Ile Maurice: Drains, changement climatique et milliards engloutis

Ce n'est pas la première et ce ne sera pas la dernière scène de désolation à laquelle on assiste depuis dimanche avec des pluies torrentielles qui ont balayé les différentes régions du pays.

De Pointe-aux-Sables à Albion, de Beau-Bassin à Belle-Village, en passant par la capitale et ses faubourgs, dont Vallée-Pitot, Vallée-de-Prêtres et Tranquebar, où on a eu droit à cette scène de chaos avec l'effondrement de la maison de la famille Ramsahye. La population a pu visionner en quelques secondes sur les réseaux sociaux l'affaissement de cette demeure et toute la souffrance à laquelle les membres de cette famille sont depuis exposés.

S'il n'a pas choqué la population outre mesure, avec la mobilisation autour de ce drame humain des habitants de la localité, toujours prêts en pareille occasion à aider, en revanche, campagne électorale oblige, il y a eu ce défilé de VIP, députés de l'endroit, opposition et gouvernement confondus, ministres et dirigeants politiques, exploitant l'apport médiatique tout en essayant d'en tirer un capital politique. Cerise sur le gâteau : la rencontre des membres et proches de la famille Ramsahye avec le Premier ministre à son bureau au bâtiment du Trésor où des promesses d'aide ont été exprimées.

Cet empressement à montrer de la compassion, voire de la compréhension, aux victimes de ces nouvelles inondations, après celles de Belal le 15 janvier, doit être vu forcément dans un contexte électoral, où les mécontentements populaires ne peuvent perdurer au risque d'être politiquement exploités. Pour le moment, le gouvernement fait ses comptes : plus de 700 sinistrés dans les centres d'évacuation à ce stade. Un nombre qui pourrait augmenter au fil des jours au terme de l'enregistrement actuel par des officiers de la Sécu, pour évaluer les dégâts causés à leurs logements et effets mobiliers avant de chiffrer la compensation.

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Contrairement à Belal, où les prévisions météo avaient été diversement interprétées, la direction de ce service tout comme le ministre de tutelle ne souhaitant pas endosser alors la pagaille ayant causé des véhicules endommagés dans ces inondations, entraînant dans la foulée le «départ forcé» de l'ex-directeur de la météo, le communiqué de la station de Vacoas annonçant des pluies torrentielles aura été plus ou moins exact dans sa prévision. Cependant, trop habitué à l'annonce de pluies torrentielles qui se résument trop souvent à une pluie fine/petite averse, la population n'aurait pas anticipé le pire dimanche.

Bien entendu, la problématique du changement climatique est toujours mise en avant après une catastrophe naturelle et ce sera toujours le cas sur la base de tous les rapports publiés ces jours-ci par les institutions internationales et les experts sur ce sujet. Certes. Mais faut-il tout mettre sur le dos du changement climatique, comme le gouvernement qui tente facilement ces derniers temps de le démontrer, relayé grossièrement par la MBC dans sa vile propagande qui va jusqu'à rapporter des images des inondations de Dubaï avec des véhicules flottants dans le centre-ville ?

Depuis les inondations meurtrières de mars 2008 à Mon-Goût avec quatre décès tragiques, dont celui d'une collégienne de 13 ans ; et celles de mars 2013 où des pluies torrentielles - baptisées par la suite flash floods - faisaient 11 morts, dont six dans le tunnel du Caudan, c'est toujours l'état des drains qui est pointé du doigt comme l'origine des accumulations d'eau dans certaines régions, reconnues comme étant à risque d'ailleurs par les autorités et potentiellement dangereuses pour les habitations.

Pourtant, d'un régime à l'autre, les investissements dans les infrastructures se sont multipliés mais les résultats au terme de certains travaux interpellent. Nul besoin de comparer ce qui a été réalisé par le précédent régime. La population, soit les contribuables, cherche des explications auprès du gouvernement aux affaires depuis 2014 sur la gestion des drains dans le pays.

D'autant plus qu'on a eu droit à un National Flood Management Programme avec une enveloppe de Rs 11,7 milliards étalée sur trois ans dans le Budget 2021- 22. Ce programme, qualifié d'envergure pour la gestion des inondations par le gouvernement et placé sous la tutelle de la Land Drainage Authority (LDA), devait déboucher sur la construction et la remise à niveau de quelque 1 500 projets de drains à travers l'île au cours des trois prochaines années, en commençant par les zones à haut risque d'inondations chiffrées aujourd'hui à 306.

On ne peut blâmer le Trésor public d'avoir investi dans la modernisation de l'infrastructure une telle enveloppe financière qui, ajoutée à celle de l'année précédente, porte le montant à Rs 15,5 milliards. Une somme colossale ! Mais il faut surtout se demander où ces milliards ont été drainés quand on constate comment des torrents ont fait exploser des drains et emporté des maisons.

Qualité des travaux

Le ministre des Infrastructures nationales, Bobby Hurreeram, a rappelé, hier, au Parlement, en réponse à la PNQ du leader de l'opposition, Shakeel Mohamed, qu'à ce jour, 539 projets de drains ont été complétés au coût de Rs 3,8 Mds et que 114 sont en cours (Rs 3,3 Mds). Tant mieux ! Mais sur le terrain, à l'arrivée des grosses averses, la population voit les choses différemment. Certaines familles regardent impuissamment leur maison inondée pour la énième fois, les mêmes causes produisant les mêmes effets, avec des puits d'absorption qui ne sont d'aucune utilité face à ces torrents qui déferlent.

Faut-il alors s'interroger sur la qualité des travaux effectués, le respect des normes et le niveau d'expertise et d'expérience des sociétés engagées, alors même que des contrats juteux sont arrachés et partagés entre proches du pouvoir, hier comme aujourd'hui ? Encore que la multitude de sociétés d'État engagées dans la construction et la gestion des drains dans le National Flood Management Program ne vient pas vraiment arranger les choses. Bobby Hurreeram en a cité quatre hier : la Drains Infrastructure Construction Ltd sous la présidence d'Avinash Gopee, la National Development Unit, la Road Development Authority ou encore les collectivités locales sous l'égide de la LDA. Autant d'institutions pour un tel niveau de drains... !

Sur un point, on est d'accord avec le ministre Hurreeram. On ne pourra pas éliminer le changement climatique, mais mitiger ses effets. En même temps, on ne dira jamais assez que gouverner, c'est prévoir ; et que le pays est condamné à subir d'autres calamités naturelles avec des pluies torrentielles et grosses inondations. Il suffit d'un peu d'imagination et de planification pour limiter les dégâts, quitte à réunir les meilleures compétences locales, quel que soit leur bord politique, et des experts étrangers dans des domaines allant de l'urbanisme à la météorologie, en passant par le réchauffement planétaire.

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