de la Côte d'Ivoire, on veut que l'équipe nationale remporte le trophée. Nous, on a eu de la chance, vous savez, on a coché toutes ces cases. Donc, que demander de plus ? C'est l'une des rares fois, en tout cas, c'était un bel exemple d'unité parce que pendant toute cette période, personne ne parlait de politique, personne ne parlait d'élection à la FIF, personne ne parlait de problème. Tout le monde pensait équipe nationale de Côte d'Ivoire et tout le monde pensait Côte d'Ivoire. Et je pense que c'est d'ailleurs la base de notre succès.
Le prochain objectif pour cette sélection des Éléphants, est-ce que c'est, pour vous, la Coupe du Monde ? La Côte d'Ivoire n'y participe pas depuis 2014 au Brésil ...
C'était la dernière en effet. Bon, peut-être qu'il va falloir que je revienne pour qu'on puisse se qualifier (rires). Oui, je pense que la suite logique lorsque tu remportes la CAN chez toi, c'est de se qualifier pour la Coupe du Monde et faire mieux que tes prédécesseurs. Donc, il y a un vrai challenge à relever. C'est une équipe qui aime les challenges. Ils ont surmonté un challenge avec beaucoup de brio en remportant la CAN. Il faut mettre fin à ces trois Coupes du Monde manquées. Ça ne sera pas facile, mais je pense qu'on a l'effectif pour le faire.
Et on devrait se qualifier pour une Coupe du Monde. Ça fait trop longtemps, en effet. Il y aura plus de places pour l'Afrique. C'est un grand pas en avant. Et en cela, Gianni Infantino, le président de la FIFA, a vraiment tenu ses promesses en donnant plus de places aux équipes africaines et sud-américaines. Et bien sûr, tout ça pour la beauté du jeu.
La Fédération ivoirienne de football, c'est encore dans vos rêves ?
Je rêve très peu en ce moment.
Et la CAF ? Vous êtes « Légende » de la CAF. Est-ce que vous aimeriez un jour être à la direction de la CAF ? Ou est-ce que c'est compliqué ?
Ce n'est pas un sujet qui vient de manière répétitive et quotidienne chez moi. Ce n'est pas un sujet. Je passe beaucoup de temps avec ma famille, on échange sur des projets, sur des perspectives, et la CAF ce n'est pas un sujet forcément qui est revenu à table à plusieurs reprises. Donc non, je ne vois pas pourquoi je devrais parler de ça en fait.