La Guinée équatoriale, le Congo et le Cameroun représentent, au regard de l'extrême longévité au pouvoir et de l'âge "canonique" de leurs chefs d'État respectifs, l'archétype du gouvernement perpétuel endurci parvenu en fin de cycle.
Ce contexte de fin de règne se caractérise par l'exacerbation des rivalités successorales autour du pouvoir présidentiel. Alimentées par d'irréductibles oppositions au sein des clans présidentiels, ces "guerres" de succession sont porteuses de germes susceptibles d'entraîner les trois pays dans une instabilité sociale et politique durable.
Mes travaux de recherche portent essentiellement sur les problématiques géopolitiques en Afrique centrale. Dans un récent article, j'analyse les perspectives de transition politique qui se dessinent au Cameroun, au Congo et en Guinée Équatoriale, et évalue les risques de déstabilisation que les guerres de succession font peser sur eux et leur voisinage.
Des gouvernements perpétuels en fin de cycle
Parmi les plus âgés et les plus anciens chefs d'État en exercice figurent Teodoro Obiang Nguema Mbasogo de la Guinée équatoriale (82 ans, dont 45 au pouvoir), Paul Biya du Cameroun (91 ans, dont 42 au pouvoir) et Denis Sassou Nguesso du Congo (79 ans, dont 40 cumulés au pouvoir). Une telle endurance politique s'explique en théorie par l'absence de restriction constitutionnelle concernant l'âge-plafond du président et la durée de son mandat.
En pratique, elle découle d'une tendance enracinée à la patrimonialisation du pouvoir. Les perspectives de transition qui se dessinent au sommet de l'État en Guinée équatoriale, au Congo et au Cameroun méritent que l'on s'y intéresse, au regard de l'atmosphère "crépusculaire" qui paraît désormais caractériser le long règne de leurs dirigeants suprêmes respectifs.
Parmi ces caractéristiques, il y a :
- des absences fréquentes et de plus en plus prolongées du chef de l'État pour raison de santé;
- une dissonance, voire une discordance, entre les cercles de décision au sein des clans au pouvoir;
- l'exacerbation des luttes d'influence à l'intérieur des familles politique et naturelle du président;
- la multiplication dans le camp présidentiel des velléités d'accession à la magistrature suprême;
- la distanciation manifeste à l'égard des préoccupations minimales du peuple.
Velléités de succession dynastique
Pour de nombreux observateurs, les régimes en place en Guinée équatoriale et au Congo nourrissent des velléités de dévolution du pouvoir de type dynastique. Leurs soupçons se fondent sur un fait patent dans les deux pays : l'influence politique notoire exercée par l'importante progéniture présidentielle.
Cette inclination pour l'alternance familiale procéderait d'un impératif vital : préserver l'intégrité et les intérêts du clan présidentiel après la disparition du chef de l'État. Le souvenir de la déshérence vécue par d'anciennes familles régnantes dans la région (Jean Bedel Bokassa, Mobutu Sese Seko, José Eduardo Dos Santos, Omar Bongo) ainsi que la crainte des règlements de comptes politiques et judiciaires alimenteraient ce désir de transmission du pouvoir de père à fils.
Or les clans présidentiels ne constituent pas des structures sociales homogènes. Ils forment un système complexe d'alliances et de réseaux d'intérêts organisés à l'intérieur de cercles gravitant autour du chef de l'État. Au fur et à mesure que l'autorité du patriarche paraît s'éroder à l'épreuve du temps ou de la maladie, l'unité de ces clans composites se trouve mise à mal par des logiques centrifuges se traduisant notamment par :
- des luttes de positionnement politique opposant les membres du cercle présidentiel, notamment les enfants du chef de l'État nés de plusieurs lits;
- des querelles autour des monopoles économiques et autres rentes de situation ;
- la multiplication des complots attribués aux personnalités issus du sérail présidentiel ;
- la disgrâce, voire la répression, des "traitres" au pouvoir et de leurs proches.
Autant d'ingrédients qui laissent présager des successions à risques dans les trois pays.
Rivalité fratricide larvée en Guinée équatoriale
Tout incline à penser que le successeur de Teodoro Obiang Nguema Mbasogo sera un membre de son clan, mais il reste à savoir qui parviendra à s'imposer. Sera-ce Teodorin Nguema Obiang, le fils aîné, plus connu pour ses frasques dépensières que pour ses capacités d'homme d'État? Son élévation à des fonctions stratégiques (vice-président de la République, numéro 2 du parti), en plus du soutien ostentatoire que lui manifeste la première dame, sa mère, apparaît comme le signe de son irrésistible ascension vers le sommet de l'État.
Mais le choix final du clan pourrait aussi se porter sur Gabriel Mbega Obiang Lima, le benjamin, né d'une mère originaire de Sao Tomé et Principe. Plusieurs fois ministre, il occupe actuellement le portefeuille des Mines et du Pétrole. Son "sérieux" lui vaut d'être considéré comme le favori des investisseurs chinois et occidentaux, très influents dans le pays.
Conflit successoral au Congo-Brazzaville
La succession héréditaire paraît plus complexe au Congo. La première raison en est liée aux dissensions ouvertes au sein même de la famille naturelle du président Denis Sassou Nguesso. Ainsi prête-t-on des ambitions présidentielles à Denis Christel Sassou Nguesso, son fils né d'une mère originaire de la RD Congo.
Face à ce ministre et député, parrain de plusieurs organisations non gouvernementales locales, se dresseraient deux de ses cousins : Jean-Dominique Okemba, patron des renseignements, et Edgard Nguesso, officier supérieur des forces armées et directeur du patrimoine présidentiel.
Les séquelles de l'histoire politique tourmentée du pays sont une raison supplémentaire d'appréhender la transition à venir au sommet de l'État.
Polarisée par le clivage ethno-politique Nord-Sud, cette histoire est jalonnée d'épisodes tragiques qui ont fini par installer des rancoeurs manifestes entre les communautés locales, à tout le moins entre leurs élites. À commencer par celles du Nord, bastion traditionnel du régime, au sein desquelles les dissensions politiques apparaissent désormais marquées.
En effet, en recentrant son régime essentiellement sur les membres de son ethnie (Mbochis), au lendemain de sa reconquête du pouvoir par des moyens militaires en 1997, Denis Sassou Nguesso semble s'être aliéné une partie des autres ressortissants de sa région d'origine (Kouyou, Makoua, Téké) dont les récriminations à l'égard du clan présidentiel n'ont eu de cesse de croître. On peut parier que ces élites nordistes, qui se sentent peu ou prou marginalisées, s'opposeront au projet de dévolution dynastique du pouvoir que l'on prête au président.
Au Sud, où les affres de la guerre civile (1997-2001) ont exacerbé la méfiance légendaire des membres du groupe ethnique Kongo-Lari à l'égard du "régime des nordistes", la perspective d'une succession dynastique est susceptible de réveiller les "vieux démons".
Certes la mise sous l'éteignoir des forces vives, politiques et militaires, originaires des départements contestataires rend improbable l'émergence d'une opposition sudiste à mesure de contrarier ce projet de passation de témoin au sommet de l'État.
Néanmoins, la survivance des factions armées résiduelles conforte l'hypothèse d'une possible résurgence des maquis dans ces zones ouvertement hostiles au pouvoir, en cas de succession patrimoniale. La réactivation des poches de sédition dans le Pool (département situé dans le sud du pays) consécutive à la réélection contestée de Denis Sassou Nguesso en 2016, apparaît ainsi comme un signe probant du spectre lancinant de la guerre civile qui plane toujours sur le pays.
Au Cameroun, énigme sur fond de tensions intercommunautaires
Le contexte camerounais paraît peu se prêter à un scénario successoral de type héréditaire. La raison principale en est liée, manifestement, aux règles de gouvernance que le président Paul Biya est parvenu à imposer : tenir sa progéniture éloignée de la sphère politique (État, parti) et demeurer le "maître de l'échiquier". Il a ainsi annihilé toute velléité de rivalité ou de concurrence politique dans son propre camp. Toutefois, le bilan successoral du "Sphinx" est loin de présenter les garanties d'une transition politique sereine.
Deux sources de difficultés sont perceptibles : l'absence de dauphin officiel au sein du parti présidentiel et l'incertitude qui entoure les modalités de désignation de son candidat en cas de scrutin pour l'élection du nouveau chef de l'État.
L'absence de consensus fort ne pourrait qu'entraîner la démultiplication des héritiers putatifs. Ce qui sèmerait les germes d'une conflagration successorale au sein du camp présidentiel. On peut craindre que ces luttes intra-partisanes pour le pouvoir s'alimentent des fractures identitaires existantes voire les exacerbent.
La rivalité entre les communautés Bulu-Béti (Sud) et Bamiléké (Ouest) représente le summum des tensions intercommunautaires qui menacent la stabilité du pays. Cette rivalité se nourrit d'une volonté de suprématie perceptible chez leurs élites politiques et intellectuelles respectives.
Longtemps confinés à la sphère économique, les Bamiléké affichent plus que jamais des ambitions politiques nationales qui semblent particulièrement inquiéter l'élite Bulu-Béti. L'épisode palpitant de l'élection présidentielle de 2018 et ses suites politico-judiciaires ont pu témoigner d'une tension lancinante dans le pays. Assurément, cette situation préfigure la configuration et l'atmosphère des prochaines joutes politiques qui s'annoncent dans la perspective de la passation de témoin au sommet de l'État.
Qu'il s'agisse de la Guinée équatoriale et du Congo où les familles régnantes nourrissent des velléités dynastiques, ou du Cameroun où la transition à la tête de l'État s'annonce dans un contexte de tensions intercommunautaires, il apparaît que la perspective du "vide politique" que laisse entrevoir le départ inéluctable du pouvoir des dirigeants actuels a libéré des forces antagoniques qui menacent la stabilité des trois pays, et ce faisant augmentent le risque d'une "dépression géopolitique" régionale.
Serge Loungou, enseignant-chercheur, Université Omar Bongo (UOB)