Burkina Faso: Récoltes en pays Gourounsi - Voyage au coeur d'une tradition de solidarité

20 Décembre 2024

En année de récoltes fructueuses, les propriétaires des champs, chez les Gourounsi, sollicitent l'aide des groupements et des associations. En effet, les greniers doivent être remplis au plus vite afin de protéger les récoltes des pluies inattendues, des incursions animales et des feux de brousse. Focus sur une pratique ancestrale de récoltes dans le champ de Félix Bado, situé à Pouni-nord, un village de la commune rurale de Didyr, dans la province du Sanguié, région du Centre-Ouest.

Le village de Pouni-nord, situé dans la région du Centre-Ouest se trouve à 35 km de Koudougou sur l'axe Koudougou-Didyr et à plus de 100 km de la capitale, Ouagadougou. Cette petite bourgade voit s'installer progressivement, en ce mois de novembre 2024, la saison sèche, marquée par les récoltes. Ici, l'entraide sociale, un concept fondamental qui incarne la collaboration entre individus pour surmonter des défis communs, est une réalité palpable, renforçant les liens communautaires.

Les moissons battent leur plein mêlant solidarité et entraide, des pratiques courantes et ancestrales de récoltes chez les Lyéla, les Nouni et les Kassena, des ethnies Gourounsi.

En cette matinée du mardi 26 novembre 2024, le soleil amorce sa course dans le ciel. Il est 8 h 27 mn. Visiblement, le centre du village est moins animé que d'habitude, la majorité des habitants étant mobilisés dans les champs pour les travaux de récoltes. Félix Bado accueille du 26 au 27 novembre 2024, les hommes et les femmes de la grande famille Bado, originaire de Piadyr, un quartier du village de Pouni-nord pour la récolte de son champ de plus de 4 hectares.

A défaut de la viande de chien qu'il n'a pas pu avoir, Félix Bado a apprêté du tô accompagné de la viande de bouc et quelques poulets, en plus du dolo pour ses moissonneurs qui vont l'aider à relever le défi de ranger au plus vite les céréales dans les greniers. « La viande de chien est très appréciée dans cette localité. Cela fait que pour l'avoir, c'est très compliqué », justifie l'hôte du jour. Félix Bado soutient que s'il avait pu obtenir la viande de chien pour ses moissonneurs, son champ n'allait pas atteindre les deux jours prévus. « Il suffisait seulement que les gens soient informés que j'ai tué un chien et certaines personnes allaient venir spécialement pour déguster sa viande accompagnée du tô.

L'entraide dans la cuisine

Car, le tô accompagné de la viande de chien est la nourriture préférée de chez nous », fait-il savoir avec un large sourire. M. Bado estime que sa récolte avoisine 2,4 tonnes chaque année.

Le chef de ménage donne le nécessaire pour la restauration et les femmes s'occupent du reste. « Il nous a donné le mil pour le tô, deux jours avant. Notre travail est de l'apprêter pour les moissonneurs. Il faut piler le mil d'abord, ensuite, enlever le son, puis l'écraser.

Avant, on le faisait à la meule, mais de nos jours, c'est au moulin que nous partons l'écraser et enfin, nous venons faire le tô. Nous sommes quatre femmes à monter les marmites numéro 12 pour préparer. Une seule personne ne peut pas le faire. Quand une femme tient la spatule, une autre femme l'aide à mettre la farine. C'est une relation d'aide », détaille Eyombouè Badolo, la belle fille de Félix Bado.

Le représentant du chef de terre de Pouni-nord, Balibié André Bazié, est convaincu que seul, on ne peut pas réussir, avant de remonter aux origines de l'entraide dans la localité. « Ce sont les familles Bazié et Bado qui sont arrivées premièrement dans le village vers le 11e siècle. L'histoire raconte que le jour qu'elles se sont rencontrées, aucune famille n'a revendiqué l'arrivée en premier. Elles se sont acceptées mutuellement et ont commencé à s'organiser dans toutes les pratiques jusqu'à l'organisation des travaux champêtres. Donc, ce sont les premiers habitants de Pouni-nord qui sont les dépositaires de la pratique ancestrale de la solidarité et de l'entraide.

En pays gourounsi, c'est la gérontocratie. Le clan est dirigé par l'aîné en général. Ce sont les fondements socio-culturels en rapport avec l'organisation sociale et sexuelle du travail

transmis et promus dans les sociétés conservatrices », raconte Balibié André Bazié. Il révèle que c'est une pratique ancienne et chaque famille ou ménage possède un champ collectif dirigé par le plus âgé. Dans ce champ, précise-t-il, tous ceux qui ont l'âge de labourer, partent travailler ensemble pour s'occuper de toute la famille qui constitue les germes de la solidarité et de l'entraide qui traversent le temps.

« L'union fait la force. Lorsque les hommes se mettent ensemble, ils peuvent relever les défis. Quand les autres familles sont venues dans le village, elles ont emboîté le pas au regard de bonnes récoltes des anciens. C'est ainsi que sont nés les premiers groupements et associations de travaux champêtres à Pouni-nord », ajoute le notable Balibié André Bazié.

De l'organisation du travail

Au niveau villageois, la « génération d'entraide » est sollicitée pour aider dans les différentes opérations culturales. Le rappel du rendez-vous est fait la veille par des flûtes. Au petit matin, les flûtes et les tam-tams sonnent le rassemblement et

accompagnent la « génération d'entraide » au champ. Les absences non excusées sont sanctionnées.

« L'homme qui conduit sa génération est choisi selon son caractère, son courage, sa bravoure, son sérieux, son humilité, ses rapports avec les autres », précise la sociologue chercheure à l'Institut de l'environnement et de recherches agricoles du Burkina Faso du Centre national de la recherche scientifique et technologique (INERA/CNRST, Dr Nessenindoa Julienne Gué. Selon le président de l'un des plus grands groupements de travaux champêtres de Pouni-nord, Bajoulou Adama Bazié, un homme avec ses deux ou trois garçons ne peuvent pas cultiver un champ de 4 à 5 ha.

Il faut nécessairement se constituer en société ou en groupement. « Nous cultivons les champs, 2 à 3 fois par saison. Si 40 à 50 personnes se retrouvent dans un champ de

4 hectares, elles peuvent finir rapidement ce champ et revenir pour le deuxième tour avant que l'herbe ne pousse encore. Il en est de même pour les récoltes », a laissé entendre

Bajoulou Adama Bazié. Pour lui, les grands groupements des travaux champêtres facilitent la tâche. « Le groupement que je dirige a des règlements que nous sommes nés trouvés. Ils sont toujours d'actualité et nous n'osons pas les modifier.

Avant, il n'y avait pas de montre pour marquer l'heure limite d'arriver au champ. C'était le lever du soleil qu'on regardait, cela est toujours d'actualité. Quand le soleil se lève et qu'un membre n'est pas encore au champ, sans raison valable, il est amendé soit d'un ou deux poulets, de l'argent ou un caprin ou encore d'un ovin. L'amende est en fonction de la gravité de l'infraction », confie-t-il. A Pouni-nord, la même organisation du travail est applicable aux femmes du village.

Elles commencent le travail collectif, du sarclage aux récoltes. « Nous travaillons à tour de rôle dans le champ de chaque membre du groupement. Notre association a également un règlement intérieur, nous amendons les membres fautifs. Quand quelqu'un est en retard ou n'a pas de raison valable pour s'absenter, elle a l'obligation de payer deux plats de céréales ou de l'argent », explique Ewaboué Badolo, la présidente du groupement

« Gniridou wô connaa », qui veut dire « ensemble, on gagne » en langue Lyélé. Les récoltes impliquent tous ceux qui ont l'âge de travailler. Les jeunes garçons rabattent les plans des céréales pour les plus âgés. Les hommes comme les femmes sont chargés d'enlever les épis. Les jeunes femmes et les jeunes filles ont la tâche de rassembler les épis au lieu indiqué par le propriétaire. « Notre travail est de rabattre les plans pour les moissonneurs », renchérit le jeune garçon Aimé Bado.

La porte-parole du groupement des ramasseuses de céréales, Clarisse Bassané, explique que sa structure compte sept membres qui suivent les moissonneurs pour rassembler les épis afin de les transporter sur la tête au lieu indiqué par le propriétaire.

Obligation de transmettre un legs

Le pouvoir chez la plupart des gourounsis n'est pas centralisé. Mais, ils ont un chef de terre qui s'occupe des rituels. Avant le début des travaux champêtres, le chef de terre implore les mânes des ancêtres, à travers des sacrifices qu'il fait pour que les pluies soient abondantes et espérer une bonne récolte. Il arrive souvent des années de sècheresse, soit au début, soit vers la fin de la saison. Pour le représentant du chef de terre de Pouni-nord, la sècheresse vers la fin de la saison est très dangereuse.

« S'il y a de la sècheresse ou pénurie d'eau dans le village, nous convoquons tous les responsables de chaque quartier, nous exposons le problème et ensemble, nous l'examinons afin de trouver le type de sacrifice qu'il faut pour décanter cette situation », soutient-il. Le temps est passé, les choses ont évolué, les traditions et les coutumes ont pris un coup à Pouni-nord. De l'avis de Nessenindoa Julienne Gué, avec l'éducation, les migrations et autres départs des populations, l'urbanisation, le développement des technologies de l'information et de la communication, l'ouverture des générations actuelles aux religions importées, la réduction des superficies moyennes de production, les équipements agricoles obtenus et l'orpaillage, l'on peut s'attendre à un fléchissement.

« Les gourounsis ont compris ce que nos grands-parents nous ont légué à savoir la solidarité et l'entraide. Si on nous enlève ces deux valeurs, ce sera la défaite assurée dans ce village et dans le reste de la localité. C'est pourquoi, nous avons l'obligation de transmettre, ce que nous ont légué les devanciers, aux générations futures »,

assure le notable du village de Pouni-nord.

Hubert Bado

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