Sacrée « Meilleur entraîneur » d'une équipe féminine en Afrique lors des CAF Awards 2024, la Marocaine Lamia Bouhmedi parle de son métier sur le continent. Aux commandes du TP Mazembe avec lequel elle a remporté la Ligue des champions féminine, la technicienne, fan du Portugais Mourinho, explique pourquoi il est difficile de se faire une place dans un monde du foot africain dominé par les hommes.
RFI: Est-ce que les entraîneurs femmes ont une bonne reconnaissance de leur travail en Afrique ?
Lamia Bouhmedi : Vous connaissez bien la mentalité en Afrique, ce n'est pas comme en Europe. En Afrique, c'est difficile de trouver une place dans ce monde, car on considère encore que le football, c'est pour les hommes. Une femme doit donc travailler dix fois plus pour être reconnue. Heureusement que la solidarité entre femmes existe beaucoup dans notre métier.
Qu'est-ce qui est le plus dur pour une femme qui entraîne en Afrique ?
D'avoir la confiance des dirigeants des clubs, des équipes nationales. On doit constamment prouver. Moi, j'ai la chance d'avoir la confiance du TP Mazembe, un club qui a quand même les moyens pour mettre à l'aise les joueurs, les entraîneurs. J'ai la confiance du président Moïse Katumbi et de la vice-présidente Denise Bison. Ils m'ont donné les moyens pour que je sois à l'aise et pour obtenir des résultats. Après, il ne faut pas le nier, nous n'avons pas les mêmes moyens que les hommes. Le foot masculin en Afrique reste plus important que le football féminin.
Beaucoup d'équipes féminines sont entraînées par les hommes en Afrique. Est-ce que c'est envisageable pour vous de prendre la tête d'une équipe masculine ?
Mais pourquoi pas ? Nous aussi, on doit « embêter » les hommes. Pourquoi eux viennent chercher la place des places des femmes ? Nous aussi, on peut envisager d'entraîner des équipes d'hommes. Cela ne me fait pas peur, ce serait plutôt un gros challenge pour moi. Le football reste le football, les règles sont les mêmes pour les hommes et les femmes. C'est juste une question de mentalité. Et il faut juste plus d'ouverture pour donner plus de chance aux femmes.
Vous avez été entraînée par des hommes quand vous étiez joueuse. Là, vous entraînez des femmes. Qu'est-ce que la femme peut savoir quand elle entraîne des femmes que l'homme ne sait pas forcément ?
Un petit exemple tout simple : quand c'est la période des règles. Un homme ne va pas forcément comprendre ça, moi, je le vois tout de suite. Je sens immédiatement si ma joueuse est en état de s'entraîner ou pas. Cela change d'une joueuse à l'autre et il faut être une femme pour sentir cela. Je discute donc beaucoup avec les joueuses, sur et en dehors du terrain, pour mieux sentir leur état émotionnel. En fait, je suis une amie en dehors du terrain. Mais attention, je suis un commandant sur la pelouse, un patron.
Comme un homme alors...
(Rires) Non, je suis commandant. Je ne badine pas avec la discipline tactique. Je dis toujours à mes joueuses qu'il faut rester concentré, même un petit mètre de distance peut faire la différence.
Quelle est votre histoire avec le foot ? Quand est-ce que vous avez commencé à jouer et qu'est-ce qui vous a fait aimer ça ?
J'ai joué au foot toute jeune, quand j'étais petite dans ma maison. C'était inné en moi. Je jouais dans la rue avec les garçons de mon quartier. J'habitais dans la petite ville de Berrechid et à l'âge de 13 ans, comme il n'y avait pas d'équipe féminine dans ma ville, ma mère en a créé une pour que je puisse jouer. Trois ans après, j'étais appelée en équipe nationale senior. J'étais douée, rapide et très forte techniquement. C'est comme ça que j'ai disputé ma première CAN avec les Lionnes à l'âge de 16 ans.
On imagine que vous avez rencontré des difficultés en tant que fille au début dans votre quartier, votre ville...
Oui, beaucoup de difficultés. Parce que déjà, on me disait que notre religion, l'islam, interdisait le foot aux filles. Ensuite, une fille ne doit pas jouer avec les garçons. Heureusement, mes parents m'ont encouragée. Ils s'en foutaient de ce que disaient les gens. C'est ma mère qui m'a acheté mon premier ballon de foot de marque Mikasa à l'anniversaire de mes sept ans. Et c'est ce ballon qui m'a permis d'intégrer l'équipe des garçons ; j'avais le ballon, le beau ballon, je devais jouer. Ainsi, les grands garçons venaient chez moi me chercher, et je pouvais jouer avec eux.
En fait, le foot, c'est toute votre vie depuis toute petite....
Oui, exactement. J'ai tout le temps joué au football. Jusqu'à l'âge de 26 ans où je me suis gravement blessée ; les ligaments croisés. Je devais arrêter définitivement le foot. C'est là que j'ai pensé revenir sur les terrains comme entraîneure. J'ai donc fait une formation à l'université de Leipzig (Allemagne), et je suis rentrée au Maroc où j'ai passé tous mes diplômes, jusqu'à la licence CAF. Aujourd'hui, quand je revois mon parcours depuis toute petite, je me dis que rien ne s'est fait naturellement en fait, cela a été un combat pour arriver là où je suis. Et ce n'est pas fini.