Le ministre de la Santé, Anil Bachoo, a déposé au Parlement, vendredi, les rapports du «Fact-Finding Committee» et du «Medical Negligence Standing Committee» sur la mort de 12 patients dialysés entre les 29 mars et 21 avril 2021. Les constats sont accablants et parmi, Vinaya Gee Lutchammah, veuve de l'une des 12 victimes, peut confirmer des faits décrits. Elle a été l'une des rares, voire la seule proche, qui a pu accompagner son époux lorsque le ministère les a forcés à la quarantaine à l'hôtel Tamassa en mars 2021.
«Seki monn viv ek mo missie ankor fre dan mo latet... Mes enfants (NldR : le couple avait un fils et une fille installée en Australie) et moi n'avons jamais pu faire notre deuil et jusqu'à aujourd'hui, je peux vous dire que je fais encore des cauchemars en pensant à ce que mon mari et moi avons vécu», confie Vinaya Gee Lutchammah, entre les larmes qu'elle ne peut retenir. Les séquences de ce que son couple a dû endurer sont gravées dans sa mémoire et elle le vit commeci cela s'était passé hier.
C'était un vendredi (NdlR : le 26 mars 2021), quand le couple reçoit, dit-elle, vers 11 heures, un appel du ministère de la Santé, l'informant qu'il devra être placé en quarantaine. «Nou finn prepar tou, ramas tou. Et ce n'est que vers 20 heures que le van est venu nous récupérer. On a dû faire la tournée pour prendre d'autres personnes ; puis, ils nous ont tous entassés dans un bus pour nous rendre à Tamassa. Il y avait des personnes malades et celles qui ne l'étaient pas, toutes ensemble, sans aucune distanciation sociale...»
Une fois arrivée à l'hôtel à Bel-Ombre, le calvaire du couple était loin d'être terminé. Il était alors environ 21 h 30 mais c'est n'est que vers 1 h du matin qu'il a pu compléter les formalités et gagner leur chambre. «On n'avait depuis rien mangé et rien bu et à cette heure du matin, on nous a donné du briyani. Ou trouv enn pasian dialysé kapav manz sa?» Il faut savoir que Vinaya Gee Lutchammah avait pu accompagner son mari après avoir entamé plusieurs démarches auprès des autorités. «Zot pa ti pe le ditou mo ale ek li, monn persiste parski mo missie pa ti autonom, tou zafer mo ti pe bizin fer pou li...»
Mais ce n'est pas tout. Le premier test du défunt est positif au Covid-19 alors que sa femme, elle, est négative. «Le personnel m'a alors dit qu'on devait l'envoyer à l'hôpital ENT et que moi je devais rester en quarantaine à l'hôtel. J'ai tout essayé pour y aller avec lui mais en vain.» Mais, une fois que Latchummayah Lutchammah est arrivé à l'hôpital ENT, explique sa veuve, le personnel a fait comprendre qu'il s'était trompé de... patient.
«Il disait que mon mari était négatif au Covid et que c'était moi qui étais positive. Ils ont retourné mon mari à l'hôtel Tamassa. Vous imaginez une personne qui était déjà malade, faible, qui dépendait de moi ?» Une fois que son mari est descendu de l'ambulance, c'était l'horreur, pleure toujours sa veuve. «Il était blessé aux genoux. Il y avait du sang partout et on m'a dit qu'il s'était peut-être blessé dans l'ambulance lors du trajet aller-retour... Je ne l'ai pas abandonné malgré qu'il fût positif, j'ai pansé ses plaies.»
Puis, elle a insisté qu'un deuxième test PCR soit fait sur les deux avant de les séparer à nouveau et il a été conclu que c'était bien le défunt qui positif au Covid. Cette fois-ci, la décision est prise pour qu'il soit envoyé à l'hôpital de Souillac, toujours sans sa femme. «J'ai encore une fois refusé de le laisser y aller tout seul. Nous sommes donc tous les deux conduits à Souillac après mon insistance. On était à trois dans une chambre, mon mari, un autre patient dialysé positif au Covid - Keerpanand Beedassy - et moi, et les autres patients étaient dans une autre chambre.»
Arrivé au dimanche 28 mars, dans la nuit, se rappelle la veuve, le patient Beedassy qui était amputé commence à souffrir atrocement. «Il a hurlé de douleur toute une nuit et personne n'est venu le voir malgré nos appels. Vers 5 h du matin, ils l'ont emmené faire sa dialyse et il est décédé. Entre-temps, je me suis occupée de mon mari, je l'ai douché et préparé pour sa dialyse qu'il n'avait pas faite depuis jeudi (NldR : on est le lundi 29 mars), il était déjà très malade. Dans la nuit de lundi, vers 11 heures, il a commencé à ne plus se sentir bien. J'ai appelé le médecin qui a dit que le SAMU était en route pour l'envoyer à l'hôpital ENT, mais ce n'est que le lendemain matin qu'il a été emmené pour y être pris en charge.»
Latchummayah Lutchammah est décédé à l'hôpital ENT, le mercredi 31 mars. Malgré les démarches entamées, sa veuve, bien que négative au Covid, n'a pas pu assister à l'enterrement de son mari et a dû le faire par visio-conférence. Son fils également n'a pas pu assister aux funérailles de son père car il avait été placé en quarantaine le jour où son père est décédé. «Kouma linn poz so valiz dan karantenn, linn aprann ki so papa in mor...»
Plus de cinq semaines en quarantaine
Le martyre de Vinaya Gee était loin d'être fini ; après la mort de Beedassy et de son mari, elle sera forcée de rester dans cette même chambre à Souillac pendant près d'une semaine ; puis elle sera testée positive au Covid et sera envoyé à l'hôpital ENT. Après avoir faire encore des tests, le lendemain, elle sera envoyée dans un centre de quarantaine dans le nord de l'ile. «On était à 18 personnes positives au virus emmenées par groupe de six dans trois ambulances. Zot inn met la siren for ek pe eskorte par lapolis kouma dir nou bann gro criminel...»
Une fois au centre de quarantaine, elle commence à être gravement malade et perd connaissance à plusieurs reprises. «Je suis restée au lit pendant 17 jours sans rien manger ni boire. Ils m'ont administré du sérum pendant trois jours puis je n'ai eu aucune visite du personnel soignant après ça.» Elle explique avoir vécu dans un état comateux, jusqu'au jour où elle a eu la force de se relever. «Mo ti vinn kouma enn pa- sian kanser. Je n'avais plus de cheveux, j'avais extrêmement maigri. J'étais méconnais- sable.» Elle sera par la suite envoyée dans un centre de quarantaine au Morne, puis fera une semaine de quarantaine à la maison.
«Au total, j'ai fait plus de cinq semaines de quarantaine. Mo finn gard lasann mo missie pendan set semenn. Et ce n'est qu'après ces sept semaines qu'on a fait les prières et les rituels pour ses funérailles et ce n'est que là que j'ai commencé à faire mon deuil. Mais à ce jour, je n'ai toujours pas fait ce deuil. On a vécu l'horreur...» Vinaya Gee confie avoir sombré dans la dépression après cette épisode traumatisante et a dû suivre un traitement de plus de six mois avec un médecin.
Le refus d'écouter de Kailesh Jagutpal
«Après cela, on devait avoir une rencontre avec Jagutpal pour que je puisse lui raconter ce qui s'était passé. Mon fils avait même pris une permission au travail pour m'y accompagner. On a attendu une heure et demie et quand il a finalement accepté de nous rencontrer, il a fait semblant d'avoir un appel et il nous a demandé de parler à sa secrétaire. Li pann le ekout nou, nou finn ale...»