Afrique: Après la COP 28 et avant la COP 29, les pays africains doivent-ils renoncer à la manne des énergies fossiles ?

L'Afrique ne doit avoir qu'une seule boussole : le développement, ce qui passe par l'exploitation des énergies fossiles. Les pays pétroliers et gaziers anciens et nouveaux, qui se trouvent dans toutes les régions de l'Afrique, n'entendent pas renoncer à cette manne.

Quant aux ONGs qui luttent contre le changement climatique, elles n'ont qu'un seul objectif : amener les Etats africains à renoncer à la manne des énergies fossiles. Plus de 300 ONG, à l'approche du Sommet africain du climat (Africa Climate Summit), qui s'est tenu à Nairobi, du 4 au 6 septembre 2023, ont fait part de leurs inquiétudes concernant l'ordre du jour de ce Sommet, qui, loin de programmer la disparition progressive des énergies fossiles, continue à privilégier les intérêts des multinationales et des pays occidentaux.

Pour ces ONG, l'Afrique doit investir massivement dans les énergies renouvelables, afin de s'inscrire définitivement sur la trajectoire de la transition énergétique. Pour ma part, je considère qu'il faut dénoncer le narratif d'une écologie qui minimise les difficultés qui existent pour sortir très rapidement des énergies fossiles. Les politiques se sont emparés du narratif de la transition énergétique, le marxisme productiviste étant remplacé par l'écologie, ce qui est plus valorisant. L'objectif d'un monde « zéro carbone » en 2050 reste un fantasme.

Cet objectif suppose que nous entrions l'ère de la décroissance et de la sobriété. La COP 28 de Dubaï a demandé à l'Afrique de renoncer à exploiter ses énergies fossiles. Cette demande sera à nouveau martelée à Baku, en décembre 2024, lors de la COP 29. Peut-on sérieusement demander à l'Afrique de renoncer à la croissance ?

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Peut-on demander à des populations, qui n'ont rien, de vivre dans la sobriété ? Décroissance et sobriété sont des idéologies de pays riches. Ce ne sont pas des chemins pour un continent dont la croissance démographique est supérieure à la croissance économique. Deux chiffres : il y aura, en 2100, plus de Congolais que d'Américains sur la planète ; la population africaine passera de 1,5 milliard en 2024 à 4 milliards en 2100, soit 37% de la population mondiale.

Renoncer aux énergies fossiles ? Le « non » catégorique des Etats africains

Depuis la colonisation et au lendemain des indépendances, il a été demandé à l'Afrique de renoncer à tout : son identité, son indépendance, sa souveraineté et le droit d'exploiter à son profit ses richesses naturelles.

Aujourd'hui, tous les pays africains producteurs de pétrole et de gaz ne sont pas disposés à renoncer aux énergies fossiles pour 3 raisons :

1) la souveraineté nationale, consacrée par le droit international, implique que chaque pays est en droit d'exploiter ses ressources naturelles

2) le potentiel de l'Afrique dans le domaine de la production de pétrole et de gaz est très important

3) les hydrocarbures sont à la fois le moteur et l'accélérateur de la croissance économique et du développement social, car ils participent grandement aux PIB nationaux et aux recettes fiscales.

Aujourd'hui, des Etats africains comme le Gabon cherchent à relancer leur industrie pétrolière et à attirer des investissements étrangers dans le secteur des hydrocarbures ; des Etats comme le Sénégal et la Côte d'Ivoire, en passe de devenir des pays pétroliers ou gaziers, favorisent les projets d'exploration de nouveaux gisements.

Ce qu'il y a de nouveau, c'est que les pays africains, à travers leurs compagnies pétrolières nationales, cherchent à se réapproprier leur industrie des hydrocarbures. Le Gabon du général Oligui Nguema se « réapproprie » une partie de son pétrole en nationalisant la société Assala Energy. Le régime de transition entend ainsi bénéficier des retombées économiques de l'or noir, dont les revenus ont été accaparés pendant des décennies par un clan.

« C'est sans conteste une forme d'affirmation de notre souveraineté. (...) Le Gabon vient de se réapproprier, soixante-sept ans après [la première exportation d'or noir], une part importante de son pétrole. [Cela] nous permet désormais de produire 25% de notre production nationale », a déclaré Brice Oligui Nguema. Le président sénégalais, Bassirou Diomaye Faye s'est engagé dans un processus d'audit et de révision des contrats pétroliers et gaziers.

Le gouvernement ivoirien, à travers une gestion optimale et transparente, tient à bénéficier des retombées économiques de l'activité pétrolière du pays après la découverte des gisements de gaz naturel et de pétrole léger dans son bassin sédimentaire offshore.

Ces choix, qui viennent s'opposer frontalement au discours de l'abandon des énergies fossiles, seront défendus par les dirigeants africains lors de la COP 29. L'Afrique, de l'Afrique de l'Ouest à l'Afrique centrale et l'Afrique australe (une zone au profil plus gazier que pétrolier), recèle de futurs producteurs importants de pétrole et de gaz : le Niger, la Mauritanie, le Sénégal, la Côte d'Ivoire, l'Ouganda, le Mozambique, la Tanzanie, la Namibie.

Le nombre de pays africains exportateurs de GNL est en constante augmentation. En Côte d'Ivoire, la découverte du champ géant offshore Baleine, annoncée le 1er septembre 2021 par le groupe italien Eni, va permettre au pays une montée en puissance dans l'écosystème mondial des hydrocarbures Les urgences climatiques ne sont pas oubliées par les autorités ivoiriennes : Eni et son partenaire Petroci, la compagnie pétrolière nationale de la Côte d'Ivoirien, veulent faire de Baleine le premier projet pétrolier et gazier africain neutre en carbone.

Il est évident que les grandes compagnies pétrolières internationales continuent de jouer un rôle-clé dans tous ces projets (Eni, TotalEnergies, Shell, ExxonMobil et BP).

Certes, elles investissent, mais elles y trouvent leur intérêt. Aux Etats africains de défendre, face aux multinationales étrangères, leurs intérêts. Une chose est certaine, les Etats africains et les géants pétroliers mondiaux sont en train de renforcer leur coopération pour répondre à la demande de plus en plus grande de pétrole et de gaz, ce qui ne manquera pas d'être dénoncé par les ONG, lors de la COP 29.

L'Afrique répondra qu'elle est le continent qui subit le plus l'impact négatif des crises climatiques (hausse des températures, sécheresse, inondations, dégradation des terres, risque de famine), alors qu'elle n'est responsable que pour un peu moins de 4 % (chiffre de 2022) des émissions mondiales de CO2 provenant de l'utilisation de combustibles fossiles.

La RDC n'entend pas renoncer à la manne du pétrole et du gaz

L'ambition du Président Félix Tshisekedi est de permettre à la RDC de « sortir du tout minier ». Deux voies s'ouvrent à lui : faire en sorte que le sol congolais prenne sa revanche sur le sous-sol et que les hydrocarbures jouent le rôle d'accélérateur économique. Classée au 70ème rang mondial, loin derrière ses voisins tels l'Angola, le Congo-Brazzaville ou le Sud-Soudan, la RDC ne produit que 20 000 barils de pétrole par jour à partir de son bassin côtier.

Or, avec des réserves de près de 22 milliards de barils de pétrole et 66 milliards de mètres cubes de gaz naturel, la RDC peut devenir « l'un des géants des hydrocarbures en Afrique », selon le Ministre des Hydrocarbures, Aimé Molendo Sakombi. L'exploitation des gisements potentiels de gaz et de pétrole actuellement identifiés en RDC est donc devenue une priorité sur l'agenda du gouvernement que dirige Madame la Première ministre Judith Suminwa Tuluka.

Félix Tshisekedi tient à rappeler que « 85% du potentiel national en hydrocarbures reste inexploré et inexploité » pour trois raisons : d'abord, le fait que « le pays avait misé sur le tout minier, reléguant ainsi au second plan d'autres branches de l'industrie extractive », ensuite, le problème de gouvernance, enfin le fléau de la corruption dans un secteur très opaque.

La RDC entend défendre le point de vue de l'Afrique sur l'exploitation des énergies fossiles, au moment où, depuis 2022, une vingtaine de gouvernements et d'institutions ont décidé d'arrêter le financement des énergies fossiles sur le continent. Pour Félix Tshisekedi, il est temps que les hydrocarbures deviennent, pour les Etats africains, « de véritables fers de lance de leurs économies ».

Inquiétudes et espoirs

● Inquiétudes - Quelles sont les inquiétudes légitimes que soulève cette course aux hydrocarbures dans laquelle s'est engagée la RDC ?

  1. Première inquiétude : l'écosystème des hydrocarbures est générateur d'une corruption que favorise l'opacité de sa gestion et les pratiques douteuses des grandes compagnies pétrolières et gazières mondiales.
  2. Deuxième inquiétude : il favorise toujours les intérêts des grandes compagnies pétrolières et gazières mondiales, toujours porteuses des intérêts de puissances étrangères (Chine, Etats-Unis).
  3. Troisième inquiétude : il favorise la recrudescence des tensions externes avec les pays voisins pour l'appropriation des richesses naturelles.
  4. Quatrième inquiétude : la prospection, l'exploitation et le développement du système des hydrocarbures s'inscrit dans la durée et demande des investissements lourds. Le monde aura-t-il encore besoin de pétrole en 2050 ? N'est-il pas plus judicieux pour l'Afrique de renoncer au pétrole pour investir dans la transition énergétique ?
  5. Cinquième inquiétude : l'exploration et l'exploitation non-contrôlées du pétrole et du gaz accélèrent le réchauffement climatique, la dégradation des terres et la destruction de la biodiversité.

● Espoirs - En revanche, quels sont les espoirs que suscite la manne de l'écosystème des hydrocarbures ? Pour le gouvernement congolais, la « manne pétrolière » contribue à :

  1. accélérer le développement économique de la RDC,
  2. améliorer le niveau de vie des Congolais,
  3. éliminer les tensions internes qui caractérisent la vie politique du pays,
  4. apaiser les tensions externes par une meilleure coopération politique et économique régionale, ce que cherche à faire la RDC en signant des accords avec les pays producteurs de pétrole et de gaz. Ces accords visent à construire une large zone pétrolière et gazière transfrontalière, capable d'attirer les investissements étrangers et les acteurs mondiaux des hydrocarbures, afin de favoriser le développement des contenus et des projets régionaux et locaux.

La double stratégie menée par Félix Tshisekedi

Dans l'exploitation des blocs d'hydrocarbures, le Président de la RDC, Félix Tshisekedi, tient à mener de front une double stratégie,

- une stratégie en interne : l'écosystème des hydrocarbures devient l'un des piliers du développement économique et social de la RDC

- une stratégie diplomatique : dans une région particulièrement instable où se multiplient les guerres oubliées et les tensions entre les Etats, cette diplomatie des hydrocarbures vise à promouvoir la paix avec la signature d'accords et de partenariats entre les pays frontaliers, la construction d'infrastructures, dont des pipelines- qui permettraient l'approvisionnement d'autres marchés régionaux et mondiaux, la construction de raffineries et d'installations de stockages, qui sont autant d'initiatives de coopération et de partage. On note les accords signés par la RDC avec l'Angola pour le développement conjoint d'un bloc à la frontière maritime des deux pays ; l'Ouganda pour transporter par l'oléoduc de l'Afrique de l'Est le pétrole produit dans le graben Albertine de la RDC ; la Guinée Equatoriale pour la construction d'une raffinerie et d'installations de stockage.

Une exploration et une exploitation propres, la promesse de Tshisekedi

Personne ne peut contester que les projets d'exploitation du pétrole et du gaz produisent des effets désastreux pour les populations et l'environnement. La construction de l'oléoduc de l'Afrique de l'Est, long de 1 443 kilomètres et reliant les champs pétrolifères de l'ouest de l'Ouganda au port de Tanga dans l'est de la Tanzanie, entraîne le déplacement des personnes, la dégradation des terres et la destruction des moyens de subsistance des populations locales, ce qui contribue à l'insécurité alimentaire, et aggrave la crise climatique mondiale.

Au moment où l'Afrique doit se développer et s'industrialiser, les dirigeants africains des pays producteurs de pétrole et de gaz avancent le contre-argument suivant : le continent, qui est un très faible émetteur de gaz à effet de serre, ne doit pas renoncer à exploiter ses énergies fossiles, ce qui reviendrait à lui faire payer les dégâts provoqués par l'industrialisation des nations occidentales.

La responsabilité de la communauté internationale, des grandes compagnies pétrolières et gazières mondiales et des Etats africains est grande pour aller vers une exploitation des hydrocarbures respectueuse des populations. Or, les indemnisations des personnes déplacées sont insuffisantes avec la perte des habitations, des terres et des moyens de subsistance.

C'est aussi une civilisation qui est détruite. Cette exploitation doit aussi être respectueuse de l'environnement. Il est important de reconnaître et de valoriser, par des financements massifs, le rôle central que jouent les grands bassins forestiers de l'Afrique, notamment le Bassin du Congo, dans la lutte contre le réchauffement climatique.

Aucun Etat africain ne doit être amené à renoncer aux engagements qu'il a pris, devant la communauté internationale, pour répondre à l'urgence climatique et garantir la protection de l'environnement. Cela n'est possible que si la communauté internationale contribue, technologiquement et financièrement, à une exploration et une exploitation propres du pétrole et du gaz. Les tensions ont été vives entre les ONG et les Etats africains sur ce dernier point lors de la COP 27 en Egypte, de la Cop 28 à Dubaï (Emirats Arabes Unis). Il sera à nouveau au centre des débats de la COP 29 qui se tiendra en novembre 2024 à Baku (Azerbaïdjan).

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