Dans de nombreux pays du monde, le mois de décembre est une période intense de commerce et d'échanges de cadeaux. Non seulement au sein des familles, mais aussi dans le cadre de toutes sortes de relations, telles que les cadeaux entre clients et prestataires de services.
Offrir un cadeau à quelqu'un a pour but de lui témoigner de la considération, de l'appréciation ou de la bonne volonté. Qu'il s'agisse d'un objet tangible, d'une expérience, d'un moment partagé ou d'un simple geste, ce rituel trouve ses racines dans une tradition ancestrale. On la retrouve dans toutes les cultures et toutes les sociétés, porteuse de diverses significations et fonctions qui contribuent à façonner les relations humaines.
Je suis titulaire de la chaire universitaire de philanthropie africaine au Centre on African Philanthropy and Social Investment de la Wits Business School en Afrique du Sud. Ce centre est le premier et le seul lieu d'étude, d'enseignement et de recherche en Afrique dans ce domaine. J'ai entrepris diverses études sur l'origine du don en tant que comportement humain et sur son histoire en Afrique.
Le don est apparu en Afrique, lorsque les premiers humains comme nous sont apparus. Il a ensuite évolué au fil des migrations et s'est adapté aux différentes cultures. Les premiers exemples concernaient le transfert de bétail ou de femmes pour sceller les relations entre les groupes.
Aujourd'hui, cette tradition perdure sous d'autres formes, comme les échanges de cadeaux entre pays lors de visites d'État et a évolué vers des pratiques telles que la philanthropie. Le don est un acte qui a lieu en dehors des ménages et des célébrations, généralement pour créer ou sceller des relations.
L'étude de l'histoire complète du don nous permet de retracer son évolution captivante et d'explorer les multiples manières dont les individus et les sociétés ont exprimé leur générosité.
La cognition humaine
Les humains d'aujourd'hui sont nés en Afrique, il y a environ 200 000 ans, et ont développé des capacités mentales (cognitives) uniques dans le cadre de leur évolution. Ces capacités régissent la manière dont les humains interagissent les uns avec les autres. Le don de soi est venu compléter d'autres mécanismes de survie, comme la réaction instinctive de « lutte ou de fuite ».
Les recherches montrent que trois types de comportements socio-économiques humains interactifs ont évolué ensemble : l'égoïsme, la coopération et l'altruisme. Appliqués collectivement, ils ont permis aux groupes de chasseurs-cueilleurs de survivre, de prospérer et de se développer. Ces comportements se sont manifestés dans les proportions relatives approximatives : 20 % d'égoïsme, 63 % de coopération et 13 % d'altruisme. Ce rapport relatif perdure aujourd'hui.
Le don est similaire à l'instinct de coopération, mais il n'implique pas nécessairement que l'on attende quelque chose en retour. En d'autres termes, le fait d'offrir des cadeaux a d'abord été une manière de partager qui témoignait d'un certain désintéressement.
Au fur et à mesure des migrations, les sociétés se sont adaptées aux conditions rencontrées. Le mélange d'égoïsme, de coopération et de désintéressement s'est tissé dans les diverses cultures.
L'émergence du don
Au fur et à mesure de l'évolution de l'homme, des relations sociales de plus en plus complexes se sont développées dans des espaces territoriaux délimités. En Afrique, les groupes deviennent des clans, les clans deviennent des tribus, puis des chefferies, des royaumes et d'autres types de territoires organisés.
Ici, les cadeaux sont importants pour deux raisons.
Tout d'abord, au sein des groupes, les cadeaux étaient des moyens structurés de prendre soin les uns des autres et d'assurer le bien-être et le développement mutuels. Les cadeaux étaient utilisés pour créer des amitiés et des liens entre égaux (relations horizontales). Les cadeaux permettaient également de susciter la loyauté et le respect dans les relations avec les dirigeants ou les personnes en position de pouvoir (relations verticales). Dans ce cas, les cadeaux étaient souvent assimilés à un "échange de bons procédés". Par exemple, un cadeau permettait d'obtenir le soutien et la protection des personnes en position d'autorité. Ou encore, les cadeaux lors des cérémonies servaient à garantir la place de chacun au sein du groupe.
Deuxièmement, entre des groupes identitaires distincts, les cadeaux ont également servi d'instrument (symbolique) pour négocier et prévenir des relations potentiellement hostiles.
Évolution des pratiques
L'expansion de l'islam en Afrique du Nord et l'imposition de règles par les colonisateurs européens ont partout transformé les pratiques de don. Le don a commencé à prendre une forme différente et plus marquée.
L'islam est arrivé en Afrique ancienne vers le septième siècle, tandis que le christianisme s'est répandu à partir de ce qui est aujourd'hui l'Égypte au premier siècle après J.-C. Chaque religion a reconnu l'obligation de faire des dons. Elles ont introduit de nouvelles formes de don, formalisées et institutionnalisées, telles que la caritas, ou charité chrétienne, et la zakat, obligation musulmane de donner pour les nécessiteux.
Au début du dernier millénaire, lorsque la résistance à la colonisation a pris de l'ampleur, les pratiques de don se sont transformées en une stratégie d'autodéfense. Le don est devenu un outil pour faire face et survivre dans des conditions difficiles. Par exemple, en Afrique de l'Est, les gens échangeaient de la nourriture, de l'argent et d'autres ressources pour soutenir leurs familles et les communautés dont ils faisaient partie. Au Kenya, la pratique communautaire du harambee (se serrer les coudes) a permis d'élargir l'accès à l'éducation : un exemple de don horizontal.
Fin de la domination coloniale
Le régime colonial a pris fin après environ 300 ans. Dans l'ère post-coloniale, les dons peuvent être divisés en deux périodes. L'une peut être qualifiée de « traditionnelle », datant d'environ 1960 à 2000. La seconde, à partir de 2000, peut être qualifiée de « nouvelle ère ».
L'ère traditionnelle correspond grosso modo à la période où de nombreux pays africains ont accédé à l'indépendance politique, appelant à un retour aux valeurs traditionnelles, aux normes sociétales et à l'autodétermination.
Les dirigeants africains ont hérité de frontières qui rassemblaient des groupes ethniques et linguistiques divers, chacun ayant des relations différentes avec les puissances coloniales qu'il fallait gérer. À bien des égards, cette situation a jeté les bases de la prédominance du clientélisme éthnique en Afrique dans la politique d'aujourd'hui.
Pendant les 30 années qui ont suivi l'indépendance, de nombreux pays ont été gouvernés par un parti unique, les hommes politiques s'appuyant sur des cadeaux verticaux provenant des ressources publiques pour gérer les tensions politiques internes. Même après l'introduction de systèmes multipartites, cette pratique s'est poursuivie comme mode de fonctionnement politique.
L'indépendance a permis à de nombreuses organisations non gouvernementales (ONG), ou « donateurs », de s'impliquer dans le développement. Au lieu de se concentrer sur les droits des personnes, l'aide était souvent considérée comme de la charité. Les ONG utilisaient des modèles de dons professionnels à sens unique. Cette évolution a affaibli les pratiques traditionnelles de contributions communautaires, entraînant ainsi une dépendance des communautés locales vis-à-vis des dons extérieurs.
Parallèlement aux ONG, les grands donateurs privés et les fondations ont introduit le concept de « philanthropie » en Afrique. Cela a popularisé un type de don qui peut donner l'impression que la générosité traditionnelle, à plus petite échelle, est moins importante. Elle décourage potentiellement ceux qui ne peuvent pas donner autant.
Une nouvelle ère de dons
Ce millénaire a introduit une nouvelle ère de dons en Afrique, motivée par trois facteurs clés : l'insatisfaction à l'égard des méthodes traditionnelles d'octroi de subventions, la diversité des sources de financement et les différentes approches et méthodes de mesure de la réussite.
L'une des forces est la diversification rapide des donateurs. Parmi les exemples, on peut citer l'investissement social des entreprises ainsi que le « philanthrocapitalisme », c'est-à-dire les dons ou les investissements à grande échelle effectués par des personnes très fortunées ou des organisations privées. Ils utilisent généralement des stratégies commerciales pour s'attaquer aux problèmes sociaux.
Une autre dynamique réside dans l'innovation des pratiques de don. Par exemple, la philanthropie fondée sur la confiance où les bailleurs de fonds soutiennent des bénéficiaires en qui ils ont confiance sans exiger de contrats stricts ou de rapports périodiques détaillés jusqu'au versement de la tranche suivante. Une autre forme d'innovation est l'altruisme efficace, un type de don qui se concentre sur des investissements rationnels et fondés sur des preuves pour créer des solutions mesurables aux problèmes sociaux.
La troisième innovation est la promotion de la mobilisation des ressources nationales. Il s'agit de l'utilisation des propres actifs de l'Afrique pour son développement, y compris les transferts de fonds de la diaspora.
Avec le recul, il est clair que ceux qui offrent des cadeaux - sous quelque forme que ce soit - devraient adopter une approche plus réfléchie et plus équilibrée pour comprendre le rôle des dons dans la communauté et la société africaines, en particulier en tant qu'outil politique. Cette démarche peut contribuer à une plus grande responsabilisation des dirigeants vis-à-vis de leurs concitoyens.
Alan Fowler, Honorary Professor in African Philanthropy, University of the Witwatersrand